Alberto Contador, dernier vainqueur du Tour de France, vient d’être suspendu à titre provisoire par l’UCI, l’Union cycliste internationale. Des traces d’un anabolisant, le clenbuterol, ont été retrouvées dans l'un de ses échantillons prélevés lors de la deuxième journée de repos du Tour. Le même jour, Ezequiel Mosquera, deuxième du dernier tour d'Espagne, a été annoncé positif à l'hydroxyéthylamidon.
Pas de panique pour le triple vainqueur du Tour: selon l’UCI, dans un communiqué, la concentration du produit était «quatre cent fois moins importante que ce que les laboratoires accrédités par l'Agence mondiale antidopage [AMA] doivent être capables de déceler». Donc, il faut «de nouvelles enquêtes scientifiques avant de pouvoir tirer des conclusions».
Des dangers du steak
Selon le coureur espagnol, ce serait lié à une contamination alimentaire involontaire
(en mars, déjà, un autre cycliste, le Chinois Li Fuyu avait plaidé la
même chose et un biochimiste néerlandais, Douwe de Boer, avait déclaré
que «les contaminations au clenbuterol existent dans les suppléments alimentaires et dans la viande»). Soit les tests anti-dopage sont vraiment si performants que si l’on
mange un steak, on prend le risque d’être déclaré positif, soit on se
moque de nous.
Au
bout de douze ans de scandales divers et variés, qui a été surpris ce
matin par cette annonce? Personne. Tout le monde, au mieux, doute. Il
suffit de regarder les performances de Contador dans la montée de Verbier en 2009, où il a développé une des plus grandes VO2 (la consommation d’oxygène) max de l’histoire, pour lever les sourcils aussi hauts que le Tourmalet.
Pourquoi ne pas légaliser le dopage?
Tout
le monde pense que les meilleurs sont chargés, mais est-ce si grave?
Toujours autant de fans se pressent le long des routes et les
audiences télés se maintiennent. Du coup, si ça ne dérange dans le fond
personne, pourquoi ne pas assumer enfin? Pourquoi ne pas légaliser le
dopage?
Certes,
cela pose des problèmes éthiques. Prendre certains produits tue, et la
société estime en général qu’elle doit protéger les gens d’eux-mêmes
s’ils mettent leur vie en danger. Le légaliser serait agir à la Ponce
Pilate et considérer que les sportifs ont le droit à disposer de leurs
corps comme ils le veulent. Si on accepte cette idée, alors il n’y
aurait pas vraiment raison de s’opposer à ces pratiques aujourd’hui
illicites.
Mais
s’il y avait légalisation, le vélo deviendrait enfin officiellement ce
qu’il est déjà: un sport mécanique comme les autres. Avec, chaque année, la carrosserie —
le vélo — qui s’améliore au gré des avancées technologiques, mais aussi
le moteur — le corps du cycliste — grâce aux nouvelles «huiles».
Comme
en Formule 1, pourraient être alors affichés sur le maillot les
«partenaires» du cycliste. D’un côté on a les pneus Brigestone et les
huiles Shell, de l’autre on aurait le «clenbuterol» ou le «Docteur Puerto».
Pour les spectateurs, et les parieurs, cela permettrait de mieux
prendre en compte les forces en présence. Dans le sport automobile, on
sait que les qualités intrinsèques du pilote ne font pas tout. Les améliorations et les innovations apportées sur une voiture sont également
déterminantes. Mark Webber, le premier actuel du classement de la Formule 1, ne serait
pas leader s’il conduisait une HRT-Cosworth.
A l’inverse, la lanterne rouge Christian Klien (ils sont une flopée
avec zéro point) gagnerait davantage s’il était au volant d’une Red
Bull-Renault.
Pour
les cyclistes, c’est un peu la même chose. Les seules informations dont
nous disposons, c’est qu’ils se sont entraînés à tel ou tel endroit,
qu’il a fait froid, qu’ils ont maigri ou grossi, etc... C’est comme si en
Formule 1 on nous disait qu’un pilote a fait des essais libres sans
savoir sur quelle voiture et qu'il a pris un bon petit-déjeuner. Non, ce qui serait vraiment intéressant,
c’est de connaître les produits dopants qu’utilise le coureur, les
médecins qu’il consulte... Cela permettrait d’aborder les courses sous un nouvel angle, tout aussi intéressant, bien que moins «romantique» et
plus «technique» et l’on pourrait s’amuser à proposer des classements
alternatifs. Regarder, par exemple, si les cyclistes suivis par un
médecin en particulier ou sponsorisés par un laboratoire pharmaceutique trustent les premières places. J’aimerais
savoir combien de sportifs le Docteur Puerto a casé dans le top 10 à
une époque. S’il était aussi fort que les pneus Michelin qui battaient
systématiquement Bridgestone.
Tous
les coureurs ne seraient pas non plus obligés de se doper. Comme en
moto, il pourrait y avoir plusieurs catégories (125m3, 250cm3, 500cm3),
ou comme à la voile, on pourrait envisager de créer plusieurs
classements. Un pour les dopés –les Espagnols et les Italiens si on était mauvaise
langue–, l’autre pour les non-dopés –les Français si on était trop
indulgent avec eux. Et il y a fort à parier que les spectateurs
s’intéresseraient plus au classement des dopés –des plus forts–, comme
en moto on suit davantage les 500cm3 que les 125cm3. Ou que les non dopés
en aient assez de jouer dans la catégorie inférieure...
La grande hypocrisie
Au-delà
du simple jeu de passer des produits interdits en sponsor maillot,
notre rapport au dopage pose la question de notre rapport à
l’hypocrisie. On sait que cela a toujours existé. Laurent Fignon, récemment décédé, en témoignait lui-même,
et on fermait les yeux. Le dopage s’est professionnalisé, donnant
l’impression que la caravane du Tour s’est transformée en une immense
salle de shoot clandestine. On a essayé de le combattre plus ou moins et,
manifestement, on a échoué. On préfère fermer les yeux —et réprimer à
l’occasion— plutôt que d’encadrer. Un peu de courage!
Quentin Girard
Photo: Alberto Contador avec le maillot jaune. REUTERS/Susana Vera
Article mis à jour avec l'annonce du contrôle positif de Mosquera.