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Zéro pointé à la dernière Mostra de Venise, un chœur de critiques: le cinéma italien serait-il en crise?

Ieri, Oggi, Domani
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«Marcello, where are you?», voilà l’image, la caricature même, du cinéma italien. Un film, La Dolce Vita, un acteur, Marcello Mastroianni, et le son de la voix sensuelle d’une belle actrice suédoise, Anita Ekberg, dans la fontaine de Trevi. Mais aujourd’hui, «Marcello» résonne dans le vide. Le cinéma d’antan, son âge d’or, ses monstres sacrés (Fellini, Rossellini, Antonioni, De Sica, Comencini), ses mouvements (néoréalisme «à l’italienne», comédie «à l’italienne»...), c’est fini. Une tragédie, pour certains qui dénoncent le zéro pointé italien à la dernière Mostra de Venise (malgré une présence massive de 41 films, les locaux n’arrivent même pas à décrocher un prix de consolation) et la chasse au Lion d'Or, bredouille depuis douze ans. Ainsi, Gabriele Salvatores, réalisateur, parle de «carence inventive», de «cinéma prisonnier de ses pères», et regrette les réalisateurs d’antan, qui «savaient raconter l’Italie de façon universelle».

Dans un entretien à Panorama, Sandro Bondi, ministre de la Culture, parle même de «manque d’authenticité», de «films qui ne transmettent pas d’émotions et n’arrivent pas à dépasser les frontières nationales». Et, surtout, de «crise». Le mot est lâché. Le cinéma italien serait-il en crise?

Une floraison d’acteurs, réalisateurs, et films de qualité

Etonnante question. Quand on regarde les récentes productions, elle paraît même insensée. Pourquoi parler de crise quand l’Italie regorge de réalisateurs talentueux? Les moins férus de cinéma italien ne peuvent peut-être pas énumérer quatre ou cinq jeunes réalisateurs doués, mais leurs films ont connu un franc succès critique en France: Gabriele Muccino (Juste un baiser, A la Recherche du Bonheur, Sept vies), Matteo Garrone (L’Etrange monsieur Peppino, Gomorra) Emanuele Crialese (Respiro, Golden Door), Paolo Sorrentino (L’Ami de la famille, Il Divo), prouvent la vitalité et l’inventivité du secteur. Les plus jeunes sont un peu moins connus, Antonello Grimaldi (Caos Calmo), Gianni di Gregorio (Le déjeuner du 15 août), Riccardo Milani, Anna Negri pointent le bout de leur caméra; et les réalisateurs de «l’ancienne génération» continuent à produire des films de qualité: Giuseppe Tornatore, qui a remporté en 1990 l’Oscar du meilleur film étranger pour Cinema Paradiso, Gabriele Salvatores, le même prix deux ans plus tard, pour Mediterraneo, Nanni Moretti (La chambre du fils, Journal Intime, Le Caiman...), Marco Tullio Giordana (Nos meilleures années, I cento passi), Bernardo Bertolucci (Un thé au Sahara, Le Dernier Empereur, The Dreamers), Pupi Avati (Un coeur ailleurs), Silvio Soldini (Pain, tulipes et comédie). Etc.

Les reconnaissances critiques et publiques ne manquent pas, surtout hors d’Italie. Newsweek a récemment placé Nos Meilleures Années, de Marco Tullio Giordana, parmi les 10 meilleurs films de la dernière décennie. A la Berlinale 2010, nombreux sont les réalisateurs italiens à l’affiche: Ozpetek, Guadagnino, Soldini, Pietro Marcello. Et puis Cannes, bien évidemment, où l’acteur italien Elio Germano a remporté le prix d’interprétation masculine 2010 pour La Nostra Vita. En 2008, deux films italiens se font remarquer au festival le plus médiatisé au monde: Gomorra remporte le Grand Prix (celui que remporte en 2010 le Français Beauvois pour Des Hommes et des Dieux), et Il Divo le prix du Jury (l’année suivante, la France gagne le Prix du jury avec Les Herbes Folles). La dernière Palme d’or italienne remonte à 2001 pour La chambre du fils de Nanni Moretti (la France la remporte en 2008 avec Entre les Murs).

La question «manque de créativité» est donc écartée. Le cinéma italien serait-il «prisonnier de ses pères»? Salvatores touche une corde sensible. La nostalgie de l’âge d’or reste, c’est indéniable. On se berce dans le souvenir d’un passé idéalisé où le cinéma était la fierté nationale. Mais qui, on? Les réalisateurs, tout d’abord, bien conscients de l’héritage culturel qui les précède. «Aucun, ou presque, des réalisateurs des générations suivantes, n’ont voulu s’en débarasser complètement, d’un geste oedipien, comme l’ont fait les réalisateurs de la Nouvelle Vague, explique Gian Piero Brunetta, même si Fellini et Antonioni ont ouvert de nouveaux chemins. Héritage et mémoire ont continué à agir de façon positive et à alimenter la créativité de nombreux réalisateurs, des années 1960 jusqu’à maintenant avec Garrone, Sorrentino, Ozpetek, Virzì, Luchetti, Diritti, Crialese, Alina Marazzi, Costanzo, Frammartino...»

