Pauvre Europe! Alors que se met en place le Service européen d’action extérieure qui devrait être l’embryon d’un service diplomatique de l’UE (Union européenne), elle ne reçoit pas de ses interlocuteurs de par le monde le traitement qu’elle serait en droit d’attendre. Deux événements, sans lien entre eux, soulignent ces contradictions. D’un côté, on veut plus d’Europe et moins d’Européens en ordre dispersé. D’un autre, on lui refuse le droit de s’exprimer en tant qu’Union.
Le premier cas est celui du FMI. Dans le comité directeur du Fond monétaire international, les Européens disposent de neuf «chaises» (C’est le terme consacré). Trois ont été attribuées à la France, l’Allemagne et la Grande-Bretagne; six autres à des pays européens qui représentent des régions, parfois extra-européennes. C’est ainsi que l’Espagne représente des Etats latino-américains. Neuf sur un total de vingt-quatre, les Etats-Unis pensent que c’est trop. Et ils ne sont pas les seuls. Ils considèrent que l’Europe devrait abandonner deux ou trois chaises au profit de pays émergents qui ont pris du poids dans l’économie mondiale. En poussant le raisonnement jusqu’au bout, on pourrait même soutenir que l’Europe – ou au moins la zone euro – ait une seule représentation au FMI. A condition, bien sûr, qu’elle y ait un poids correspondant à son importance économique et financière. C’est ainsi que les Etats-Unis ont un quasi droit de veto avec une quotepart de 16,5% des voix alors que la minorité de blocage est de 15%. Si les Européens sont disposés à céder deux ou trois chaises, ils demandent d’ailleurs comme contrepartie que les Américains perdent leur droit de veto.
Mais la question fondamentale reste la représentation au FMI de l’eurogroupe, voire celle de l’UE. Il en va de même dans le G8 ou le G20. Dans ces organisations, l’Europe est non seulement présente avec ses Etats membres les plus importants – France, Allemagne, Grande-Bretagne, Italie – mais encore par l’intermédiaire du président de la Commission, le président «stable» du Conseil européen, voire le président de l’eurogroupe. Le traité de Lisbonne n’a pas simplifié cette représentation même s’il a fait disparaitre la présidence tournante dans les réunions internationales (mais pas dans les conseils spécialisés de l’UE!).
Les partenaires de l’Europe s’étonnent et s’agacent de ce foisonnement. Les Européens, cependant, ont beau jeu de répondre que l’UE n’est pas un super-Etat, que les pays membres ont mis en commun certaines politiques mais pas toutes, qu’ils ne sont pas toujours d’accord sur tous les sujets même s’ils s’efforcent de dire la même chose à plusieurs voix.
Et pourtant, de temps en temps, ils voudraient bien que la voix de l’UE en tant que telle se substitue, ou pour le moins s’ajoute à cette polyphonie. C’est ainsi qu’ils ont proposé à l’Assemblée générale des Nations unies, actuellement réunie à New York, une résolution qui permette au président du Conseil européen, Herman van Rompuy, et/ou à la Haute représentante pour la politique extérieure, Catherine Ashton, de s’adresser, eu nom de l’Europe, à cet aréopage. Ils se sont heurtés à une fin de non recevoir. La décision a été ajournée. La Chine, la Russie et des pays du Tiers-monde ont voté contre l’Europe. Les raisons de ce refus sont diverses: attachement à la souveraineté nationale, hostilité à l’Occident en général qui s’est cristallisée contre l’Europe, crainte que d’autres regroupements régionaux ne demandent la même faveur, etc...
La demande européenne pourrait par ailleurs relancer les spéculations sur la réforme du Conseil de sécurité de l’ONU. Dans cette institution, sur cinq membres permanents, l’Europe a deux sièges, par l’intermédiaire de la France et de la Grande-Bretagne. De temps à autre, l’idée d’un nouveau partage est relancée: l’un des deux sièges européens reviendrait à l’UE, l’autre serait libre pour une puissance émergente. Une telle réforme supposerait au moins que l’UE ait «une» politique étrangère commune, ce qui est loin d’être le cas. Même la version adoucie de cette même idée, selon laquelle un siège serait attribué à l’UE à côté des sièges français et britannique, parait impraticable.
Bref, l’Europe a bien du mal à se faire entendre. Quand elle veut s’exprimer d’une seule voix, les autres la regardent avec suspicion. Quand les vieux Etats européens défendent leur pré-carré, ils se voient reprocher de vouloir jouer sur plusieurs tableaux. Et surtout, de s’accrocher à des prérogatives qui ne correspondent plus à leur poids réel dans le monde.
Daniel Vernet
Photo: Les dirigeants européens: le président, Herman Van Rompuy et la ministre des affaires étrangères de l'Union, Catherine Ashton.Thierry Roge / Reuters