Culture

Le film sur Facebook qui ne parle pas de Facebook

Temps de lecture : 3 min

Ne pas se fier au trailer, The Social Network n'est pas un film sur la génération Facebook.

Jesse Eisenberg qui joue Zuckerberg, photo promo
Jesse Eisenberg qui joue Zuckerberg, photo promo

Regardez bien cette bande-annonce. Pendant les 40 premières secondes, vous y verrez plus de Facebook que durant les 2 heures de The Social Network, le biopic de Mark Zuckerberg, le fondateur de Facebook, qui est sorti le 13 octobre en France:

Contrairement à ce que semble indiquer ce «trailer» qui s'adresse opportunément aux 500 millions de personnes inscrites sur le réseau, The Social Network n'est pas un film sur la génération Facebook, mais plutôt un film de procès (réussi) qui raconte avec un dispositif minimal (une salle de réunion, des avocats et des protagonistes qui livrent leur version) l'accouchement difficile de la start-up Facebook. Pour les pokes, il faudra repasser. Ici, on parle pouvoir, trahison et millions de dollars.

Adapté du livre-enquête controversé The Accidental Billionaire de Ben Mezrich, The Social Network se concentre sur la création de Facebook quand Mark Zuckerberg était étudiant à Harvard.

Voici donc la légende telle qu'elle est imprimée: un soir de déprime, après s'être fait largué par sa copine, Zuckerberg crée Facemash, un Hot or not des filles du campus en récupérant frauduleusement des bases de données. 22.000 connexions en quelques heures. Le site fait exploser les serveurs d'Harvard, lui vaut un conseil de discipline et un début de gloire sur le campus. Auréolé de sa nouvelle étiquette de pirate cool, Zuckerberg se fait courtiser par les frères Winklevoss qui veulent monter le réseau social d'Harvard. Il accepte pour la forme mais monte dans son coin un projet similaire, TheFacebook, première version du site qui le rendra célèbre. Première trahison. Suivie d'une seconde avec son associé de la première heure, Eduardo Saverin, qui sera éjecté quand la start-up traversera les Etats-Unis pour s'installer en Californie.

Drogue et filles mineures

Mark Zuckerberg semble beaucoup s'inquiéter de l'image que renvoie de lui le film, auquel il a refusé de collaborer. Quelques jours avant la sortie en salle aux Etats-Unis, le patron de Facebook a donné 100 millions de dollars pour des projets éducatifs dans des écoles défavorisées. Pourtant, Zuckerberg sort plutôt renforcé du film, ou tout du moins mythifié dans la figure désormais classique du hacker devenu PDG. Il est dépeint comme asocial, maladroit, infidèle et opportuniste, mais d'abord comme un génie. Qu'il ait emprunté l'idée d'un réseau social d'Harvard à d'autres, peu importe! seule compte la mise en forme qu'il a réalisé à la perfection. Après tout, MySpace et Friendster existaient déjà à l'époque.

Le personnage de Sean Parker (joué par Justin Timberlake), fondateur de Napster qui se penche sur le berceau Facebook, offre en plus une patine rock'n'roll à Zuckerberg: des excès, de la drogue et des filles mineures. Après avoir vu le film, cette photo de la villa Facebook de Palo Alto qu'on trouve dans les profondeurs de sa page Facebook s'apparenterait presque à un shooting dans la villa Nellcôte où les Rolling Stones ont enregistré Exile on Main Street. Ouais, vu comme ça, c'est pas évident.

Si Zuckerberg s'en tire mieux que dans le livre The Accidental billionaire, c'est paradoxalement parce que le scénariste du film, l'excellent Aaron Sorkin, est très méfiant face à Internet. Le scénario polyphonique, où s'opposent les versions des différents protagonistes de l'histoire, est construit comme une critique métaphorique de la propagation des rumeurs infondées sur le web. Les accusations des frères Winklevoss et de Saverin sont sans cesse contre-balancées par la version Zuckerberg. «C'est avec une facilité confondante que [sur Internet] une assertion peut se transformer en vérité», explique Aaron Sorkin.

L'anonymat, la base de l'Internet?

Cette vision paranoïaque empêche l'oeuvre de pouvoir prétendre au statut de film générationnel comme le souhaitait le réalisateur David Fincher. La parano associée à Facebook ne porte pas sur la propogation de fausses informations, mais plutôt sur la problématique des données personnelles accessibles à tous. Une question qui n'est abordée que de manière parabolique dans The Social Network: lors du conseil de discipline à Harvard après la création de Facemash, Zuckerberg est accusé de «violation de la vie privée». Beau début de carrière pour l'entrepreneur qui clamera des années plus tard que la notion de vie privée est désuète.

Le film passe complètement à côté de la réflexion sur les usages de Facebook. Il y avait beaucoup à dire sur les modifications des relations amoureuses, surtout si l'on part du postulat scénaristique que Zuckerberg a créé le site la rage au ventre après une humiliante rupture. On remarquera juste cette phrase lâchée par Zuckerberg en pleine réflexion pour le lancement de TheFacebook: «Le moteur de la fac, c'est de répondre à la question "Avec qui tu couches?"». Après cette avancée théorique, Mark Zuckerberg part en courant rajouter dans le code la fonction «In a relationship», dont on peut effectivement penser qu'elle a contribué au succès du réseau social. Mais on ne saura rien sur l'histoire du poke.

Aaron Sorkin n'a en fait rien compris à l'Internet d'aujourd'hui, qu'il définit ainsi en interview: «C'est comme si vous étiez à un match des New York Giants et qu'une personne ivre criait quelque chose à un joueur, l'attaque personnelle la plus blessante, le truc le plus grossier, quelque chose qu'il n'oserait jamais lui dire en face [...] Mais on peut le hurler quand on est noyé dans la foule». Problème: l'anonymat, c'est précisément ce que Mark Zuckerberg essaie de faire disparaître sur Internet en imposant aux utilisateurs de mettre leur vrai nom, ce qui était la principale nouveauté de Facebook par rapport à MySpace.

The Social Network est un bon biopic. Mais pour une fiction sur Facebook, autant regarder ce clip:

Vincent Glad

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