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Pourquoi on ne peut pas s'empêcher de parler de Google et Apple

Temps de lecture : 6 min

Les deux entreprises sont innovantes, fascinantes et exacerbent les passions.

Steve Jobs, en avril 2010. REUTERS/Robert Galbraith
Steve Jobs, en avril 2010. REUTERS/Robert Galbraith

Fin septembre, le Pew Research Center a publié une des ces études à rajouter à la collection permanente du Musée des recherches qui enfoncent des portes ouvertes. Après s'être penchés sur une année entière de news high-tech parues dans la presse américaine, sur le Web, vues à la TV et entendues à la radio, le Pew's Project for Excellence in Journalism a découvert que la société qui fait le plus parler d'elle aux Etats-Unis n'est autre qu'... Apple! Selon Pew, environ 15% des articles de la presse high-tech évoquent Steve Jobs et ses acolytes. Suivi de très près par Google, avec 11% de présence dans la presse spécialisée.

Et ça n'est pas seulement une question de couverture; en fait, la majorité de ces articles dégouline de bons sentiments. Dans le sondage conduit par Pew, pas loin de deux-tiers des articles consacrés à Apple évoque la supériorité de ses produits ou l'obsession des fans de la pomme. Seul un quart des articles dépeint Apple comme une marque surfaite et un peu trop restrictive dans sa tech-philosophie. La plupart des articles sur Google abordent les innovations de la société, et moins de 20% évoquent ses plans de conquête du monde.

Mais quelle place laisse-t-on aux autres géants de l'industrie dans cette sauterie dont les invités d'honneur sont Apple et Google? Et bien pas grand chose. Microsoft, qui était il n'y a pas si longtemps la plus grosse et la plus redoutée des entreprises high-tech de la planète, ne représente que 3% de la couverture presse décortiquée par Pew. Les autres mastodontes du secteur, comme Amazon, IBM, HP, Yahoo, Oracle, Cisco, RIM, etc. ne sont même pas cités dans 1% des articles analysés.

66 articles sur Slate.com en 2010

Slate.com ne faisait pas partie des publications prises en compte par Pew, mais si ça avait été le cas, le magazine n'aurait pas fait mentir les résultats des chercheurs. Depuis le mois de janvier, j'ai écrit 66 articles pour Slate.com; d'après mes calculs, 17 d'entre eux mettaient particulièrement en avant Apple, 15 parlaient de Google –respectivement 25 et 22 pourcent de l'ensemble mes papiers, donc.

J'ai l'impression d'avoir un regard plutôt objectif sur ces deux sociétés. J'ai écrit des choses positives à l'égard d'Apple: je me suis emballé pour l'iPad avant l'annonce de sa sortie, je me suis encore emballé juste après l'annonce de sa sortie, et je me suis encore plus emballé quand il a été mis en vente. Mais j'ai aussi fustigé la pomme pour ses manoeuvre judiciaires («Le procès lancé par Apple est certifié stupide»), ses tentatives pour mettre encore plus de pubs dans ses applis iPhone, le design pas très excitant du nouvel iPhone, et la condescendance dont Steve Jobs a fait preuve dans la gestion du problème d'antenne de l'appareil (et quand il n'a pas présenté les excuses que j'avais exigées, je lui ai demandé de ne pas «me faire prendre des vessies pour des lanternes», par pitié).

J'ai fait la même chose avec Google: j'ai affirmé que Chrome était «un bien meilleur navigateur que Firefox et Internet Explorer» et la Priority Inbox de Gmail m'a mise dans tous mes états, mais j'ai également critiqué l'interface utilisateur d'Android et la stratégie un peu bizarre de Google qui consiste à sortir peu ou prou les mêmes produits en double. Par contre, tout ce que j'ai écrit au sujet de Microsoft était positif: j'ai couvert de louanges le nouvel Hotmail et j'ai même pris la défense PowerPoint. Mais encore une fois, il s'agit là des deux seuls articles que j'ai écrit au sujet de Microsoft cette année.

Apple et Google façonnent l'avenir. Pas Microsoft

Mon obsession pour Apple et Google ne surprendra pas beaucoup les lecteurs, dont la plupart prennent régulièrement d'assaut les commentaires pour me fustiger d'être ce que Jack Shafer, mon collègue de Slate.com un peu méfiant vis-à-vis d'Apple, appelle un «lèche-bottes» (Ndt: «apple-polisher» en anglais, jeu de mots intraduisible entre apple et Apple). J'aimerais donc en profiter aujourd'hui pour me défendre contre ces accusations. Oui, j'écris davantage sur Apple et Google que sur d'autres boîtes, mais je ne crois pas que mes articles –pas plus que ceux des autres journalistes– sont injustifiés. Apple et Google sont de loin les acteurs les plus intéressants et les plus importants de l'industrie; on peut dire qu'il s'agit là des entreprises les plus innovantes du pays. Si ça me plaît d'écrire sur la high-tech, c'est parce que cela me permet d'imaginer comment les gens créeront et communiqueront dans 5, voire 10 ans. De même que Facebook et Twitter (deux autres sociétés dont je parle régulièrement), Apple et Google façonnent cet avenir, tandis que leurs concurrents –Microsoft y compris– semblent vivre dans le passé.

