Économie

Les ailes du Brésil

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L'APRÈS LULA 2/3- Le président brésilien, dont la dauphine Dilma Rousseff pourrait être élue dès le premier tour dimanche 3 octobre, laisse la 8e puissance économique mondiale en plein décollage, forte d’une croissance qui devrait dépasser les 7% cette année.

Musée d'art contemporain de Niteroi, non loin de Rio, en 2001. REUTERS
Musée d'art contemporain de Niteroi, non loin de Rio, en 2001. REUTERS

Ce n’est ni à la Bourse de Londres ni à celle de New York que vient d’être réussie la plus grosse augmentation de capital de tous les temps, mais au Brésil, où la compagnie pétrolière Petrobras a réussi à lever, vendredi 24 septembre, quelque 70 milliards de dollars. Totalement euphorique, le président Luis Inacio Lula da Silva , vêtu du casque blanc et de la combinaison orange des ouvriers de la compagnie, a lui-même sonné la cloche à la Bourse de Sao Paulo. «Dieu a été très généreux avec le peuple brésilien, qui a longtemps attendu le moment d'être autant respecté dans le monde que nous le sommes aujourd'hui», s’est-il écrié. Il faut dire que le symbole est fort. Non seulement cette opération propulse le Brésil sur le devant de la scène financière mondiale, mais elle devrait aussi lui permettre de devenir l’un des premiers exportateurs d’or noir et le 4e producteur de la planète à l’horizon 2030.

Cette levée monstre de capitaux donne en effet à Petrobras les moyens de financer son plan d'investissements de 224 milliards de dollars entre 2010 et 2014, pour exploiter les gisements pétroliers récemment découverts au large des côtes brésiliennes. Une manne qui va tripler les réserves actuelles du pays, mais qu’il va falloir aller chercher à 7.000 mètres de profondeur, sous une épaisse couche de sel. Petrobras — sur laquelle l’Etat renforce son contrôle au passage — devrait ainsi voir sa production doubler en 10 ans, à 5,7 millions de barils.

«Magic Lula»

Pour Lula, qui achève triomphalement ses deux mandats, boucler cette opération quelques jours avant les élections de dimanche n’est pas anodine. Elle illustre assez bien la synthèse que cet ancien métallo leader syndical, aussi populaire chez les patrons que dans les favelas, a réussie à la tête de son pays depuis 2002. Ses 80% d’opinions favorables s’expliquent en effet en grande partie par le décollage économique du pays, dopé par une politique volontariste d’émergence d’une classe moyenne très consumériste. Cette année, la croissance devrait, selon la Banque Mondiale, atteindre le niveau quasi «chinois» de 7% sur l’ensemble de 2010, voire 7,3% selon les autorités brésiliennes et de nombreux économistes. Un rebond spectaculaire qui atteste de la vigueur avec laquelle le Brésil de «Magic Lula» a surmonté la crise de 2009 (1).

Certes, depuis 2002, le gouvernement a été grandement aidé par la conjoncture mondiale. Pour cette grande puissance agricole exportatrice (numéro un mondial en café, canne à sucre, oranges, numéro deux du soja, numéro trois du bœuf..) au sous-sol tout aussi riche (fer, aluminium, uranium, gaz naturel et maintenant pétrole), la flambée des cours des matières premières a été une bénédiction. Mais le savant dosage de pragmatisme et d’habileté politique qui font la touche Lula ont transformé l’essai et pourraient bien devenir un cas d’école si la croissance se pérennise. «En accentuant, en 2003, au début de son premier mandat, l’orthodoxie économique initiée par son prédécesseur, il a créé un salutaire choc de crédibilité», estime l’économiste Carlos Quenan. Et a rassuré ainsi marchés et investisseurs, affolés par l’arrivée au pouvoir d’un «nouveau Chavez».

