On y croyait pourtant, en voyant le trailer: ces photos de fêtes alcoolisées qui défilent, puis la souris qui clique sur «Ajouter un ami», change un statut de «célibataire» à «In a Relationship», les photos de mariage puis de bébés, bref tout notre usage de Facebook qui se déroule devant nos yeux sur un écran de cinéma.
Finalement non. Cette semaine est sorti The Social Network, le film dont la bande-annonce semblait indiquer qu’il allait décrire la génération Facebook et ce que les réseaux sociaux ont changé dans notre vie, et qui n’est en fait qu’un (très bon) film de procès.
La bande-annonce est plus que mensongère, certes, mais peut-on finalement s’étonner que ce film sur Facebook ne parle pas de «notre» Facebook? Après deux semaines de recherches sur ces films qui montrent réellement Internet comme nous le vivons au quotidien, une évidence: il n’y a rien. Ou vraiment pas grand-chose. Pas plus que de gens à interviewer, qui auraient déjà étudié le sujet: il n’y a pas d’autorités sur la question.
D’ailleurs, il n’y a tout simplement pas grand-chose sur la question. De nombreux sites cinéphiles ou technophiles font bien l’inventaire (souvent hilarant) des erreurs ou du grand n’importe quoi auxquels s’adonnent les films quand il s’agit de parler du Net, mais il est difficile de trouver autre chose que ces listes. Non seulement cet élément central de nos vies n’est pas souvent représenté sur grand écran, mais en plus, apparemment, ça n’émeut pour l’instant personne.
Est-ce qu’un «film sur Internet» devrait parler de tout l’Internet? Du web? Des réseaux sociaux? Du mail? Des services de messageries instantanées? De la géo-localisation? De tout ça mélangé? Comment représenter un concept aussi complexe, en mutation constante, et avec autant de facettes?
L’aura quasi mystique de «l’internet mondial» n’a jamais été aussi bien représentée que dans The IT Crowd, une série – pas un film – comique sur la vie du département informatique d’une entreprise, où deux informaticiens se moquent de leur chef incompétente en lui offrant «L’Internet», une boîte noire avec un bouton qui clignote.
Les ordinateurs, c’est chiant
Il faut croire que pour le cinéma, Internet, c’est chiant. Et c’est vrai que quelqu’un en train de taper sur son ordinateur n’est pas le plan le plus passionnant qu’on puisse imaginer. Pour Jean-Noël Lafargue, maître de conférences associé à l’Université Paris 8 et professeur à l’École Supérieure d’Arts du Havre, qui s’intéresse notamment sur son blog à la présence des ordinateurs et des hackers au cinéma :
«Représenter Internet n'est pas très excitant visuellement: des gens devant leur écran, c'est ennuyeux, et des écrans, encore plus ennuyeux (bizarrement, les interfaces "conviviales" actuelles étaient moins séduisantes à filmer que les écrans ambre et noir de "Wargames"). Alors les films qui veulent parler de ces sujets doivent le faire sans jamais montrer ce qu'est réellement Internet pour l'instant, à savoir des gens un peu immobiles devant des écrans.»
Du coup pendant sa période hackers, Hollywood se permet des libertés incroyables pour rendre l’informatique plus palpitante.
Prenons Traque sur Internet (1995), avec Sandra Bullock dans le rôle d’une informaticienne géniale qui se retrouve embourbée dans une affaire incroyable où des cyberterroristes effacent son identité pour l’empêcher de révéler leurs sombres méfaits.
Elle tombe sur ces cyberterroristes grâce à une disquette envoyée par un ami. La disquette ouvre une page censée être dédiée à Mozart, mais avec un étrange petit signe «pi» en bas à droite de la page. Quand Sandra Bullock clique, elle se retrouve tout à coup bombardée de données ultra-secrètes mais ultra-pas-codées (contre toute logique). Quant aux cyberterroristes qui la poursuivent ensuite, ils «ont des programmes qui permettent non seulement de hacker n’importe quel ordinateur, mais en plus de le faire instantanément, sans détails ennuyants comme la tonalité d’un modem ou le besoin de s’identifier», se moquait alors le critique Roger Ebert.
Dans Opération Espadon (2001), autre thriller où un hacker est recruté par un criminel pour faire partie de son équipe de choc, «au lieu d’être assis devant son ordinateur et d’essayer de travailler, il est souvent assis sur un trône devant une demi-douzaine d’écrans qui crachent des informations jolies mais sans intérêt», s’agace le blog Get The Big Picture dans sa liste des «10 usages les moins réalistes d’Internet dans les films». (Voir aussi la vision, en bd, des geeks sur le traitement de l’informatique par Hollywood).
Internet fait peur ou rire
A part les films de hackers, les films où Internet a le rôle principal sont pour la plupart des thrillers. Où l’on apprend ainsi que les chats rooms ne servent qu’à ce que des pédophiles entrent en contact avec des mineures (Hard Candy, 2005), ou à ce que des tueurs psychopathes menacent leurs futures victimes (je ne résiste pas à vous renvoyer vers la bande-annonce magique de .com for murder).
Quant aux sites web, ils abritent carrément des fantômes de victimes de tueurs en série (ce qui permet donc du coup aux enquêteurs sans peur et sans reproche de “relâcher” un esprit hors d’un site Internet pour qu’il aille tuer son tueur. Ouais. Merci Fear Dot Com.).
