En début de semaine, au tournoi de tennis de Tokyo, une Japonaise de 40 ans, Kimiko Date-Krumm, dominait Maria Sharapova, de 17 ans sa cadette. En juillet dernier, Merlene Ottey, 50 ans, Jamaïcaine devenue Slovène, participait aux championnats d’Europe d’athlétisme dans l’épreuve du 4X100m et rêvait de s’aligner en 2012 aux Jeux Olympiques de Londres, 32 ans après ceux de Moscou, les premières des sept olympiades auxquelles elle a participé (elle ne s’était pas qualifiée pour Pékin pour deux misérables centièmes de seconde). A Geelong, dans la banlieue de Melbourne, en Australie, c’est au tour de notre Jeannie Longo nationale, 52 ans le 31 octobre prochain, d’enfourcher sa bicyclette pour ses 27e championnats du monde sur route qui pourraient précéder ses 8e Jeux Olympiques en 2012. Classée 5e, mercredi 29 septembre, lors de l’épreuve du contre-la-montre, elle devrait prendre le départ, samedi 2 octobre, de la course en ligne.
«Le plaisir», tel est le leitmotiv et le carburant de ces sportives qui semblent incapables de mettre le mot fin sur des carrières souvent couvertes de gloire. «Le cyclisme, c’est ma vie», dit même Jeannie Longo qui n’en continue pas moins de gagner puisqu’elle a remporté, en juin dernier, à Chantonnay, en Vendée, son 57e titre national lors des championnats de France du contre-la-montre qui lui ont valu cette logique sélection pour les Mondiaux australiens. «On ne peut pas être blasée par un maillot tricolore, avait-elle alors indiqué. Et surtout pas d’entendre la Marseillaise.»
La cocardière Jeannie a été saluée par son public par le biais du baromètre de popularité que tient l’Equipe Magazine depuis 2004. En août, pour la première fois depuis que cet instrument de mesure existe, la Grenobloise est montée sur le podium derrière les deux Sébastien, Chabal et Loeb, mais devant Yoann Gourcuff. «Les centaines de mails reçus me prouvent que l’attitude des Bleus en Afrique du Sud a réactivé les notions de labeur, de mouiller le maillot et condamné le concept exécrable des gains sans travail, a-t-elle réagi. Je suis l’anti-fumiste par excellence, celle qui va toujours chercher à porter haut ses couleurs. Les «p’tits footeux» sont le reflet de ces mômes qui disent merde au prof et ne quittent jamais leurs écouteurs. J’aurais envie que les gamins de banlieue échangent leurs capuches contre des baskets pour rejoindre leurs copains qui gagnent des médailles en athlé…»
Caractère bien trempé
Un brin réac, Jeannie, qui refuse d’avoir un portable téléphonique? A n’en pas douter. Authentique? Toujours, à l’image d’un sale caractère qui a fait sa réputation. Un jour, en sa présence, Laurent Fignon s’était risqué à cette amabilité sur la «beauté» du cyclisme féminin. «Une femme sur un vélo, je ne trouve pas ça très esthétique», avait-il jugé. «Toi non plus sur un vélo, je ne te trouve pas très esthétique», avait-elle répondu du tac au tac en direct à la télévision.
Pathétique championne parce qu’elle ne se résout pas à une autre existence? Certainement pas, même s’ils sont nombreux à ricaner à chaque fois qu’elle réapparaît sur le devant de la scène, car après tout, elle ne vole la sélection de personne. «J’ai du mal à inventer l’avenir, y compris dans ma vie personnelle, a-t-elle reconnu sans fard dans les colonnes de l’Equipe Magazine il y a deux ans. Avec ma popularité, je pourrais aller n’importe où, sans me vanter. Je pourrais donner des conseils en diététique. Entraîner des jeunes, ça me plaît bien. En fait, je ne fais ni un gros volume d’entraînement, ni de compétition. Et je pourrais parfaitement m’occuper de beaucoup de choses à côté, mais je ne suis pas prête pour le cyclotourisme. Si je ne recevais pas tous ces témoignages de sympathie, il y a longtemps que j’aurais arrêté. Le complexe l’aurait emporté. Arrêter, mais pour passer à quoi? Il est trop tard pour passer à autre chose. Il y a des tas de moments où j’aurais pu arrêter. À partir du moment où l’on gagne, on s’expose déjà à redescendre et à dévaloriser son image, mais ça, c’est du marketing. Je me fiche du marketing. Et je n’ai pas de comptes à rendre avec mon image.»
