En Allemagne, en 2009, Porsche a voulu prendre le contrôle Volkswagen. Officiellement, l’actionnariat en Bourse de Volkswagen comportait 30% de «flottant», cette partie dans les mains du public. Mais, sans en avoir informé les autorités de marché, Porsche avait acquis ces 30% via l’achat d’options d’achat (calls). Cette décision allait piéger les vendeurs «à découvert» sur le titre Volkswagen car ils ne savaient pas qu’il n’y aurait plus de titres disponibles sur le marché d’actions au moment où ils voudraient les acheter et déboucler leur position. Volkswagen est ainsi devenu, en l’espace de quelques heures, la première capitalisation boursière mondiale! En réalité, il n’y avait pas à l’époque, dans la réglementation allemande des marchés dérivés, d’obligation de déclaration des franchissements de seuil.
Un air de Napoléon
Faut-il interdire ces «ventes à découvert» ou faut-il mieux les encadrer? Dans ce débat sur les bienfaits ou les méfaits de cette forme de spéculation, on retrouve l’antique antagonisme entre l’Etat et les marchés. Durant tout son règne, Napoléon enjoindra maintes fois ses ministres des Finances successifs d’interdire les ventes à découvert, ce à quoi ils s’opposeront toujours avec force. Dans ses mémoires, le Comte Mollien, ministre des Finances de Bonaparte, Premier Consul, rapporte les propos que celui-ci lui tenait dès 1799:
«Je me demande si l’homme qui offre de livrer dans un mois à 38 Francs des rentes à 5% qui se vendent aujourd’hui au cours de 40, ne proclame pas et ne prépare pas le discrédit, s’il n’annonce pas que personnellement il n’a pas confiance dans le Gouvernement, et si le Gouvernement ne doit pas regarder comme son ennemi celui qui se déclare tel lui-même.»
Ces propos entrent en résonance avec ceux exprimés dans une langue moderne en 2010 par certains chefs de gouvernements des pays de la zone euro à l’encontre des vendeurs à découvert de la dette souveraine de certains d’entre eux.
Le débat s’est rouvert dans le cadre des initiatives européennes de redéfinition des régulations de la finance. Antique, il porte aussi sur une partie des plus pointues des marchés financiers. Il est à la fois symbolique et déterminant. Pour les Napoléon d’aujourd’hui, il faut en finir avec ces innovations spéculatives qui déstabilisent les marchés. Pour leurs partisans, il suffit de les forcer à la transparence. Nous, Diogène, sommes de ceux-là. Les ventes nues à découvert peuvent engendrer des situations de marché absurdes, mais il s’agit d’une technique très précieuse qu’il convient absolument de préserver, tout en l’encadrant.
La vente à découvert (short selling) permet aux investisseurs de profiter de la baisse des cours d’un titre (une action, un CDS….) qu’ils ne possèdent pas. Pour ce faire, les vendeurs à découvert empruntent les titres qu’ils veulent vendre à d’autres investisseurs. L’objectif des vendeurs à découvert est bien sûr de faire un profit si le cours du titre qu’ils ont vendu baisse effectivement. S’ils vendent à découvert des titres sans les avoir au préalable empruntés, il s’agit d’une vente nue à découvert.
Une vente à découvert provoque un afflux d’ordres de vente sur le titre et donc une pression à la baisse sur le cours. Plus le volume d’ordres est important, plus la pression est forte, et plus le cours risque en effet de baisser. Et comme la vente nue permet de gonfler artificiellement la position de l’investisseur, cette pratique est une porte ouverte à la spéculation temporaire sur un titre, totalement déconnectée des fondamentaux de celui-ci, autrement dit une porte ouverte à une manipulation de cours.
Des règles précises
Devant ces risques de manipulation de cours, dus à un déséquilibre entre l’offre et la demande de titres, les politiques ont commencé à réagir, notamment au plus fort de la crise financière, quand les titres des banques ont été attaqués. Ils ont proposé, outre l’interdiction pure et simple de la vente nue à découvert, de réduire le délai de règlement-livraison des titres. En effet, plus l’horizon de détention se raccourcit, plus le risque des vendeurs à découvert augmente.
Mais, sans même attendre la crise financière, certains pays avaient mis en place des règles très précises concernant les ventes nues à découvert. Ainsi en va-t-il de celles instaurées par le NYSE, les Bourses de New York, aux Etats-Unis. Elles imposent aux vendeurs et aux intermédiaires auprès desquels ceux-ci passent leurs ordres, un certain nombre d’obligations permettant de limiter, voire d’empêcher, les ventes nues à découvert.
Toutefois, sous couvert d’interdiction des ventes nues à découvert, d’aucuns voudraient franchir une étape supplémentaire et interdire toutes les ventes à découvert, quelle que soit leur forme, ce qui serait préjudiciable au bon fonctionnement et aux équilibres de marché.
En effet, toutes les études empiriques d’impact sont unanimes dans leurs conclusions: les ventes à découvert renforcent à la fois la liquidité et la recherche des «justes» cours des titres, tout en contribuant à abaisser la volatilité de ceux-ci.
Il reste que très risquées pour le vendeur si ses anticipations s’avèrent erronées, elles pourraient faire l’objet de limites en fonction des fonds propres des banques collectant des dépôts, à l’instar de la proposition Volcker reprise dans la loi Dodd-Frank adoptée aux Etats-Unis en juillet.
Diogène