Comme l’explique Jean-Michel Frodon, ancien directeur des Cahiers du Cinéma et collaborateur de Slate, du moment où Internet devient le sujet du film c’est assez probable qu’il va y avoir une dramatisation, puisqu’il en est le ressort dramatique. Cela ne tient pas tant à Internet qu’à la logique cinématographique:
«C’est pareil pour les voitures, si elles deviennent le sujet d’un film, ça ne va pas être un usage ordinaire de la voiture: il va y avoir des poursuites, ou des courses, ou des choses inhabituelles. La bête humaine, sur le train, donne une idée extrême de ce que c’est le train…»
Les comédies sont un peu plus réalistes quant à l’usage que l’on fait d’Internet IRL, même si elles en rajoutent elles aussi, le plus grand ressort comique restant de loin la webcam: dans American Pie (1999, film qui a également apporté le terme de MILF, issu de forums en ligne, au grand public), le héros branche sa webcam et envoie le lien par email à ses copains pour pouvoir mater une brune à forte poitrine se changer. Sauf qu’il a envoyé sans le faire exprès le lien de la vidéo à toute son école, qui le verra donc revenir dans la chambre et se ridiculiser (deux fois !) alors que la bombasse était toute prête à lui apprendre les choses de la vie. (Onze ans plus tard, la version tragique de la webcam AmericanPienne, c'est l'histoire de Tyler Clementi.)
Dans Sans Sarah Rien ne Va! la webcam est un moyen plus vivant que le chat (ou le téléphone?) pour le héros –à Hawai– et son demi-frère –pas à Hawai– de se parler, et permet en plus deux-trois blagues uniquement rendues possibles grâce à l’utilisation de la webcam, dont un mini-sketch sexuelo-rigolo.
Parce qu’il n’y a pas qu’Hollywood dans la vie, les ados français du film LOL se parlent souvent en chattant sur MSN; la blague vient aussi grâce à une webcam: lors d’un chat texte et vidéo avec son copain, l’une des filles simule une masturbation en touchant un poulet à la place...
Dans ces trois exemples, la webcam / l’internet n’est certainement pas le personnage principal du film, mais juste un de ses ressorts comiques.
Un film sur Internet
En fait, le cinéma devient de plus en plus juste au fur et à mesure que le rôle qu’il donne à internet rétrécit, pour se fondre dans la vie des personnages comme il se fond dans la nôtre: c’est la façon dont on utilise Google au détour d’une scène d’Happy Few. C’est Jack Nicholson et Diane Keaton se dragouillant sur une messagerie instantanée alors qu’ils sont chacun dans une pièce différente de la même maison, pour finir par se donner rendez-vous –dans la «vraie vie»– dans la cuisine.
C’est une ado qui profite du fait que Tamara Drewe n’a pas suffisamment protégé son ordinateur personnel pour envoyer un email de son compte, ou ces personnages qui créent / travaillent pour des sites web. C’est Meg Ryan et Tom Hanks et leurs emails dans Vous Avez Un Message (dont l’intrigue, contrairement à ce qu’on pourrait penser vu le titre, ne tient pas au seul génie d’Internet, puisque le film est un remake d’un autre où les héros s’envoyaient des lettres):
«J’allume mon ordinateur, j’attends impatiemment qu’il se connecte, je vais en ligne et je retiens mon souffle quand j’entends trois petits mots. “You’ve got mail”. [...] J’ai un mail. De toi!»
Alors oui le film (1998), même dans ces premiers mots, est incroyablement daté, un problème dès qu’on cherche à filmer une technologie qui évolue en permanence. C’est d’ailleurs sans doute là l’une des raisons au peu d’intérêt d’Hollywood pour Internet, avance Jean-Noël Lafargue:
«Peut-être aussi qu'aucune pratique ne s'est figée dans le temps de manière suffisamment durable pour qu'on ose en faire le thème d'un film doté d'un certain budget: il y a trois ans on aurait pensé à faire un film sur MySpace, qui est pourtant pas mal sorti des mémoires, de même que des services comme Gopher, Usenet, The Palace, etc., qui ont été en leur temps très importants.»
Aujourd’hui, nous n’attendons plus impatiemment une connexion, et notre boîte mail ne nous parle pas, mais le plaisir de voir s’afficher «Inbox: 1» ou de recevoir un message Facebook est toujours le même.
Alors, à quand LE film qui montre comment nos rapports à la drague, la famille, l’amour ou l’amitié ont tout changé avec Facebook? Internet n’a pas besoin d’avoir le rôle principal. Il suffit juste de voir des personnages qui ont toujours un ordinateur portable allumé dans un coin, qui téléchargent des films et streament des séries, qui ne peuvent pas s’empêcher de checker leurs mails et ce qui se passe sur Twitter ou Facebook en permanence, où qu’ils soient, et sans même qu’ils s’en rendent vraiment compte, sur leur smartphone. Bref, à quand le film sur Internet à la hauteur des 40 premières secondes de la bande-annonce de The Social Network?
En attendant ce film-là, un qui s'en approche pourrait bien être Fleurs du Mal, un film qui suit l’idylle entre deux jeunes (lui est Parisien, elle est Iranienne en visite à Paris) qui se rencontrent alors qu’éclatent les manifestations postélectorales en Iran, dont ils suivent le déroulement grâce à Youtube, Facebook et leurs portables. Si la bande-annonce ne ment pas, le film a tout l’air –sans porter «sur» Internet– d’aborder la façon dont le Net peut changer le rapport aux autres.
Lecteurs, sauvez-moi ! Avez-vous déjà vu un film qui sait parler de notre internet au quotidien ?
Cécile Dehesdin