En remportant le Rallye de France sur ses terres alsaciennes, Sébastien Loeb s’est arrogé, à 36 ans, son 7e titre de champion du monde, le 7e d’affilée de surcroît. Résultat auquel il faut, bien sûr, associer son copilote, Daniel Elena. Dans notre sport national, une telle domination sur le plan international est sans précédent à l’exception de Patrice Martin qui, au ski nautique, avait décroché six titres de champion du monde du combiné.
Le voilà même parmi les champions les plus couverts de gloire de l’histoire toutes disciplines confondues. Avec cette 7e couronne, il rejoint notamment l’Allemand Michael Schumacher, sacré sept fois champion du monde en Formule 1, et l’Italien Valentino Rossi, également sept fois champion du monde en moto GP (neuf sur l’ensemble de sa carrière grâce à des victoires dans d’autres catégories). D’une certaine manière, il se situe aussi au niveau du cycliste américain, Lance Armstrong, vainqueur à sept reprises du Tour de France, même si les sports ne sont pas franchement comparables.
Se remettre en danger
Neuf fois champion du monde et en passe de le devenir une 10e fois, le surfeur américain Kelly Slater, n°1 en la matière, a encore de la marge par rapport à Sébastien Loeb qui pourrait se chercher de nouveaux horizons professionnels pour «se remettre en danger» d’une autre façon tant il écrase la concurrence. À moins qu’il ne soit titillé par les ambitions de Sébastien Ogier, nouvelle étoile française des rallyes.
Quoi de plus normal avec un tel palmarès, Sébastien Loeb est un champion très apprécié en France si l’on en croit le «Mag 40», ce baromètre de la popularité des sportifs tenu par l’hebdomadaire l’Equipe Magazine depuis 2004. En juin 2009, il avait même décroché la première place à la surprise générale aux dépens de Thierry Henry et il se maintient depuis très haut (2e derrière Sébastien Chabal lors du dernier sondage publié en août). Étrange phénomène, en fait, car qui connaît vraiment Sébastien Loeb? Qui peut dire quel est son mode de vie? Évoquer une anecdote marquante à son sujet? «Refaire» l’une de ses courses? Nommer son rival n°1? Citer un dérapage le concernant n’ayant rien à voir avec l’exercice de son métier?
Le sport impossible pour la télé
Modèle de discrétion totale, a-t-on envie de dire d’autant plus que ses émotions de sportif nous échappent complètement, camouflées sous son casque, lors de courses que, de surcroît, nous ne voyons pas dans la mesure où les rallyes ne sont jamais diffusés sur des chaînes hertziennes. Pour une bonne raison: il est impossible de retransmettre ce sport constitué de «spéciales» chronométrées sur des parcours accidentés qui changent constamment, contrairement aux circuits fermés de Formule 1. Logistique inimaginable. Les seules images qui parviennent au grand public sont celles d’accidents filmés depuis l’intérieur de véhicules lors de tonneaux qui nous donnent des frissons par procuration.
En définitive, Sébastien Loeb est une sorte de champion «invisible» et ressemble à ces navigateurs, également héros de notre imaginaire, que l’on voit partir pour une grande traversée, comme ce sera le cas le 31 octobre à Saint-Malo avec la Route du Rhum, et que l’on «récupère» une fois arrivés ou lors d’images saisissantes filmées par eux sur leur bateau à cause d’une tempête ou d’une avarie.
En gros, le rallye ne nous «intéresse» que grâce à de belles sorties de route ou parce que Sébastien Loeb en est le maître. S’il n’était pas là, et si le classement mondial était dominé par un Finlandais, autres artistes de la discipline, ce sport n’encombrerait pas les colonnes des journaux, même s’il génère de nombreuses pages de publicité liées aux marques, françaises, qui prennent le départ de ce championnat du monde (raison supplémentaire pour laquelle les médias nationaux se passionnent aussi pour la chose).
Séb, «la force tranquille»
Lorsqu’il avait été élu sportif le plus populaire par l’Equipe Magazine, Sébastien Loeb, lui-même, n’avait pas caché sa stupéfaction en remarquant qu’il fuyait les «people» et les mondanités. Responsable du service marketing BeMore, Jérôme Neveu, interrogé par l’hebdomadaire, avait livré les clés de cette étonnante cote d’amour:
«Dans nos études sur la "carte d’identité marketing" des champions, la première valeur qui émerge pour Sébastien Loeb est le professionnalisme. […] Il fait preuve d’une constance sans égale dans d’autres sports. Il a pour lui le fondamental: il gagne. L’autre valeur qui le caractérise est l’honnêteté. Il apparaît comme un homme simple, sans chichis, auquel chacun peut s’identifier. Sébastien est la force tranquille du sport français.»
Et Loeb de confirmer: «Je ne travaille pas mon image. Je suis comme je suis. Nature. La notoriété due à mes résultats n’a pas modifié ma façon d’être. Je ne suis pas non plus obnubilé par mon image: je me rase et je vais chez le coiffeur quand j’estime que c’est nécessaire.» Jérôme Neveu en avait ajouté une couche: «D’après nos études, Loeb est le premier dans le classement des champions que les Français aimeraient voir davantage dans les médias.»
En résumé, Sébastien Loeb est quelqu’un qui nous ressemble, mais qu’on ne connaît pas, un peu comme notre voisin de palier. Le champion à contre-courant de son époque, mais qui gagne. Une sorte d’anti-Bleu ou d’anti-bling-bling dont on peut anticiper la réaffirmation de l’ancrage populaire après cette nouvelle démonstration en 2010.
Yannick Cochennec