Jeannie Longo a également un problème: elle gagne encore des courses ou décroche des accessits (4e à Pékin à une seconde du podium!) dans une discipline où la concurrence, c’est vrai, n’est pas toujours remarquable. Alors que sa carrière est faite et continue de la faire vivre par le biais de contrats que sa notoriété a pérennisés, ses jeunes concurrentes sont confrontées, elles, au défi de leur avenir professionnel dans un sport qui, financièrement, ne leur permet pas de voir loin. Leur implication à l’entraînement en souffre donc forcément.
Hygiène de vie
A l’instar de Martina Navratilova, victorieuse d’un titre du Grand Chelem en double à l’âge de 49 ans, Jeannie Longo a su garder une ligne impeccable grâce à un entraînement continuel mais adapté à son âge et à une hygiène de vie extrêmement rigoureuse. Jeannie Longo, qui a reconnu l’usage de compléments alimentaires (non interdits) comme la créatine, ne cuisine et ne mange que bio quand Martina Navratilova était devenue une végétarienne quasi obsessionnelle au point d’afficher à 50 ans un taux de graisse aussi minimal qu’à 30. Voir arriver Navratilova avec ses boîtes de graines et de fèves dans le restaurant dédié aux joueurs suscitait une vraie curiosité.
Jeannie Longo, Martina Navratilova et Merlene Ottey n’ont pas eu d’enfant, avantage non négligeable pour expliquer leur longévité exceptionnelle tant le corps se transforme et accuse le coup après une naissance. Mais la nageuse Dara Torres, triple médaillée d’argent aux Jeux de Pékin à l’âge de 41 ans après être devenue maman en 2006, a prouvé que la maternité, même tardive, n’était pas un handicap rédhibitoire dans une discipline aussi exigeante et concurrentielle que la natation, à fortiori dans les sprints courts, spécialité de Torres. Pour réussir dans son entreprise, la Californienne a privilégié la qualité à la quantité. Environ trois fois moins de kilomètres avalés à l’entraînement, mais un accent porté sur le renforcement musculaire et la récupération, notamment les étirements.
En effet, il est admis qu’un sportif de 40 ans récupère mieux que ses jeunes adversaires. Phénomène que Christophe Hautier, spécialiste au Centre de recherche et d’innovation sur le sport (CRIS), expliquait de la sorte à L’Equipe Magazine en 2008: «La perte de VO2 max peut être retardée par un entraînement adapté et peut être compensée par l’amélioration du rendement même de la VO2 max et la diminution du taux de graisse. Le vieillissement s’accompagne d’une perte de fibres musculaires rapides au profit de lentes qui ont un meilleur rendement et produisent moins de lactate. On peut donc penser qu’on va voir de plus en plus d’athlètes mûrs dans les sports d’endurance et les sports dits “intermittents”, comme le football.»
Car les hommes peuvent avoir aussi des carrières longues, comme le footballeur italien Paolo Maldini qui portait encore beau à 40 ans révolus. En 2008, Jamie Moyer, joueur de baseball de 47 ans, a mené les Philadelphia Phillies à la victoire dans le championnat américain. Cette année-là, le hockeyeur Chris Chelios, 46 ans, a également conquis la Stanley Cup avec les Detroit Red Wings. Et Michael Jordan et Lance Armstrong ont prouvé qu’à près de 40 ans, il était encore possible de rivaliser avec les meilleurs au plus haut niveau. Même s’ils sont restés des enfants de chœur, et des gamins, à côté de l’éternelle Jeannie Longo.
Yannick Cochennec
Photo: Jeannie Longo aux championnats du monde en 2009, REUTERS/Denis Balibouse