L'effet Bolsa Familia

Plus «FMIste» que le FMI, Lula a fixé des objectifs d’excédent primaire, de réduction de la dette et de maitrise de l’inflation plus stricts encore que ceux prévus par l’accord signé avec le Fonds. ll enclenchait ainsi un cercle vertueux: le retour de la stabilité économique après deux décennies de turbulences, d’une croissance moyenne annuelle de près de 5%, de réserves confortables (250 milliards de dollars), et de la confiance des investisseurs. Un contexte qui lui a permis d’intensifier une batterie de mesures sociales dont l’emblématique Bolsa Familia, allocation versée aux plus pauvres, faisant ainsi reculer sensiblement la pauvreté et émerger un marché intérieur qui représente aujourd’hui plus de 60% du PIB.

Dans la foulée, les investissements directs extérieurs (IDE), qui avaient chuté au début de l’ère Lula, sont repartis spectaculairement à la hausse, atteignant 45 milliards de dollars en 2008, soit quatre fois plus qu’en 2003. Selon les chiffres de l’ONU, le Brésil est aujourd’hui la troisième destination préférée des multinationales, derrière la Chine et l’Inde mais — fait sans précédent — devant les Etats-Unis et l’Europe. Une attractivité qui ne devrait pas se démentir avec la perspective de la coupe du Monde de football en 2014 et des Jeux Olympiques de 2016.

Depuis 2007, le gouvernement à d’ailleurs lancé un important plan d’investissements publics et privés en infrastructures dont le pays manque cruellement (qui tarde cependant à se concrétiser). Fait significatif, la première SSII européenne, Capgemini, que l’on attendait sur l’Asie, a pris pied dans le pays en rachetant début septembre 55% du brésilien CPM Braxis. Objectif : accompagner ses grands donneurs d’ordre sur ce marché en plein boom, industrialisé depuis les années 60-70, et en passe de devenir incontournable. Tout le monde veut y être, à commencer par la Chine, partenaire clé du Brésil, qui, affirme Carlos Quenan, «sera une source de financement essentielle dans les infrastructures et l’exploitation des nouveaux gisements pétroliers». La Banque de Chine a déjà prêté à Petrobras 10 milliards de dollars pour ce projet, et 10 autres milliards devraient suivre.

Diversifier l'économie

Evidemment, des grains de sable peuvent enrayer la machine. Le retard accumulé depuis 20 ans dans le domaine des infrastructures de transport et des services publics; un taux d’investissement (19% du PIB) insuffisant pour maintenir une croissance aussi forte; des risques de surchauffe; des inégalités toujours choquantes malgré le recul de la pauvreté… Certains économistes redoutent d’autre part que les liens toujours plus forts tissés avec la Chine , aujourd’hui de loin son premier partenaire commercial, n’entrainent une certaine «reprimarisation» de l’économie brésilienne, malgré ses efforts permanents pour diversifier les échanges.

Surtout, la refonte totale d’un système fiscal opaque, émietté et très injuste, est urgente et reste à faire. Avec des prélèvements obligatoires représentant 35% du PIB, la fiscalité brésilienne est la plus lourde d’Amérique latine. Or, plus de la moitié de la charge fiscale repose sur les taxes à la consommation, pesant donc surtout sur les classes moyennes et pauvres, alors que la contribution de l’impôt sur le revenu est inférieure au quart des recettes. Dans cette nébuleuse, l’OCDE critique notamment la lourde taxation du travail et des cotisations sociales qui encouragent le travail au noir, les prélèvements sur le chiffre d’affaires des entreprises très pénalisants à l’export, ainsi que l’utilisation de la TVA par les différents Etats du Brésil pour se livrer à une compétition néfaste en matière de politique industrielle. En 8 ans de présidence, Lula ne se sera attaqué qu’à la marge à ce dossier explosif et hautement politique, laissant habilement cette tache ingrate à son successeur et au prochain Congrès.

Anne Denis

(1) le PIB n’a reculé en 2009 que de 0,2%.

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