Contrairement à la plupart des politiciens, qui ont bien trop peur de se mettre à dos l’énorme groupe d’intérêts des heureux propriétaires de mains, Christine O'Donnell affiche ouvertement son opposition à la masturbation. «La Bible dit que quiconque a le cœur plein de luxure commet l’adultère. Et on ne peut pratiquer la masturbation sans luxure» s’est-elle étendue en 1996. «S’il sait déjà ce qui lui plaît, et qu’il peut se faire plaisir tout seul, alors pourquoi ne pas me mettre sur la touche?» O’Donnell, aujourd’hui candidate au siège de sénateur du Delaware, n’a pas idée à quel point il est difficile pour un homme de s’amuser tout seul sans se toucher, justement.
C’est en tant que fondatrice du groupe de pression chrétien Savior's Alliance for Lifting the Truth, inspiré par des travaux réalisés pour le groupe de lutte contre la pornographie Enough Is Enough—dont la présidente, Donna Rice Hughes, a trouvé sa voie après une liaison extraconjugale avec l’ancien sénateur Gary Hart—qu’O’Donnell a fait ces déclarations hautement philosophiques. Celle-ci a découvert sa vérité après être allée à la fac dans le New Jersey et avoir eu des relations sexuelles sans lendemain, ce qui à mon sens est contenu tout entier dans la formule «aller à la fac dans le New Jersey». Elle déclare aussi avoir «tâté de la sorcellerie» à l’université, ce qui a dû la dégoûter au point qu’elle en est devenue une farouche opposante de l’onanisme, car il est bien connu que les sorcières se tripotent bien plus que n’importe quel autre groupe à part, bien sûr, les sirènes, les nymphes des bois, les succubes et tous les mâles de toutes les espèces confondues.
La veuve poignet
Bien que la pruderie d’O'Donnell lui ait valu de nombreuses railleries, en fait je pense qu’elle a raison. La masturbation nuit au couple. Notre culture sexuelle empreinte de pornographie, qui nous incite à tout faire nous-mêmes, produit des maris qui préfèrent s’isoler une heure dans leur sous-sol plutôt que d’essayer de négocier un rapprochement avec leurs épouses—surtout vu que ces épouses n’ont pas toutes la docilité des Asiatiques… Tout comme nous serions bien plus proches de nos femmes si nous ne les fréquentions qu’aux heures des repas, nous aurions très, très, mais très envie de les voir si nous ne courtisions jamais la veuve poignet. Et puis nous gagnerions aussi considérablement en efficacité. Imaginez que nous n’utilisions nos ordinateurs que pour travailler. La révolution industrielle ne se serait jamais produite si en tirant un levier de l’usine dans un sens on fabriquait une Ford T, et en le poussant dans l’autre sens, on voyait deux pépettes en train de se grignoter la praline.
Mon épouse, qui n’a pas tout à fait tort de s’inquiéter à l’idée que les images pornos ont démoli mon aptitude à nouer des liens de façon naturelle, trouve plutôt sain que je me fasse mousser le créateur en l’évoquant dans mes fantasmes. Ce qui est d’une naïveté sans bornes. Parce que si elle avait la moindre idée de ce qu’elle subit dans ces rêves-là, elle essaierait de s’en débarrasser dare-dare.
Des cours d'auto-érotisme
Il y a quelques dizaines d’années, se placer publiquement comme un adversaire du plaisir solitaire n’avait rien de démentiel. L’épisode de Seinfeld sur la masturbation a choqué en 1992, et la ministre de la Santé Joycelyn Elders a dû démissionner en 1994 pour avoir suggéré que l’auto-érotisme pourrait être enseigné dans le cadre de l’éducation sexuelle. Ce qui aurait été une idée de génie, vu que cela aurait permis aux garçons d’avoir de meilleures notes que les filles, pour une fois.
J’ai voulu voir si j’étais capable de réduire ma dépendance, et j’ai contacté Craig Gross, fondateur du site chrétien destiné aux accros du porno xxxchurch.com. C’est un anti-masturbation farouche, qui préfèrerait, m’a-t-il confié, que ses enfants se fichent dedans et aient des rapport sexuels avant le mariage plutôt que d’adopter des habitudes qu’ils ne seraient plus capables d’abandonner ensuite, même après avoir trouvé un conjoint. «La fille de Laurence Fishburne se lance dans le porno et tout le monde se récrie «pauvre Laurence Fishburne!» mais quand Christine O'Donnell fait cette déclaration, tout le monde lui saute à la gorge» se raidit-il. «Personne ne veut tout mettre dans le même panier: le porno, la masturbation, les époux infidèles et les maîtresses de Tiger Woods dans le magazine People». Gross m’a aussi expliqué un tas de trucs très précis sur ce que touchent les femmes en fonction des actes qu’elles pratiquent dans les films X, ce qui devait être assez bizarre pour lui vu que j’entendais ses enfants, qu’il conduisait à un concert des Jonas Brothers, parler à l’arrière de la voiture. Ce sont peut-être les seuls gamins d’Amérique qui auront davantage besoin d’une analyse que mon fils à moi.
Du porno partout
Après m’être longtemps penché sur la question, j’en suis venu à la conclusion que je ne vais sans doute pas arrêter de mettre la main à la pâte. Enfin je veux dire, je me retiens quand même le temps d’écrire ce papier, mais ça s’arrête là. Et je ne crois pas que Christine O'Donnell devrait devenir sénatrice, pas même d’un État sorti de nulle part comme le Delaware. Je dois admettre pourtant qu’elle et le reste du mouvement d’extrême droite jouent un rôle important dans ma vie. Quand on les écoute au lieu de se moquer d’eux par réflexe—ce qui est très difficile, surtout quand ils tâtent de la sorcellerie—ils peuvent nous forcer à regarder en face les inconvénients du progrès. Et à voir du porno partout, partout, partout.
Mais il y a une autre sorte de progrès: les enfants gagnent indubitablement à grandir sans avoir honte de leurs corps et de leurs désirs sexuels, honte qui en a poussé certains au suicide, à l’auto-flagellation et à la prêtrise. Les conservateurs de la trempe d’O'Donnell avancent que les normes sociales façonnées par des millions de gens sur des milliers d’années contiennent une forme de sagesse qui doit contrebalancer le progrès. Toutes les avancées ont des mauvais côtés, et on peut vouloir que sa vie sexuelle virtuelle ne consume pas la vraie. Même si elle est vraiment, vraiment, vraiment bien mieux. Bon, faut que j’y aille.
Joel Stein est chroniqueur pour le magazine Time. Il est aussi l’auteur d’un livre mais qui ne sortira qu’en 2012, alors ce n’est même pas la peine d’en parler.
Traduit par Bérengère Viennot