Robert Edwards, pionnier de la fécondation in vitro récompensé par le prix Nobel de médecine 2010, est mort mercredi 10 avril à l'âge de 87 ans, a annoncé l'université de Cambridge avec laquelle il avait travaillé. Le Britannique est mort paisiblement dans son sommeil le 10 avril 2013, après une longue maladie, a précisé l'université dans un communiqué cité par l'AFP. Lors de l'attribution du Nobel, en 2010, nous lui avions consacré un article, le voici.
Pourquoi les plus prestigieuses des distinctions internationales arrivent-elles toujours si tard? Dernier exemple en date, le prix Nobel de médecine 2010, attribué lundi 4 octobre à Robert –«Bob»– Edwards, le biologiste qui a mis au point la pratique de la fécondation in vitro (FIV) dans l’espèce humaine. Il est aujourd’hui âgé de 85 ans.
Ce prix lui est attribué plus de trente ans deux ans après la naissance de Louise Joy Brown premier «bébé éprouvette»; c’était la formule de l’époque pour les enfants ainsi conçus. Un délai suffisamment long pour permettre à cette dernière de commenter la nobélisation de son concepteur en ces termes:
«Une nouvelle fantastique.»
Elle dit percevoir en lui comme une sorte de troisième «grand-père». Dans un communiqué commun avec Lesley, sa mère, Louise Brown s'est dite aux anges. Mais il est décidemment bien tard. Réjouissances et congratulations ne pourront plus être ce qu’on aurait pu imaginer il y a quelques années encore. «Bob» n'a pas réagi publiquement en raison d'une santé devenue, dit-on, bien fragile. C’est son épouse Ruth qui a pris la parole dans les heures qui ont suivi l’annonce déclarant, tout bonnement, que sa famille était «ravie» de cette récompense.
Les distinctions trop tardives comportent aussi immanquablement leur part d’injustice. Ainsi Louise Brown n’aurait-elle jamais vu le jour durant le beau mois de juillet 1978 sans les œuvres conjointes du collègue de Robert Edwards, le gynécologue obstétricien Patrick Steptoe, mort en 1988.
Officiellement, le Pr Robert Edwards a été récompensé «pour le développement du traitement de la fécondation humaine in vitro» ayant permis de traiter «la stérilité qui affecte une large proportion de l'humanité et plus de 10% des couples dans le monde», soulignent les membres du comité Nobel.
Depuis 1978 et la naissance de Louise Brown, près de 4 millions d'enfants sont les fruits, directs ou indirects, de ces travaux novateurs.
«Expérimentation d'homme»
Travaux novateurs, mais travaux initialement perçus comme aux frontières – voire au-delà — de l’acceptable: faire se réunir en dehors des voies génitales féminines un spermatozoïde (obtenu après masturbation masculine) et un ovocyte ponctionné dans les ovaires de la femme. Observer ensuite au microscope l’obtention de la fécondation. Cultiver quelques jours in vitro l’embryon ainsi obtenu avant de l’implanter dans l’utérus de la femme. Puis laisser les processus physiologiques de la grossesse faire leur œuvre. Le pendant procréatif en quelque sorte des deux étapes précédentes de la dissociation de la sexualité et de la reproduction que furent la commercialisation de la contraception hormonale puis la dépénalisation de l’interruption volontaire de grossesse.
Une telle entreprise était alors considérée par certains comme contre nature, démoniaque, et ils prédisaient qu’elle ne pourrait naissance qu’à des malformés sinon à des monstres. En toute hypothèse, il s’agissait bien d’une expérimentation en direct sur l’homme voire – pour reprendre une formule du Pr Axel Kahn- d’une «expérimentation d’homme». Et aussi d’une entreprise qui, au nom de l’éthique et du principe de précaution réunis, ne serait certainement pas autorisée aujourd’hui; du moins pas avant de très nombreux travaux sur l’animal (où, paradoxe, elle est souvent beaucoup plus difficile à réaliser).
Mais le temps a passé. Et aujourd'hui, le jury Nobel salue ce travail pionnier désormais considéré comme «une étape fondamentale dans le développement de la médecine moderne». Comment ne pas voir ici la dernière démonstration en date qu’innover c’est avant tout – en médecine peut-être plus qu’ailleurs — s’autoriser à transgresser.
