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Avec les «Groups», Facebook règle son plus gros problème

Temps de lecture : 7 min

Diviser son réseau social en sous-réseaux (amis, collègues, chefs, famille, famille qu'on n'aime pas...) va devenir simple comme un tag.

Crowd / James Cridland via Flickr CC License By
Crowd / James Cridland via Flickr CC License By

Quel est le plus gros problème de Facebook? Qu'est-ce qui vous casse le plus les pieds avec ce site? Avec tout le courrier des lecteurs que je reçois à propos de Facebook, je suis prêt à parier que le reproche que vous avez à lui faire n'est pas inhabituel. Et je l'appelerai le problème du «Ça Ne Regarde Pas La Terre Entière».

La malédiction du CNRPLTE

Le CNRPLTE est un cousin du Trop D'Infos, toutes ces choses qu'on devrait garder pour soi et ne surtout pas exposer sur le Net. Le CNRPLTE concerne plutôt tous ces trucs que vous avez envie de partager avec vos vrais amis, mais pas tous vos amis Facebook. Disons que vous venez de rentrer de vacances et que vous voulez partager vos photos avec votre famille et vos amis proches. Mais vous hésitez à les poster sur Facebook parce que vous n'avez vraiment pas envie que tous vos collègues de travail vous voient en train de faire la crêpe sur une plage de la Côte d'Azur. Un cas classique de CNRPLTE. Ou peut-être que vous avez une classe de cinquième dont les élèves –et leurs parents– vous envoient sans arrêt des demandes d'ami. Vous n'auriez pas de problème avec ça si seulement vos anciens camarades de fac ne venaient pas régulièrement vous rappeler sur votre wall des souvenirs CNRLPTE, comme cette fois où vous aviez volé un tracteur après avoir enchaîné 21 shots en 60 minutes. Et le CNRPLTE marche dans les deux sens, puisque vous trouvez aussi que vos amis Facebook dévoilent un peu trop de trucs sur leur vie privée. Vous aimiez bien le type de la compta jusqu'à ce que vous découvriez qu'il est fan de Glenn Beck (Ndt: un animateur radio et télé américain qu'on pourrait comparer en France à Eric Zemmour), et la fiancée de votre frère est une délicieuse personne, mais pourquoi ressent-elle le besoin de parler tout le temps de ses journées shopping? Elle pourrait informer ses amis proches de sa dernière virée chez Chanel, mais vous, est-ce que vous en avez vraiment quelque chose à faire?

Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, nous explique qu'à chaque fois que le site se retrouve impliqué dans une histoire qui concerne la vie privée des utilisateurs, beaucoup de gens se demandent pourquoi Facebook ne restreint pas automatiquement toutes nos données à nos amis seuls. Mais tout ça ne veut plus dire grand chose compte tenu de la complexité de nos réseaux sociaux dans la vraie vie, indique Zuckerberg. «Si vous avez plusieurs centaines d'amis, on ne peut pas dire que ce genre de restriction soit vraiment utile. La plupart du temps, quand vous voulez garder quelque chose pour vous, les gens dont vous ne souhaitez pas qu'ils le sachent se trouvent parmi ces 300 amis», continue-t-il.

Zuckerberg et ses collègues à Facebook ont un nom pour le CNRPLTE: «On appelle ça le "problème de l'auditoire"», explique-t-il, un souci que Facebook ne prend pas à la légère. Trouver un moyen de permettre aux gens de partager des infos avec une partie seulement de leurs amis Facebook c'est «le plus gros problème du réseautage social» avoue-t-il. Et jusqu'à maintenant, personne n'avait su le résoudre de manière intelligente.

