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Israël, Etat «juif et démocratique» pour les étrangers

Temps de lecture : 5 min

La loi de citoyenneté adoptée par la Knesset est un alibi pour les nationalistes.

Dans les rues de Jérusalem, en septembre 2010. REUTERS/Ammar Awad
Dans les rues de Jérusalem, en septembre 2010. REUTERS/Ammar Awad

La modification à la loi de citoyenneté a finalement été adoptée par le gouvernement israélien à une large majorité à l’exception des ministres travaillistes. Désormais, tout candidat à la nationalité israélienne, en dehors des dispositions de la Loi du Retour réservée aux juifs, devra prêter serment de loyauté envers «Israël comme Etat juif et démocratique». Cette loi est une concession accordée au ministre des Affaires étrangères, Avigdor Lieberman, qui n’a jamais réussi à imposer aucun de ses projets malgré l’importance de son parti dans la coalition.

Une loi a minima

Lieberman clame victoire alors que cette loi a été complètement dénaturée par rapport à ce qu’il espérait. Le serment de loyauté qu’il avait exigé au moment de la campagne électorale était destiné à l’origine à toute la population arabe israélienne du pays. En imposant le serment aux seuls arabes, le ministre espérait susciter des refus et forcer quelques départs vers les pays voisins afin de «judaïser» l’Etat d’Israël. Vidée de sa substance, la loi s’applique à présent aux seules personnes qui veulent acquérir la nationalité israélienne, les arabes l’ayant déjà depuis la création de l’Etat. Elle concerne en fait les travailleurs immigrés séjournant définitivement ou les résidents permanents, et parmi eux, des religieux installés à Jérusalem.

Elle a donc une portée limitée, sinon symbolique. Certes tout pays est en droit d’imposer aux candidats à la nationalité des règles qu’ils peuvent ou non accepter s’ils veulent devenir citoyens, mais le gouvernement, en fin politique, pratique l’amalgame. Il vote une loi qui ne concerne pas les Palestiniens or il s’appuie sur elle pour exiger que ces derniers s’engagent sur la qualité juive d’un pays dans lequel ils ne vivront pas.

Cette loi a créé un malaise au sein du gouvernement, parmi les travaillistes en particulier. Certains membres du Likoud, dont les ministres Dan Méridor, Michael Eitan et Benny Begin, y sont fortement opposés. Ils ne comprennent pas pourquoi il faut s’en remettre aux étrangers pour une définition qui touche l’Etat d’Israël alors que les Israéliens sont seuls habilités et autorisés à le décider. Cette affaire entre dans le strict domaine de la politique intérieure et relève de simples lois votées à la Knesset sans exiger l’accord d’un Etat tiers.

Etat juif

La communauté internationale a déjà reconnu la qualité juive de l’Etat et il n’était donc pas nécessaire de l’exiger à nouveau. Le 29 novembre 1947, les Nations unies avaient adopté la résolution 181 qui prévoyait le partage de la Palestine en un État juif et un État arabe. Elle avait rejeté l’option de créer une seule entité fédérale binationale contenant à la fois un État juif et un État arabe. Le qualificatif de juif était bien explicite dans la résolution définitive qui a entériné la séparation de la Palestine.

Les dirigeants sionistes de l’époque, dirigés par Ben Gourion, avaient la totale liberté du choix du nom du nouveau pays et pourtant ils avaient rejeté l’intitulé «Etat juif» pour le remplacer par «Etat d’Israël». L’inspirateur d’une entité étatique juive, le journaliste autrichien Théodore Herzl avait pourtant tracé les lignes précises du rêve qu’il se faisait dans son ouvrage de référence Der Judenstaat dans lequel il ne laissait aucun doute sur son choix, dont il avait fait le titre de son livre. Ben Gourion, très visionnaire, avait estimé qu’il devait réserver une place aux arabes musulmans et chrétiens et il avait ainsi refusé toute qualification liée à la judaïcité dans l’intitulé du nouveau pays.

La reconnaissance d’Israël avait été faite selon les règles diplomatiques habituelles par échange d’ambassadeurs sans qu’aucune condition n’ait été imposée, puisque la déclaration d’indépendance était explicite à ce sujet:

«Proclamons la fondation de l’Etat juif dans le pays d’Israël, qui portera le nom d’Etat d’Israël.»

Depuis la création de l’Etat, le problème n’a jamais été soulevé ni par les gouvernements et ni par les oppositions et encore moins par le gouvernement de droite de Menahem Begin.

Nouveau débat alibi

Ce débat vient d’être lancé dans le seul but de créer des obstacles dans le dialogue avec les Palestiniens. Il s’agit d’un faux débat monté de toutes pièces, un alibi pour retarder tout accord de paix. Dans le discours qu’il a prononcé le 11 octobre à la Knesset à l’occasion de l’ouverture de la session parlementaire, le Premier ministre Benjamin Netanyahou s’est dit prêt à prolonger le moratoire sur la construction, si les Palestiniens reconnaissent Israël comme Etat juif. Il savait pertinemment que sa demande ne serait jamais exaucée et que le statu quo perdurerait donc pour longtemps encore.

Les religieux et leurs alliés, les nationalistes, ont alors trouvé un argument à cette exigence en se référant à la Loi Fondamentale votée sur Jérusalem. Adoptée le 13 décembre 1980 par la Knesset, elle proclame Jérusalem «une et indivisible» comme la capitale de l'État d'Israël. Les nationalistes estiment donc que si le gouvernement a légiféré pour la capitale, il peut aussi légiférer pour l’Etat en imposant aux autres pays de statuer sur sa nature juive. Ils feignaient d’ignorer que le cas de Jérusalem était différent puisque la partie Est, annexée bien après la création de l’Etat, n’était pas mentionnée dans la déclaration d’indépendance. La Knesset avait été contrainte de voter l’intégration définitive de cette partie de la ville à l’Etat. Il faut remarquer d’ailleurs qu’à cette occasion, la Knesset a été souveraine et n’a pas eu besoin de demander à quiconque de cautionner sa décision.

Sauf à chercher des blocages juridiques pour freiner les négociations, il est donc difficile de justifier ces exigences nouvelles. Israël est libre de s’identifier comme il le désire et n’a absolument besoin d’aucune caution étrangère dans sa décision.

Jacques Benillouche

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