Sept ans de tentatives avant Louise Brown
Robert Edwards est le trentième citoyen britannique à recevoir un Nobel de médecine. Né en 1925 à Manchester, il effectue son service militaire durant la Seconde guerre mondiale, étudie la biologie à l'Université de Galles puis à celle d'Edimbourg où il obtient son professorat en 1955 avec une thèse sur le développement embryonnaire de la souris. A Cambridge, il fonde bientôt avec le Pr Steptoe le premier centre mondial de fécondation in vitro la célèbre «Bourn Hall Clinic».
En février 2007, j'avais rencontré pour Le Monde cet homme d’un enthousiasme et d’un humour hors du commun, et ce grâce au gynécologue obstétricien Jean Cohen (aujourd’hui disparu) avec qui il dirigeait alors activement la revue Reproductive Bio Medicine On line http://www.rbmojournal.com/ Interrogé sur les circonstances qu’ils l’avaient poussé à s’intéresser à la fécondation in vitro dans l'espèce humaine, il nous avait répondu :
«J'ai initialement travaillé sur des animaux à l'Institut de génétique animale de l'université d'Edimbourg où j'ai obtenu un diplôme de physiologie en 1955. Ce n'est qu'au début des années 1960 que je me suis intéressé à la fécondation dans l'espèce humaine, à l'université de Cambridge. J'ai rapidement compris que rien, techniquement, ne s'opposait à une fécondation in vitro. Je l'ai obtenue en 1968. Après le développement embryonnaire au stade blastocyste, j'ai observé qu'il serait également possible d'en dissocier les cellules qui constituaient le «bouton embryonnaire» et que ces dernières pouvaient, selon les conditions, soit se reproduire sans fin, soit donner différents types de tissus humains. J'ai alors jugé nécessaire de collaborer avec le docteur Patrick Streptoe. Nous avons alors dû franchir de nombreux obstacles avant de maîtriser la technique destinée à lutter contre la stérilité. Sept ans se sont écoulés entre le premier transfert in utero d'embryon fécondé in vitro et la naissance, le 25 juillet 1978, de Louise Brown. Durant cette période, nous avons effectué entre 50 et 60 tentatives.»
Entre 1978 et aujourd’hui, la technique de la FIV a connu de constantes améliorations. Grâce à de nombreuses innovations les taux de succès (proportion de naissance d’enfants vivants à partir d’une ponction des ovaires préalablement stimulées par voue hormonale) a notablement augmenté. Dans le même temps, la proportion des naissances multiples a considérablement diminué; les équipes spécialisées n’implantent plus désormais un nombre élevé d’embryons conçus in vitro pour augmenter les taux de succès mais en prenant le risque – pour protéger la future mère — de devoir procéder durant la grossesse à la destruction de certains d’entre eux (pratique dite de la «réduction embryonnaire»).
Des centaines de milliers d'embryons congelés conservés
Pour l’essentiel, l’innovation du nouveau prix Nobel de médecine a été progressivement complétée, à compter du milieu des années 1990, par la découverte de l’injection intra-cytoplasmique de spermatozoïde (ICSI). On ne laissait plus la cellule sexuelle mâle féconder l’ovocyte sous l’œil du microscope mais, toujours sous l’œil de ce dernier, on procédait à son injection mécanique au moyen d’une aiguille au sein d’un ovocyte maintenu immobile. Jusqu’alors la FIV était un traitement des stérilités féminines. Avec l’ICSI, elle s’ouvrait au traitement des stérilités (ou des hypofertilités) masculines.
Ce procédé mécanique est aujourd’hui mis en œuvre de plus en plus fréquemment quelques que soient les causes des stérilités dans la mesure où il augmente globalement les taux de succès.
La mise au point de la FIV avait aussi été très tôt complétée par la découverte que l’on pouvait conserver par congélation dans l’azote liquide (de la même manière que les spermatozoïdes) les embryons humains conçus in vitro; un procédé très largement mis en œuvre qui permet d’augmenter le nombre des tentatives ultérieures et d’augmenter le taux de succès et le nombre des naissances au sein d’un même couple.
On sait ainsi qu’il existe aujourd’hui à travers le monde plusieurs centaines de milliers d’embryons ainsi conservés. Cette congélation est toutefois interdite, pour des raisons éthiques, dans un certain nombre de pays. Elle soulève en effet la question, sinon du statut de l’embryon, du moins du devenir des - très nombreux - embryons devenus «orphelins» car «abandonnés» par les couples ne souhaitant plus procréer. Fallait-il les détruire, les «offrir» à d’autres couples, en faire des objets de recherche scientifique?
