La France se félicite chaque jour d’avoir développé contre vents et marées une filière électrique fondée sur l’énergie nucléaire. 78% de notre électricité est en effet d’origine nucléaire. C’est grâce à cela que notre électricité est 30% moins chère que dans le reste de l’Europe. C’est grâce à cela que les chocs provoqués par les brusques montées du prix du pétrole sont mieux amortis en France qu’ailleurs.
Pourtant, cette politique en faveur du nucléaire ne s’est pas imposée sans mal. Les fantasmes d’Hiroshima improprement projetés sur le nucléaire civil ont provoqué des réactions de rejet dans les populations qu’il a fallu tant bien que mal apaiser. Bien des pays pourtant solides, à commencer par l’Allemagne et les Etats-Unis, ont cédé à la pression dite écologique et ont mis en veilleuse leur programme nucléaire. Ils essayent aujourd’hui de renverser la tendance avec d’énormes difficultés.
Il est remarquable que cette option fondamentale de notre politique industrielle n’a jamais été remise en cause à travers les alternances politiques. François Mitterrand avait promis avant son élection l’abandon du nucléaire. Sitôt élu, il en fut l’un des plus inflexible défenseur.
De ce fait, la France est désormais un pays de référence tant en ce qui concerne l’exploitation des centrales que la recherche concernant les centrales futures.
La voie des neutrons rapides
C’est une lourde responsabilité, mais c’est aussi un atout considérable dans le contexte de la mondialisation où la nécessité de modifier nos modes de production d’électricité apparaît de plus en plus nécessaire. Dans cette perspective, la filière nucléaire actuelle qui utilise des neutrons lents (dits thermiques) n’est pas satisfaisante. Fondée sur l’isotope 235 de l’uranium, elle n’utilise en gros qu’un centième de l’uranium naturel (l’isotope 238 étant 137,6 fois plus abondant que l’isotope 235). De ce fait, si la filière nucléaire se développe dans le monde, le problème des réserves d’uranium –et donc du prix du métal– poserait rapidement des questions qui mettraient en cause la pérennité et la rentabilité de la filière.
La seconde interrogation est celle des déchets qui provoque, à juste titre, des craintes auprès des populations quelles que soient les précautions prises. Il est donc indispensable de changer la technologie et de passer à une nouvelle filière: celle des neutrons rapides (dite filière de quatrième génération). La France a une solide expérience dans ce domaine avec l’expérience réussie des centrales de type Phénix et l’échec technique des réacteurs géants de type Super phénix.
Les réacteurs à neutrons rapides ont un double avantage. D’une part, ils utilisent comme combustible l’uranium 238 (l’isotope abondant) rendant du même coup les réserves d’uranium quasiment illimitées, d’autre part, comme ils brûlent le plutonium et les actinides mineurs, ils rendent les déchets cinquante fois moins actifs, donc moins dangereux.
A plus long terme, il y a une filière encore plus prometteuse: c’est la filière à thorium utilisant les sels fondus. Le thorium étant quatre fois plus abondant que l’uranium dans l’écorce terrestre, ses réserves sont très grandes. Mais plus important encore, ses déchets à radioactivité à vie longue sont quasi nul.
Ce qui gêne le développement de ces filières du futur, c’est le manque d’investissements financiers. S’ils étaient suffisants, ces filières pourraient êtres commercialisés avant 2020!
Le courage d'arrêter
La communauté internationale et la France ont investi dans un projet pharaonique portant sur la fusion nucléaire, connue sous le nom d’Iter. On «vend» ce projet avec une propagande mensongère. On dit qu’«il s’agit de reproduire le mécanisme qui fait du soleil un gigantesque producteur d’énergie» (grâce auquel nous vivons, soit dit en passant). Le principe, c’est la fusion de deux noyaux d’hydrogène pour donner de l’hélium avec une production d’énergie colossale. Cette réaction nucléaire est celle qui est exploitée dans la bombe H. Malheureusement, depuis un demi-siècle de recherche, on ne sait pas en contrôler le processus. Depuis quarante ans, on en est aux préliminaires expérimentaux sans aucune perspective claire de succès.
On nous dit ce sera une énergie propre sans déchets. On oublie de dire que l’on va produire des neutrons à 10 MeV dont les effets sur les matériaux sont inconnus. Dans le meilleur des cas, ce projet (qui rappelons-le n’est pas un réacteur mais un instrument d’étude) ne débouchera pas avant le siècle prochain. Estimé à 3 milliards et demi d’euros, le prix d’Iter est déjà passé à plus de 7 milliards et l’on parle déjà de 9 milliards. La France a fait des pieds et des mains pour obtenir son installation sur son sol, avant de s’apercevoir que nos intérêts scientifiques étaient finalement assez faibles.
Est-ce bien raisonnable? Hier, quand le monde développé regorgeait d’argent et de prospérité, on pouvait défendre cette option. Mais aujourd’hui, dans un monde en crise financière sérieuse, faut-il investir pour l’an 2200 alors que l’avenir à dix ans est bouché? Ne serait-il pas raisonnable d’arrêter Iter et de reporter les financements sur des études concernant les réacteurs de quatrième génération et de thorium avec sel fondus?
Cela permettrait d’être prêt pour des échéances raisonnables de 2018-2020, donc d’envisager le développement du nucléaire à l’échelle planétaire sur des bases solides. Mais est-on dans la capacité d’arrêter un projet? Peut-on résister aux lobbyings de toutes sortes bien organisés?
Les Américains ont eu le courage d’arrêter le projet de Supercollider au Texas après avoir dépensé plus d'un milliard de dollars. Sommes-nous capables d’un tel courage? Pourtant notre avenir énergétique en dépend.
Claude Allègre