Bien sûr, il y a des tas d'autres raisons beaucoup moins sérieuses qui expliquent pourquoi les journalistes l'ouvrent à tout bout de champ au sujet d'Apple. En 2005, Shafer expliquait dans un article «le coup de foudre de la presse pour Steve Jobs et sa société» en citant plusieurs facteurs: la personnalité fascinante de Jobs, l'image d'outsider d'Apple, l'obsession de ses fans (et aussi ceux qu'ils insupportent); autant d'éléments qui contribuent à construire un mythe. Steve Jobs «serait véritablement un modèle à suivre s'il était manager chez Domino's Pizza», écrivait Shafer. Ce qui est vrai –et en plus on mangerait de meilleures pizzas.

Jobs, le Palin de la high-tech

Autrement dit, les journalistes high-tech aiment écrire sur Apple pour les mêmes raisons que les journalistes politiques aiment parler de Sarah Palin: les deux nous surprennent chaque jour et dépassent toujours nos attentes. Et tout cela est extrêmement fascinant. Quoiqu'on écrive au sujet d'Apple, on peut compter à la fois sur les fans mais aussi sur les détracteurs pour cliquer. Et aucune autre entreprise high-tech ne peut se vanter de cela.

Mais si l'on parle autant d'Apple, c'est qu'on a aussi de bonnes raisons: cette année, sa valeur boursière a dépassé celle de Microsoft, faisant du bébé de Steve Jobs l'entreprise high-tech la plus rentable du pays –et la deuxième plus rentable toutes catégories confondues après Exxon Mobil. Google est à la onzième place, ce qui est plutôt remarquable pour une société fondée il y a une dizaine d'années seulement.

Comment expliquer un tel succès? Cela va bien au-delà de la prouesse marketing; dans le cas d'Apple, ce qui a marqué d'une pierre blanche l'histoire entrepreunariale, c'est une série de hits qui a véritablement métamorphosé la marque en une décennie. Depuis 2000, Apple a bouleversé l'industrie musicale avec l'iPod et iTunes, s'est imposé dans l'industrie de la téléphonie avec l'iPhone, et menace aujourd'hui de réinventer l'industrie du PC avec l'iPad.

Les concurrents courent après Apple

Ses détracteurs vous diront que les produits Apple ne sont pas aussi révolutionnaires que veut nous faire croire la presse spécialisée –après tout, il y avait d'autres lecteurs MP3 sur le marché avant l'apparition de l'iPod, d'autres smartphones avant l'iPhone, et beaucoup d'autres tablettes avant l'iPad. Mais le meilleur moyen de mesurer l'influence d'Apple reste de voir comment réagissent ses concurrents, qui sont nombreux à suivre Steve Jobs de bien plus près que les journalistes high-tech.

Microsoft a sorti son Zune pour concurrencer l'iPod, a ouvert des boutiques physiques pour rivaliser avec les Apple Stores, et repense aujourd'hui sa plateforme mobile pour contrer l'iPhone. Et Microsoft est loin d'être le seul. Avant la sortie de l'iPhone, les smartphones ressemblaient tous plus au moins au BlackBerry, avec un clavier physique et un petit écran. Lorsqu'Apple a dévoilé son bébé, BlackBerry et consorts ont tous commencé à se transformer en iPhone: le marché du smartphone est désormais dominé par des appareils à large écran tactile et qui exécutent des programmes achetés sur des app stores centralisés. L'iPad semble avoir la même influence. Regardez le BlackBerry PlayBook, que RIM a dévoilé cette semaine. C'est une tablette tactile de 17,7 centimètres dont le système d'exploitation dédié ressemble à s'y méprendre à un OS mobile. Ça ne vous rappelle rien?

Le labo Google

Google et Apple ont beau être des entreprises profondément différentes, la couverture presse de Google s'explique par les ambitions similaires des deux géants. Une à deux fois par an, le trublion de l'industrie dévoile un tout nouveau produit qui pulvérise nos notions de technologie et de culture, qu'on pensait jusque là immuables. Et cela va au-delà du moteur de recherche; regardez comme Gmail a bouleversé la messagerie électronique, comme Chrome a encouragé les concurrents à sortir des navigateurs plus rapides, ou comme Google Voice menace de remplacer les opérateurs téléphoniques. Bien sûr, Google ne rencontre pas que des succès, mais même dans ses échecs (comme Wave) l'entreprise affiche une volonté désarmante à expérimenter de nouvelles choses, ce qui fait défaut à bon nombre de ses concurrents. Sa mission –«organiser les informations à l'échelle mondiale dans le but de les rendre accessibles et utiles à tous»– pourrait sembler un peu mièvre si Google n'avait pas déjà démontré son engagement manifeste à l'accomplir, en numérisant des millions de livres, en développant un traducteur d'une justesse déconcertante, et même en donnat l'état du trafic routier plusieurs jours à l'avance et en prévoyant le début de la saison grippale.

Bien évidemment, ces exploits ne signifient pas pour autant qu'Apple et Google ne font que le Bien autour d'eux, et c'est d'ailleurs une bonne raison pour les avoir encore plus à l'oeil. Personne ne sait à quoi ressemblera le monde en 2015. Mais compte tenu de leurs faits d'armes, je dirais qu'Apple et Google ont déjà leur petite idée.

Farhad Manjoo

Traduit par Nora Bouazzouni

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