Auto-préservation
La question de la destruction des embryons humains conçus par FIV et congelés a dernièrement pris une nouvelle et considérable ampleur avec la confirmation de l’observation initiale de Robert Edwards: ces embryons contiennent en leur sein des «cellules souches» sur lesquelles reposent les nombreux espoirs de nouvelles thérapeutiques contre des maladies dégénératives aujourd’hui incurables. La mise au point de la FIV a ainsi conduit à des problématiques éthiques qui dépassent la question de la légitimité de la «manipulation» des cellules sexuelles pour renouveler celles concernant le début de la vie humaine et le statut de l’embryon; problématiques pratiquement insolubles après la dépénalisation de la pratique de l’interruption volontaire de grossesse.
La plupart des spécialistes estiment aujourd’hui que la somme des questions relatives à la congélation des embryons conçus par FIV pourrait en grande partie être résolues à partir de la congélation (par «vitrification») des ovocytes. Ne seraient plus alors créés que les embryons nécessaires. «La maîtrise de la congélation d'ovules permettrait la création de banques d'ovules, comme il existe des banques de sperme, résume le Pr René Frydman (hôpital Antoine Béclère, Clamart) Cela pourrait être aussi une auto-préservation, puisque la fertilité baisse avec l'âge alors même que l'âge du désir d'enfant augmente.» Autre question majeure: celle de la création d’embryons humains non pas à des fins de reproduction mais à de seules fins de recherches scientifiques.
Il faut aussi ajouter que la découverte de Robert Edwards associée aux progrès de la biologie moléculaire a permis la mise au point du diagnostic préimplantatoire (DPI). Il permet d’identifier des caractéristiques génétiques à partir de quelques cellules prélevées sur l’embryon conçu par FIV.
Aujourd’hui généralement mis en œuvre pour prévenir la naissance d’enfants qui souffriraient de maladies héréditaires d’une particulière gravité, le DPI est aussi un outil qui permet en théorie de permettre la naissance d’enfants sélectionnés sur des critères génétiques en dehors de toute considération thérapeutique lien avec le film le film «Bienvenue à Gattaca». «On a dit qu'il y avait un risque d'aller vers le choix du sexe, de la couleur des yeux... Ce sont des risques réels. Cela veut dire veut dire qu'il faut doubler la connaissance scientifique d'une réflexion éthique, a déclaré le Pr Frydman à l’AFP. C'est ça qui est passionnant. On n'a plus des impossibilités parce qu'on ne sait pas faire; on va avoir des impossibilités parce qu'on va choisir de ne pas faire.» Pour celui qui, avec le biologiste Jacques Testart est à l’origine de la naissance d'Amandine, premier bébé-éprouvette français, en 1982, l'attribution du Nobel de médecine à Robert Edwards «met la lumière sur quelque chose qu'on considère toujours comme un peu à part, un peu sulfureux».
Depuis 1978, la grande question de santé publique associée aux multiples développements de l’assistance médicale à la procréation a été celle des possibles malformations induites par ces procédés chez les enfants ainsi conçus. C’est une question qui fait toujours l’objet d’études et de controverses; et ce sans qu’un lien majeur de causalité n’ait véritablement pu être mis en évidence. Une autre tendance forte est aussi observée concernant l’extension de la pratique de la FIV et du champ de l’assistance médicale à la procréation. Hier considérée comme la réponse à des cas parfaitement diagnostiqués de stérilités irréversibles, elle est aujourd’hui de plus fréquemment mise en œuvre dans de simples situations «d’hypofertilité» chez des couples ne mettant pas véritablement tout en œuvre (et durant assez longtemps) pour concevoir de manière naturelle.
Plus de 20 ans de controverses
Enfin, la découverte de Robert Edwards alimente depuis déjà plus de vingt ans les controverses relatives à l’usage non thérapeutique qui peut en être fait. L’assistance médicale à la procréation ne doit-elle –comme le stipule la loi française de bioéthique - que des couples stables «composés d’un homme et d’une femme». Peut-on au contraire en faire bénéficier des couples homosexuels par définition stériles mais qui souhaitent néanmoins une progéniture? Et peut-on encore créer par FIV des embryons qui seront ensuite transférés dans l’utérus de femmes qui quoique mères ne seront que «porteuses»?
