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Mères porteuses de polémique

Temps de lecture : 6 min

Un droit nouveau s'esquisse: celui de fonder une famille. Dans ce cadre, légaliser la gestation pour autrui prend tout son sens.

pregnant profile IV / mahalie via Flickr CC
pregnant profile IV / mahalie via Flickr CC

Roselyne Bachelot a présenté lors du conseil des ministres du mercredi 20 octobre son projet de loi visant à réformer les lois bioéthiques. Au coeur de ces débats, il y a l’accès à la parenté. Comment, et dans quelles limites, répondre aux projets parentaux des familles contemporaines? Comment notre société permet-elle de devenir parents à des couples qui ne peuvent pas donner naissance à un enfant par le processus naturel de la procréation?

La révision des lois bioéthiques doit faire face à l’irruption de nouvelles techniques dans l’assistance médicale à la procréation. La plus polémique est la gestation pour autrui (GPA): après le don de gamètes (spermatozoïdes, ovocytes) et le don d’embryon, il est désormais possible de faire un enfant via un don de gestation. Cette pratique consiste pour une femme, la «mère porteuse», à porter un enfant pour le compte d’un couple, les parents d’intention, qui en a assuré le projet et à qui il sera remis à la naissance.

La GPA a été interdite en France à partir de 1991, à la suite du scandale «Alma Mater», une association qui commercialisait le ventre des mères porteuses (l'arrêt de la Cour de cassation en assemblée plénière est consultable en PDF). Ne faut-il pas la légaliser aujourd’hui, à l’instar de nombreux pays étrangers?

Le spectre de la commercialisation du corps

Le débat autour de la GPA soulève des passions d’une rare intensité. La droite est contre: à la suite du très conservateur «rapport Leonetti», Roselyne Bachelot a fermé la porte à la légalisation de la GPA. Les progressistes sont divisés. Un rapport interne au PS, signé par Najat Belkacem et Bertrand Monthubert, y est favorable, mais sa réception au bureau national a été houleuse et la direction n’a pas encore tranché. Au sein même de Terra Nova, la sortie au printemps d’un rapport favorable à la GPA, intitulé Accès à la parenté: assistance médicale à la procréation et adoption, signé par la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval et la juriste Valérie Sebag-Depadt, a fait polémique.

Les opposants considèrent que la GPA n’est plus une technique médicale visant à remédier à la stérilité, mais une technique de confort pour career women qui n’ont plus de temps à consacrer à la grossesse, ou pour stars qui veulent garder le ventre plat. Pour les rares cas médicaux concernés, il y aurait toujours la possibilité de l’adoption.

Les opposants avancent aussi que la GPA serait indétachable de la commercialisation du corps humain, en violation absolue du principe d’indisponibilité du corps humain, principe fondamental de notre droit constitutionnel. Il s’agirait d’un nouvel asservissement des pauvres qui louent leur ventre pour l’enfantement des enfants des riches.

L'utérus ravalé au rang de four

Il y aurait également dans cette pratique une aliénation du corps de la femme, dont l’utérus est instrumentalisé et ravalé au rang de couveuse: nous serions passés de la figure de la «déesse mère» au «four à bébé», selon la formule saisissante de Sylviane Agacinski. En d’autres termes, l’anéantissement de quarante ans de combat pour l’émancipation des femmes.

Le dernier argument concerne les risques psychologiques inhérents à la GPA. Pour la gestatrice, avec la négation de la grossesse et du lien fondamental créé entre la femme et l’enfant à naître qu’elle porte. Et pour l’enfant, tant la situation peut devenir inextricable. Ainsi, dans le cas d’une GPA avec don d’embryon par tiers donneurs, l’enfant aurait cinq «parents»: les deux parents biologiques qui ont fourni le matériel génétique, la mère porteuse et les parents d’intention.

Pour finir, les opposants brandissent le repoussoir américain: certains Etats des Etats-Unis (la Californie notamment) ont libéralisé l’accès à la GPA et ouvert la voie aux pires dérives mercantiles et éthiques. Sans parler de pays émergents comme l’Ukraine et l’Inde où le commerce du corps humain laisse prospérer les pires ignominies.

Ces arguments sont très sérieux. Ils justifient un encadrement très strict de la GPA. Faut-il pour autant l’interdire ? Je ne le crois pas.