Diviser pour mieux réseauter

La semaine dernière, Facebook a annoncé une nouvelle fonctionnalité qui pourrait être d'une très grande aide pour venir à bout de ce problème de l'auditoire. Ça s'appelle Groups et c'est une manière simple de faire un truc qui a toujours été casse-pieds sur les réseaux sociaux: diviser votre réseau en sous-réseaux qui imitent vos relations réelles. Vous pouvez créer un groupe famille, collègues, potes de fac, club de tricot, et choisir ensuite avec quels groupes vous allez partager certaines infos –photos, évènements, statuts, etc. Vous pouvez même chatter et modifier des documents en ligne avec les gens présents dans ces groupes. Autrement dit, votre profil Facebook n'est plus une version monolithique de vous; vous pouvez désormais dévoiler différentes facettes à différentes personnes, ce qui se rapproche le plus de la manière dont on gère son identité dans le monde réel.

Mais tout ça peut vous sembler familier. En effet, Facebook met à disposition depuis des années une fonctionnalité qui s'appelle Liste d'amis et qui permet de créer des sous-groupes dans votre réseau d'amis. Mais ces listes étaient une vraie plaie; comme votre réseau est dynamique, et que les gens changent sans cesse de catégories, ça demandait du temps de garder ses listes à jour. Et même si Facebook a fait énormément de pub autour de ce service, seulement 5% des utilisateurs utilisent régulièrement les listes, révèle Zuckerberg.

Des sources non confirmées indiquent que certains utilisateurs prennent des mesures encore plus drastiques pour séparer leurs différents réseaux: en ouvrant plusieurs comptes Facebook (j'ai beaucoup d'amis profs qui prennent des pseudonymes pour leurs profils), en s'auto-censurant, ou bien en s'adonnant à ce que la chercheuse en réseaux sociaux Danah Boyd appelle la «stéganographie sociale», une pratique qui consiste à dire quelque chose qui pourrait être interprétée de différentes manières selon les gens qui se trouvent dans votre réseau. (Vous pourriez poster sur votre wall «C'est un sacré numéro, cette Sarah Palin!», ce qui fera plaisir à la fois à vos amis de gauche mais aussi à vos beaux-parents adeptes du mouvement Tea Party).

Des groupes qui s'auto-forment

Mais la principale innovation de ces Groups par rapport aux Listes, c'est qu'ils se reposent sur vos amis pour créer des groupes pour vous. Si vous souhaitiez monter un sous-groupe de vos anciens camarades de lycée, il vous faudrait parcourir l'intégralité de votre liste d'amis et cliquer ensuite sur le profil de tous les anciens élèves de votre Alma Mater. Mais les Groups, eux, laissent les gens se taguer les uns les autres. Désormais, tout ce que vous avez à faire c'est monter un groupe, ajouter quelques uns de vos anciens camarades de classe et les laisser ajouter eux-mêmes d'autres personnes à ce groupe. De cette manière, votre groupe s'étoffera rapidement sans que vous soyez le seul chargé du tagging.

Et peut-être même que vous n'aurez rien à faire du tout, puisque comme Groups sera accessible à tous d'ici quelques semaines, on peut parier que vos amis les plus obsessionnels vous tagueront dans des tas de groupes, créant ainsi une taxonomie instantanée de tout votre réseau. Comment peut-on en être si sûr? Parce qu'un petit pourcentage d'utilisateurs sont dingues de tags, et qu'on peut compter sur eux pour compenser la flemme des autres. Par exemple, si la plupart des utilisateurs ne mettent pas souvent de photos en ligne, 95% des membres de Facebook ont déjà été tagués sur des photos par d'autres utilisateurs.

Des problèmes de tags

Evidemment, cette obsession crée parfois des problèmes, comme quand on vous tague sur une photo que vous auriez préféré qu'elle reste privée. Le même genre de chose risque de se produire avec les nouveaux Groups, mais Facebook a trouvé une élégante parade. Si on vous tague dans un groupe auquel vous ne souhaitez pas appartenir, tout ce que vous avez à faire c'est le quitter, et les gens ne pourront plus vous y ajouter sans que vous en ayez fait la demande expresse. L'autre souci potentiel de Groups c'est son imprécision. Avec les Listes d'amis, vous pouvez décider de façon précise avec qui vous souhaitez partager certaines choses. Mais comme n'importe quel membre d'un Group peut y ajouter d'autres personnes, il y aura peut-être des gens que vous n'aviez pas envie de voir là.