Pressentait-il lors que ses travaux allaient immanquablement soulever des questions d'ordre éthique?
«Pour ma part, je ne crois plus en l'existence d'un dieu depuis l'âge de neuf ans. Disons que je savais que l'Eglise catholique condamnait et ne cesserait de condamner mes recherches puisqu'elle s'opposait à la manipulation des cellules sexuelles de l'espèce humaine. On m'a aussi reproché de ne pas avoir travaillé sur des singes avant de mener des recherches sur l'homme, alors même que les ovaires de guenon sont minuscules et très difficiles à ponctionner.»
Pensait-il que les diagnostics prénatal et préimplantatoire doivent, comme c’est désormais le cas, être utilisés de manière à prévenir systématiquement les naissances d'enfants porteurs de graves anomalies?
«Nous avons le droit d'éviter de telles naissances. Et je suis favorable à l'usage de ce qui pourrait conférer de meilleures aptitudes aux embryons fécondés et cultivés in vitro. Nous le faisons bien, avec l'éducation, après la naissance. Pour ma part, j'aimerais bien avoir l'aptitude de vivre cinquante ans de plus.»
Y aurait-il néanmoins des limites morales à l'instrumentalisation de l'embryon humain?
«Il ne devrait pas y avoir de limites aux recherches scientifiques rigoureuses et honnêtes sur l'embryon. Il faut ensuite confronter les résultats obtenus au sein de débats avec des éthiciens, des philosophes, des représentants de la société pour prendre des décisions quant à ce qui est, ou non, autorisé. Mais il ne faut pas se fixer de limites à l'avance. De ce point de vue, je ne partage absolument pas la conception française qui entend réfléchir a priori sur ce qui est ou non autorisé. Ce n'est absolument pas constructif. Vous réfléchissez quand nous agissons. J'observe d'autre part que lorsque l'on interdit à un jeune chercheur de travailler, il va ailleurs. En outre, il existe en Inde, en Chine ou au Japon des scientifiques qui vont très vite, très loin. Nous risquons fort d'être dépassés.»
Quelques heures après l’annonce du 4 octobre, depuis le Vatican, l'Académie pontificale pour la vie (en charge des questions éthiques et de défense de la vie) confirmait la prophétie du biologiste britannique. «Sans Edwards, il n'y aurait pas un marché où sont vendus des millions d'ovocytes et il n'y aurait pas dans le monde un grand nombre de congélateurs remplis d'embryons», déclarait ainsi Mgr Ignacio Carrasco de Paula, président de cette institution. Selon lui, «dans le meilleur des cas, ces embryons attendent d'être transférés dans des utérus mais plus probablement, ils finiront par être abandonnés ou par mourir». Et pour Mgr Carrasco de Paula, c’est bel et bien le nouveau lauréat du prix Nobel de médecine qui est responsable de cette situation, de même qu’il est responsable de la cacophonie générationnelle qui peut exister dans ce domaine «avec des situations incompréhensibles d'enfants nés de grand-mères et de mères porteuses».
Cacophonie papale
Puis peu de temps après (début de miracle ou réprimande papale?) — Mgr Carrasco nuançait ses propos n’accusant plus Edwards d’être responsable de la mort de millions d'embryons conçus in vitro. Et Mgr Carrasco de souligner «s'être exprimé à titre personnel, pas au nom du Vatican, et en réponse aux sollicitations des médias». Pour le Vatican, donc, le choix de Robert Edwards par l’Institut Karolinska «n’est pas complètement hors de propos» puisqu’il «a inauguré un nouveau chapitre important dans le domaine de la reproduction humaine dont les meilleurs résultats sont visibles de tous en commençant par Louise Brown, le premier bébé éprouvette qui est aujourd'hui maman de manière tout à fait naturelle».
Le Vatican est ici dans une situation pour le moins intellectuellement inconfortable. Il accepte depuis peu le principe de l’assistance médicale à la procréation mais qualifie de «moralement illégale» la FIV et ce «en raison du sacrifice d'un nombre très élevé d'embryons humains». Etant bien entendu par ailleurs qu’entre autres priorités demeure celle, impérative, de croître et de se multiplier.
Jean-Yves Nau