Culture

L'empire des seconds

Temps de lecture : 4 min

Ari Gold, Barney Stinson ou Homer Simpson: quand les seconds rôles deviennent les stars de leur série.

Ari Gold dans Entourage
Ari Gold dans Entourage

Qui est le héros d’Entourage? Vincent Chase, évidemment, parce que la série parle de l’«entourage» de la jeune vedette ? Perdu. Le «vrai» héros d’Entourage, c’est Ari Gold, l’agent de Vince. Au second plan lors de la première saison de la comédie d’HBO, ce personnage truculent, mitraillette à répliques cultes, n’a depuis cessé de grappiller du temps d’antenne.

Un petit tour sur Facebook vaut mieux qu’une longue explication: 3.707 fans pour Vincent Chase, 715.901 pour Ari Gold. Et trois Emmys du meilleur second rôle dans une série comique pour son interprète, Jeremy Piven. Qui la joue modeste.

«Je ne sais pas si je vole la vedette à qui que ce soit. Tout ce que je sais, c’est qu’Ari n’avait qu’une scène dans le pilote, et que le personnage s’est imposé. Pour le reste, je ne fais que mon boulot. Ari est un super rôle, et ça ne m’étonne pas qu’il en soit arrivé à être un des centres d’intérêt de la série».

Un phénomène poussé ici à son paroxysme, mais qui n’est pas marginal dans l’univers des séries télé.

Excentricité centrale

Comment des personnages secondaires s’installent-ils dans le fauteuil du boss? Paradoxalement, en étant à la marge, en étant différents, plus absurdes, plus improbables, bref, en léger décalage avec la série dans laquelle ils officient. En jouant la carte de l’excentricité, de l’énormité dans les comédies, de la différence –souvent négative– dans les drames. Grands bouffons ou grands méchants bien souvent, «cultes» toujours.

Ainsi, qui sait aujourd’hui que le vrai héros des Simpson, celui pour qui la série avait été imaginée, c’était Bart? Le gamin à la brosse s’est rapidement fait éclipser par son père Homer, plus gros, plus beauf, plus alcoolo, plus con. Même chose dans How I Met Your Mother, où Barney Stinson, séducteur guignolesque, second rôle volontairement poussif, est devenu le principal ressort comique de la sitcom, multipliant les répliques cultes au point de concentrer sur son personnage le gros du merchandising de la série, t-shirt, blogs et même édition du fameux Bro Code, petit manuel de la vie du célibataire endurci. Une évolution de statut comparable à celle de Sue Sylvester, l’hystérique coach des pom-pom girls de Glee, prévue au départ pour pimenter le ton de la série de temps en temps, élevée au final au rang de mascotte joyeusement criarde.

Le fruit du hasard au départ…

Tout est histoire d’évolution. Rares sont les personnages secondaires qui attirent la lumière sur eux dès les premiers épisodes d’une série. «Au départ, je ne devais jouer qu’un rôle de guest pour deux ou trois épisodes, se souvient Michael Emerson, l’interprète de Ben Linus dans Lost. Et puis mon séjour s’est prolongé, mais il n’y a jamais vraiment eu un climax où je me suis dit que j’allais rester dans la série pour de bon. C’est venu progressivement.»

Il aura en effet fallu un temps pour que les scénaristes de Lost se rendent compte de l’intérêt supérieur de certains personnages, Ben Linus ou Locke notamment, sur d’autres –Jack, le héros d’origine de la série, qui ne reprendra du poil de la bête qu’in extremis. Le potentiel de Hiro, personnage geek et pas sexy pour un sou de Heroes, n’a pas non plus été une évidence pour les auteurs de la série SF. Ce n’est qu’à partir de la deuxième saison qu’il est placé au centre du récit, poussant sur le banc Peter Petrelli, plus photogénique, mais nettement moins attachant (un petit test Facebook : 33.606 pour Peter, 59.168 pour Hiro).

… une histoire de stratégie à l’arrivée

Si les scénaristes savent généralement prendre, plus ou moins rapidement, la mesure de leurs personnages, et réaliser ceux qui les inspirent le plus, ces adoubements tardifs sont aussi le fruit d’une scrupuleuse observation de l’opinion. Nul doute que la nomination aux Emmy Awards de Jeremy Piven, l’interprète d’Ari Gold, dès la deuxième saison d’Entourage (en 2005) aura eu son impact sur l’évolution de son personnage.

Au-delà de ces considérations critiques, c’est vers le public que les producteurs se tournent. D’abord en testant leurs réactions dans des groupes d’étude, à coup d’enquêtes de satisfaction, puis en scrutant la toile à l’aide d’outils aussi communs qu’efficaces type Google (parfait exemple : 123.000 réponses pour Will Schuester, le personnage central de Glee, 376.000 pour Sue Sylvester) ou Facebook. Enfin, «en écoutant le buzz, les réactions des fans, de la presse, tout ce qui se dit autour de nous, dans le monde réel comme sur la toile», explique Chuck Lorre, le créateur de Mon Oncle Charlie et The Big Bang Theory. Pour satisfaire l’appétit des fans, ne reste plus qu’à augmenter le temps d’antenne du héros plébiscité –«ce qui ne veut pas dire que nous écrivons uniquement sous la dictée de l’opinion», précise Lorre.

Petits rôles, grands acteurs

Doug Ellin, le créateur d’Entourage, a beau jurer que «Jeremy Piven est le seul acteur qui n’a pas passé d’auditions pour la série. Qu’Entourage soit un succès ou pas, je savais qu’il ferait un carton», ce sont les acteurs eux même, souvent sous employés, qui prouvent généralement qu’ils peuvent faire plus d’effet que les premiers rôles. Il suffit pour en avoir le cœur net de jeter un coup d’œil à la liste de leurs Emmys: Jeremy Piven, quatre nominations, trois récompenses. Terry O’Quinn et Michael Emerson (Locke et Ben Linus dans Lost), deux nominations, une récompense chacun. Jane Lynch (Sue Sylvester dans Glee), une récompense (à noter qu’elle est la seule femme de cette liste). Neil Patrick Harris (Barney Stinson dans How I Met Your Mother), quatre nominations…

Détail d’importance, aucun acteur principal de How I Met Your Mother ou Entourage n’a jamais été nominé. Les deux derniers récipiendaires de l’Emmy Award du meilleur premier rôle comique pourraient aussi bien entrer dans cette liste: à la création de leurs séries respectives, les personnages incarnés par Alec Baldwin (30 Rock) et Jim Parsons (The Big Bang Theory) n’étaient pas au centre de l’histoire. Encore aujourd’hui, les scénaristes préfèrent en faire un usage prudent, plus rare, pour ne pas user trop vite ses rôles aux œufs d’or…

Pierre Langlais

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