Ce qui pourrait créer des situations un peu inconfortables. Mettons que vous montiez un groupes des managers junior de votre boîte, et qu'un lèche-bottes vienne y ajouter un manager senior. Le résultat, c'est que plus personne ne va oser dire quoi que ce soit. Zuckerberg reconnaît le potentiel malaise de ce genre de situation, mais semble dire comme d'autres porte-parole de Facebook que cela ne devrait pas se produire trop souvent. Si les groupes en ligne imitent les groupes en vrai, alors ceux qui en font partie devraient en comprendre les limites sociales, c'est-à-dire qui on peut y ajouter, ce dont on peut y parler, etc. Alors même si techniquement n'importe qui peut ajouter votre mère à votre groupe de potes de fac, ça a très peu de chances d'arriver.

La cartographie du réseau

Facebook n'est pas la seule boîte high-tech à avoir lutté contre ce problème de l'auditoire. Plus tôt cette année, Paul Adams, un chercheur en «expérience utilisateur» a fait une présentation fascinante à ce sujet lors d'une conférence sur le Web design. Celle-ci indiquait que Google –dont la rumeur court depuis longtemps qu'ils sont en train de développer un réseau social pour renverser Facebook– a fait énormément de recherches sur la manière dont les gens cartographient leurs réseaux sociaux. Paul Adams et son équipe ont par exemple demandé à des gens de différents pays de dessiner leurs réseaux en utilisant des crayons de couleur et des Post-It. Au travers de ces sessions, ils ont découvert que la plupart des gens ont tendance à diviser leurs réseaux en 4 à 6 groupes de 10 personnes ou moins. Certains ont pris la présentation d'Adams comme un indice de la manière dont Google allait attaquer Facebook, c'est-à-dire en développant un réseau social qui colle davantage à la façon dont nous gérons nos petits groupes d'amis.

Les nouveaux Groups de Facebook pourraient être une excellente stratégie de défense contre cette menace Google. En donnant aux gens des moyens plus adéquats de diviser leur réseau en petits groupes, Facebook s'est transformé en quelque chose de potentiellement bien moins casse-pieds à utiliser. Ce qui est fascinant par ailleurs, c'est la réflexion qui a mené à la résolution de ce problème. Lors de la conférence de presse où il a annoncé Groups, Zuckerberg a d'abord présenté les deux premières solutions que son équipe avait envisagées. Ils avaient d'abord pensé à améliorer l'interface de gestion des listes, ce qu'il a appelé la «solution produit». L'autre option c'était d'utiliser des ordinateurs pour scanner les réseaux et classer automatiquement vos différents groupes des utilisateurs – la «solution algorithmique». Dans la Silicon Valley, deux sociétés se sont déjà spécialisées dans chacune de ces stratégies: Apple résout les problèmes en améliorant le design tandis que Google est dingue d'équations.

Facebook, indique Zuckerberg, esquisse une nouvelle façon de résoudre les problèmes dans l'industrie high-tech, c'est ce qu'il a baptisé la «solution sociale». Bien qu'il ait souligné le fait que Facebook emploie de nombreux ingénieurs et designers de talent, la «stratégie de prédilection» de la société pour lutter contre les gros problèmes techniques impliquera d'exploiter l'esprit des ses centaines de millions d'utilisateurs. Comment fait Facebook aujourd'hui pour mettre un nom sur les visages de nos photos, ou pour traduire ses pages dans toutes les langues, ou encore pour identifier nos cliques dans la vraie vie? L'intelligence artificielle n'y est pour rien, ce sont de vrais gens qui font tout ça. De l'intelligence tout court, en fait.

Farhad Manjoo.

Traduit par Nora Bouazzouni

Photo: Crowd / James Cridland via Flickr CC License By

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