Après les propos homophobes tenus par Lefa, l’un des membres de Sexion d’assaut, le groupe et le label ont tout fait pour calmer la polémique. Le rappeur lui-même a tenté de s’expliquer:
«Je me suis rendu compte en vérifiant la signification du mot “homophobie” que j'avais sorti une connerie plus grosse que moi. C'est vrai que j'ai grandi dans l'ignorance de ce que ce terme signifie vraiment. Mais ni moi ni le groupe ne sommes homophobes. L'homosexualité est quelque chose qui est très loin de nous, qui avons grandi dans un milieu macho, et on utilise des mots qui s'y rapportent à tout bout de champ, sans forcément tous les maîtriser.»
L’explication type «je savais pas ce que ça voulait dire» n’a pas convaincu et les salles continuent une par une à annuler les concerts du groupe. Le 7 octobre dernier, c’était au tour de MTV d’annoncer l’annulation de la nomination du groupe aux MTW EMA dans la catégorie «meilleur artiste français». Sony Music a alors eu une idée originale : ils ont organisé une rencontre entre Sexion d’assaut et l’IDAHO (l’ONG qui coordonne la journée mondiale contre l’homophobie et la transphobie) et le Cran (Conseil Représentatif des Associations Noires de France). On comprend que la maison de disques commence à sérieusement s’inquiéter de voir son poulain tué dans l’œuf. Sexion d’assaut, c’était un carton annoncé dans le milieu du rap français et en pleine crise de l’industrie musicale, un album qui est triple disque d’or en quelques mois, ça se chouchoute.
Sexion d’assaut pour prouver la sincérité de son repentir, a donc pris des engagements passablement délirants. Extrait du communiqué de presse :
« Le groupe Sexion d’Assaut promet :
Pour lever toute ambiguïté :
- de ne pas chanter les titres incriminés sur scène et de ne pas tenir de propos discriminants auprès de son public et d’enregistrer chaque concert afin de permettre aux tiers de vérifier que cette condition soit remplie ;
- de rencontrer sur chacune de ses dates les associations LGBT et celles militant contre les discriminations en général et de leur offrir des places de concert pour qu’elles se rendent compte par elles-mêmes de l’engagement du groupe.
Pour véhiculer un message positif :
- de faire distribuer à chaque spectateur un tract, signé du groupe, prônant des valeurs citoyennes de lutte contre l’homophobie et des discriminations en général ;
- de travailler sur un titre spécifique, ou un événement artistique, clarifiant cette position, pour les mois qui viennent.
Par ailleurs, Sony Music France qui travaille depuis plusieurs mois à une charte éthique concernant ses publications, annonce qu’elle sera prête d'ici la fin du mois de novembre.»
Evidemment, les propos homophobes c’est mal et la lutte contre les discriminations c’est bien. Mais quand même, là, on peut se demander si le mea culpa commercial ne va pas trop loin. Et accessoirement pourquoi ça tombe sur Sexion d’assaut et pas un autre groupe. Parce que si, chez Sony, on trouve que la Sexion est allée trop loin, on a un doute sur le fait qu’ils aient écouté les autres artistes qu’ils produisent. En tout cas, la décision de préparer une charte éthique pour ses artistes est pour le moins déconcertante – voire infantilisante pour les groupes. On décide de produire un album ou pas. Pas de faire composer un artiste en fonction d’une charte pré-écrite.
Si Sony doit faire signer sa «charte éthique» aux artistes de son catalogue rap, j’attends personnellement avec impatience d’y voir la signature de La Fouine ou de Joey Starr. Dans le but de contribuer à cette louable entreprise d’assainissement du rap français, voici quelques modestes suggestions éthiques qui devraient permettre d’éviter les débordements des rappeurs.
I- Contrôle des artistes
D’abord, finies les interviews en mode freestyle. Pour tout entretien avec un journaliste, les artistes Sony seront accompagnés d’un avocat mandaté par le label. L’artiste s’engage à ne jamais s’adresser directement au journaliste mais à passer par l’intermédiaire de l’avocat qui répétera ensuite ses réponses au journaliste. Lors de cet échange, lesdites réponses pourront faire l’objet de modifications laissées à l’appréciation de l’avocat.
Ainsi, la phrase:
«Pendant un temps on a beaucoup attaqué les homosexuels parce qu’on est homophobes à 100% et qu’on l’assume» (Lefa de Sexion d’assaut)
aurait pu être avantageusement remplacée par
«Pendant un temps, on a défendu la cause des homosexuels victimes d’une stigmatisation odieuse dans notre société parce qu’on est 100% gayfriendly et qu’on l’assume».
II - En ce qui concerne le contenu des chansons
Devront être systématiquement évitées les remarques potentiellement discriminantes à l’égard des femmes, des enfants, des noirs, des arabes, des asiatiques, des juifs, des gitans, des homosexuels, des lesbiennes, des handicapés, des prostituées, des gens qui portent des jeans slims, de ceux qui finissent leurs mails par des formules comme «asap» et des poneys. Ni les uns ni les autres ne devront faire l’objet de propos discriminants quant à leur mode de vie. Plus généralement, sont proscrites toute parole pouvant concerner une minorité ou une majorité de la population française métropolitaine et d’Outre-mer.
Certains corps de métier font également l’objet de fréquentes attaques dans des produits culturels. Pour éviter tout amalgame, ne devront plus jamais être mentionnées les professions suivantes : avocat, huissier, policier, gendarme, juge, magistrat, homme politique, programmateur de radio.