Ainsi le cinéma italien est certainement moins osé que son homologue français. Oui, peut-être, comme l’affirme Salvatores, le cinéma italien n’a pas tué ses pères. Mais bien plus qu’un drame, on peut voir là le reflet de l’Italie contemporaine: «Les Italiens sont plus conformistes, plus conformistes même que les fameux pères du cinéma italien, avance Alessandra Priante, représentante d’Eurimages (Fonds du Conseil de l’Europe pour l’aide à la coproduction, à la distribution et à l’exploitation d’œuvres cinématographiques européennes) auprès du ministère italien de la Culture. Mais conformisme n’est pas synonyme de moindre intérêt ou de faible qualité, le conformisme est tout simplement un reflet de la situation actuelle.»

Une économie trop légère?

Si ni le manque créativité, ni les grandi maestri ne sont responsables de la disette du cinéma italien à Venise, qui blâmer, alors? Le gouvernement, l’économie? La situation économique et les politiques culturelles ne viennent certes pas en aide au cinéma transalpin. Depuis 2005, le gouvernement coupe dans les subventions: cette année, le Fonds Unique pour le Spectacle, par lequel le gouvernement régule l’intervention publique dans le monde du spectacle, a été réduit de 40%, et est passé de 464 à 300 millions d’euros. Crise oblige, il est aujourd’hui difficile d’obtenir des financements pour la productions de films. Comme dans d’autres pays européens, dans une période d’austérité, «le premier budget à être réduit, c’est la culture», explique Alessandra Priante, qui cite l’exemple de la fermeture du «UK film Council» (le conseil du film britannique, principale organisation de distribution des subventions publiques au septième art).

D’autres, comme Gian Piero Brunetta, sont plus sévères envers la politique italienne. Dans une analyse à paraître dans le numéro de novembre de la revue Belfagor, l’historien et critique de cinéma affirme: «Berlusconi et ses ministres considèrent spectacle et cinéma comme une dépense infructueuse pour l’Etat, et non comme un investissement culturel.»

Cela dit, le cinéma ne s’en sort pas si mal. Depuis une année, un système de crédit d’impôts favorise la production de films et fait souffler l’industrie. Et l’aide des «Film Commission», autorités administratives indépendantes, et le Tax Shelter permettent plus ou moins de compenser les coupes du Ministère.

«Bien sûr, il est très difficile de trouver des fonds, qu’ils soient publics ou privés, pour faire un film, précise Inigo Lezzi, producteur. Chaque pays a son système, et peut-être qu’aujourd’hui, il est plus facile de trouver des fonds à l’étranger qu’en Italie. Mais ceux qui savent exercer leur métier de producteurs savent aussi trouver des fonds.»

Une idée que semble partager le ministre de la Culture Sandro Bondi, qui, dans l'interview à Panorama, affirme que «le financement de l’Etat n’aide pas à faire de bon films. Un bon projet trouve toujours les financements privés nécessaires».

La difficile reconquête du marché international

Admettons qu’un bon film, dans un marché qui fonctionne, trouve toujours son public et n’ait donc pas besoin d’aides artificielles de la part de l’Etat. Le problème, c’est que le marché cinématographique n’est pas parfait en Italie. Il est surtout trop petit; du coup, les débouchés dérivés, commes les DVD, sont limités. Ainsi le film Amore, de Luca Guadagnino, a réalisé 4,8 millions de dollars aux Etats-Unis. Et en Italie? A peine 260.000 euros, moins qu’en Australie, en Espagne, et au Royaume-Uni. Ce qui pose problème pour les films d’envergure, les films ambitieux qui requièrent un budget relativement élevé.

«Les dimensions du marché ont un rôle fondamental, explique Umberto Boeri, de Fox Italie. Les dimensions du marché américain par exemple, ont eu un rôle important dans l’ascension mondiale d’Hollywood, à tel point que dès les années 1920 et 1930, l’Europe était déjà consciente de l’importance de développer un marché unique du cinéma pour pouvoir rivaliser avec les Etats-Unis.»

Ce n’est pas un hasard si dans les années 1960 et 1970 les films qui ont eu le plus de succès étaient des coproductions entre pays européens. La plupart, d’ailleurs, étaient des coproductions franco-italiennes, comme Le Mépris, Rocco et ses Frères, La Grande Pagaille, La Dolce Vita, Roma, Les Nuits de Cabiria, La Grande Bouffe...