Les effets indésirables de l'interdiction

D’abord, l’interdiction pose elle-même des difficultés. Elle génère un tourisme médical au profit de «paradis procréatifs» dérégulés –et ce n’est pas parce que la marchandisation des corps a lieu hors de l’Hexagone que nous devons nous en désintéresser… Elle place les enfants nés de GPA réalisées à l’étranger dans des situations juridiques inadmissibles à leur retour sur le territoire national: la France refuse d’inscrire à l’état civil leur filiation avec leurs parents d’intention, créant des enfants «juridiquement orphelins».

Mais il ne s’agit pas de se contenter de pointer les limites de l’interdiction: «si ça se fait ailleurs, ça doit se faire en France» n’est pas un argument légitime.

La GPA s’inscrit dans le débat global de l’accès à la parenté. Le rapport de Terra Nova esquisse un droit nouveau: le droit de fonder une famille. Un tel droit est et sera contesté: la société n’a pas à faire droit au «désir d’enfant», entend-on souvent. On ne fait pas un enfant comme on achète un sac à main!

Le droit de fonder une famille: une demande sociale

Certes, mais il ne s’agit pas de cela. Ce droit nouveau fait pleinement sens. Il répond à une demande sociale qui, d’un point de vue anthropologique, est légitime. Les besoins humains fondamentaux, après la survie individuelle, passent par assurer une descendance. C’est pourquoi il n’est pas absurde que fonder une famille relève des droits de base de nos sociétés modernes. Non pas un droit opposable conduisant à une obligation de résultat à la charge de la société, mais pour le moins une obligation de moyens. Il implique de mettre toutes les techniques médicales d’assistance à la procréation au service des parents d’intention.

Ce droit s’inscrit également dans l’intérêt de l’enfant. Il ne s’agit pas de donner libre cours à une pulsion superficielle et passagère, mais de faire droit à un projet parental, une décision profonde et mûrie de longue date, qui a franchi avec succès le parcours du combattant de l’AMP, un projet bien souvent plus abouti que dans des couples classiques dans lesquels l’heureux évènement n’est pas toujours un évènement attendu. N’est-il pas dès lors dans l’intérêt de l’enfant de naître dans une famille aimante, une famille dont il est le projet?

Afin de rendre effectif ce droit de fonder une famille, le rapport propose la reconnaissance de la GPA. Certes, la GPA peut être une technique de confort lorsqu’elle est dévoyée. Mais c’est avant tout une technique médicale, qui répond à une forte demande sociale. Il s’agit de la seule technique médicale capable de pallier certaines stérilités utérines. Il s’agit aussi de la seule technique médicale capable de répondre au projet parental des couples homosexuels masculins, de la «stérilité sociale» dont ils souffrent. Cela légitime la légalisation de la GPA au profit tant des coupes hétérosexuels stériles que des couples homosexuels.

La légalisation de la GPA doit naturellement être encadrée par des règles strictes, notamment pour protéger les intérêts de la mère porteuse.

Première règle: la commercialisation de la grossesse doit être bannie. Il n’y a là aucune fatalité, la plupart des pays étrangers où elle a été légalisée ne révèlent aucune dérive mercantile, comme en témoignent notamment les pays européens, Royaume-Uni en tête. Certaines gestatrices avancent le besoin d’argent comme motif de la mise à disposition de leur ventre. Mais dans les pays où la commercialisation est interdite, elles mettent au contraire en avant l’altruisme. Elles conçoivent la gestation comme un don. Elles sont généralement sensibilisées à l’infertilité à la suite de la souffrance de personnes proches. Elles peuvent être heureuses de leur grossesse: elles aident des couples en détresse, souvent des amis ou des parents, dont elles sont le dernier espoir, là où la médecine a échoué, et elles en tirent une forte valorisation personnelle.

Deuxième règle: il faut mettre en place un protocole médical sécurisant le bien-être psychologique de la mère porteuse. Les travaux des psychanalystes étrangers sur les mères porteuses montrent que, sous certaines conditions (avoir déjà eu un enfant, ne pas être aussi la mère génétique de l’enfant…), ces femmes ne se sentent pas mère de l’enfant auquel elles donnent vie.

La légalisation de la GPA n’est certes pas chose aisée. L’assistance médicale à la procréation franchit une frontière: le tiers n’est plus un donneur anonyme de matériel génétique invisible, c’est une femme identifiée, une «mère» qui prête son ventre. Pourtant, la GPA me semble dans l’intérêt des parents d’intention et dans celui de l’enfant. Et son encadrement doit permettre de ne pas violer les droits de la mère porteuse. La société y est prête: dans un récent sondage, 61% des Français s’y sont déclarés favorables. A quand la classe politique?

Olivier Ferrand

Photo: pregnant profile IV / mahalie via Flickr CC License by

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