Les appels à la lutte, à la révolte ou à la révolution ne sont plus tolérables dans une société gangrenée par la violence quotidienne. Les paroles de Sans rémission et La résistance de la Fonky Family devront donc être entièrement revues et corrigées. Des propos tels que «Demain je pars en croisade contre l’Etat avare», «Lève ton poing pour la révolution et nique tout» «baisons ce système» et le terrible aveu «nos textes sont terroristes» deviennent de dangereux appels à l’insurrection. Le titre «Qu’est-ce qu’on attend» de NTM est de ce point de vue particulièrement problématique et nécessiterait peut-être une réunion spéciale en commission:
«Mais qu'est-ce, mais qu'est-ce qu'on attend pour foutre le feu ?
Mais qu'est-ce qu'on attend pour ne plus suivre les règles du jeu ? (…) Pour que notre jeunesse d'une main vengeresse
Brûle l'état policier en premier et
Envoie la république brûler au même bûcher. »
L’artiste s’engage à ne plus faire mention des drogues, de la cigarette, de l’alcool. (Ainsi, NTM cessera de chanter le titre That’s my people «J't'explique c'que j'kiffe, c'est de fumer des spliffs.») L’artiste évitera également d’émailler ses textes de mentions de marques. Notamment les marques de luxe qui constituent un marqueur social fort et segmentant pour le public (ainsi de la chanson «Krav-Maga» de La Fouine qui enchaîne les noms: «dans les bacs de Louis Vuitton, Ecusson DG ou Gucci sur mon bandana.»)
N.B. : ceci exception faite des marques qui souhaiteraient signer un accord financier avec l’artiste et son label.
Les assertions non chiffrées. Trop souvent, les artistes omettent de donner leurs sources et d’étayer leur propos avec des statistiques précises. Un tel laisser-aller n’est plus acceptable dans une société de l’information. Ainsi, toujours dans le titre La résistance de la Fonky Family la phrase «L’Etat est de loin le plus grand proxénète» devra être suivie d’un renvoi à un rapport officiel sur le sujet. De même, les accusations du groupe 113 dans la chanson «36 quai des orfèvres»:
«Insultes raciales, des contrôles qui dérapent
Ces bâtards arrondissent leurs fins de mois sur des saisies (…)
Lève ton majeur en disant "nique la police"
Du képi au plus gradé 'faudrait tous les désarmer».
cumule une mention des forces de police qui est désormais interdite, un flou total quant aux chiffres (manquent à la fois le rappel de ce qu’est légalement une insulte raciale ainsi que le nombre officiel de plaintes par an) ainsi qu’un appel à la désobéissance. Vu le nombre de manquements éthiques dans ces quelques paroles, nous suggérons tout simplement leur suppression.
III - Le langage
Les artistes étant les représentants de la culture française, il est de leur devoir de promouvoir une langue française de qualité. Avant de pouvoir s’autoriser certains écarts de langage tels que le verlan, les artistes devront faire la preuve de leur maîtrise de la syntaxe. L’emploi du verlan ne sera donc autorisé qu’après trois albums. En outre, pour aider l’artiste dans son perfectionnement linguistique, le label s’engage à organiser des séances de dictées un samedi matin sur deux (en semaine B donc), l’exercice sera chapeauté par Bernard Pivot et les copies seront mises en ligne sur le site de Sony pour que les associations de défense de la langue française puissent constater par elles-mêmes les progrès faits. Nous insistons sur un point précis : la présence des artistes à la dictée sera obligatoire pour la validation de l’avance sur recette.
En ce qui concerne le registre lexical, l’artiste s’engage à toujours préférer un terme de niveau moyen ou soutenu plutôt que vulgaire. La notion de vulgarité faisant parfois l’objet de polémique, voici quelques exemples et suggestions de réécriture.
Dans sa chanson intitulée Soldats, sur l'album de Joey Starr, Bobby Buntlack chante:
«J'sais pas pour qui voter, le moins enculé des enculés. »
On préférera une formulation du type :
« Je ne sais pas qui élire, le plus honnête des honnêtes.»
Dans la chanson Krav-Maga de La Fouine:
«on va te faire comme ton père, on va t’niquer ta mère.»
On préférera :
«Nous ferons comme votre père, nous aurons des rapports charnels consentants avec votre mère.»
(Les verbes «niquer» et «baiser» très appréciés des groupes de rap ne peuvent pas toujours être remplacés par «rapports charnels consentants». Dans le cas d’un emploi métaphorique, nous suggérons le verbe «abîmer» comme dans «nous allons abîmer le système».)
Toujours dans Krav-Maga:
«Hey yo ma pétasse roule en berline, elle me lèche la bite
Pendant qu’la tienne lèche les vitrines »
On préférera :
«Bonjour, la femme que je fréquente en ce moment conduit une voiture de type berline, elle me fait l’amour buccal, Pendant que la tienne fait du shopping.»
Joey Starr dans «Bad boy» (Mauvais garçon) :
«Tu vis dans le colon de Gyneco
Tu sens, tu pues, tu bouffes sa merde, négro».
On préférera:
« Tu vis dans le colon de Doc Gyneco, Tu sens, tu sens pas bon, tu dégustes ses selles, homme dont la couleur de peau importe peu à mes yeux. »
Pour finir, nous hésitons à proposer la suppression d’une phrase du morceau d’intro de Sexion d’assaut. «Censurez moi ça changera rien, comme un aveugle dans l’noir». Nous attendons la mise en place d’un grille normative permettant d’évaluer précisément son degré d’ironie sur une échelle de 1 à 12,75.
Titiou Lecoq
[Edit : J’avais honteusement oublié de proposer une normalisation des pochettes des albums de rap. Heureusement, Sony s’en est occupé. Ainsi, la pochette que George Condo avait dessinée pour l’album de Kanye West a été refusée par le label, comme il l’explique sur Twitter.]