«Mais entre problèmes linguistiques, politiques et bureaucratiques, le rêve d’un grand marché européen du cinéma est loin de se réaliser. Les contributions publiques restent primordiales pour le développement du cinéma italien», conclut Boeri.

Pourtant, le potentiel est là, le cinéma italien possède des atouts qui peuvent intéresser à l'international. Les producteurs étrangers commencent à se pencher sur le marché italien: Fox, Universal et Warner Bross y croient et se sont lancés dans la production italienne, qui sait rencontrer son public, comme l’a montré le carton de Gomorra: plus de 10 millions d’euros de recettes dans les salles italiennes, et autant à l’étranger.

Mais, faute de stratégies de marketing de développement à l’étranger, le succès à l’export du cinéma italien patine. Une étude, menée par l’ICE (Institut national pour le Commerce Extérieur) et l’Anica (Association nationale des industries cinématographiques et audiovisuelles), révèle qu’entre 2006 et 2008, la valeur totale de l’exportation des films italiens est de 26 millions d’euros, pour 172 titres distribués à l’étranger. En gros les profits tirés des exportations ne couvrent que 8% des coûts. Gian Piero Brunetta explique: «Il n’y a pas eu suffisamment de coproductions, et la concurrence internationale ainsi que l’émergence de nouveaux pays se sont fait sentir.»

Une nostalgie malsaine

La reconquête du marché international, un défi de taille, est d’autant plus importante que, tant qu’il ne sera pas levé, le cinéma italien aura du mal à se débarrasser de si merveilleux habits d’antan. Car hors des frontières italiennes, l’idée d’un âge d’or, révolu, du cinéma, est encore très présent. En France par exemple, les films néoralistes continuent à avoir un grand succès, et on parle toujours au présent de réalisateurs comme Pasolini, Fellini (il suffit de voir le succès rencontré à Paris l’an dernier par l’exposition Fellini, la Grande Parade)... Au point que l’on ne juge les nouveaux films qu’en fonction du meilleur des films de l’âge d’or du cinéma italien. Le reflet est forcément décevant. Ainsi, «dès qu’un film se caractérise par son imagination visuelle, on parle de sous Fellini, ironise Jean Antoine Gili, spécialiste du cinéma italien, actuellement délégué général du festival du cinéma italien d’Annecy, quand il parle de crise existentielle, on parle de sous Antonioni...».

Et ainsi de suite. Quand une comédie sort dans les salles, c’est tout de suite une «nouvelle comédie à l’italienne». Enfin, si elle a du succès, bien évidemment. Sinon elle ne serait pas digne d’être associée à ce courant illustré par Alberto Sordi, Totò, Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni... Le déjeuner du 15 août, de Gianni di Gregorio, sorti en France en mars 2009, en est le parfait exemple. Gianni, vieux garçon d'une cinquantaine d'années, vit avec sa mère. A cause de sa situation financière délicate, et d’une série de hasards, Gianni se retrouve à passer le Ferragosto (l'Assomption) avec sa mère et deux autres octagénaires. Sur l’affiche française du film, un slogan vendeur: «Le grand retour de la comédie à l’italienne.» Et il suffit de jeter un coup d’oeil aux critiques pour se rendre compte à quel point la formule film+italien+drôle+réussi rime avec «comédie à l’italienne» et siècle dernier: «Gianni di Gregorio ressuscite la grande comédie italienne, tout en donnant une leçon sur l'art de réussir un long-métrage avec un budget ridicule», lisait-on dans le Parisien. «Pour son premier film, Gianni Di Gregorio (...) réussit une lucide chronique de moeurs familiales. Sans la dérision ni la méchanceté nécessaires pour signer ici le retour tant attendu de la comédie italienne», écrivait Première. Même quand le critique n’aime pas, la référence à l’âge d’or reste: «Le déjeuner du 15 août n'est pas le retour tant attendu aux comédies italiennes des années 1970 (...) tout ça manque d'originalité, de méchanceté, d'ironie et de vrais sentiments, même s'ils sont détestables... », lâchait DVDrama.

Comme si le summum auquel un film italien pouvait aspirer, ce serait de s’inscrire dans un ancien courant cinématographique. Défi non seulement insensé, mais aussi impossible. On comprend peut-être mieux alors l’expression de Gabriele Salvatores: «un cinéma prisonnier de ses pères», prisonnier d’une vision nostalgique du cinéma italien. «C’est tout le problème de quelqu’un qui organise un festival: ne pas accorder trop de place au patrimoine, explique Jean Antoine Gili. Car si on se donne la peine de faire comprendre au public que le cinéma italien, ce n’est pas que du passé, si on le sensibilise aux nouveaux réalisateurs, le public suivra.»

Margherita Nasi

Photo: Ieri, Oggi, Domani, photogramme du film, Wikimedia.

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