Culture

Le bégaiement du passage à la projection numérique (3/3)

Temps de lecture : 2 min

Troisième partie de notre série sur la menace d'un cinéma à deux vitesses.

Un projectionniste de Bollywood. REUTERS/Danish Siddiqui
Un projectionniste de Bollywood. REUTERS/Danish Siddiqui

Quatre événements très hétérogènes ont marqué le cinéma français au cours de ce mois de septembre: deux affrontements politiques de natures opposées (lire la 1re partie), un film (lire la 2e partie) et une loi. Ensemble, ces phénomènes dessinent un assez bon état de la situation d’ensemble.

L’enjeu politique qui oppose une construction d’ensemble accompagnée par la puissance publique au nom de l’intérêt commun à une cassure avec des industriels prospères d’un côté et des petits artisans misérables éternellement assistés de l’autre est l’une des formes de rupture toujours menaçante dans le cinéma français (lire la 2e partie). Ce n’est pas le seul.

Ce risque permanent de la cassure a surtout été illustré cette année par le plus gros «dossier» actuel du cinéma français, le passage généralisé à la projection numérique. On estime qu’en avril prochain, plus de la moitié des salles seront équipées, et qu’avant fin 2012 la projection commerciale à partir d’une pellicule sera devenue marginale. Formidable mutation, que le Centre national du Cinéma aura par trois fois tenté d’accompagner. Une première fois en commandant un rapport à Daniel Goudineau, lequel présenta en juin 2006 un tableau clair de la situation et les solutions d’intérêt collectif à y apporter. Ce projet fut torpillé par le lobbying des groupes le plus puissants. Une deuxième fois en 2009 avec la mise en place d’un dispositif de mutualisation des risques, qui permettait que le passage de l’ensemble du parc de salles au numérique ne laisse pas sur le carreau les moins bien armés financièrement. En février 2010, les mêmes grands groupes ont obtenu que le Conseil de la concurrence bloque ce projet. Enfin grâce à une loi, qui vient d’être définitivement adoptée, le 16 septembre.

Cette loi est un pis-aller au sens où, au lieu d’organiser l’ensemble du secteur et ses 4.500 écrans, elle laisse les mains libres aux grands groupes, mais met en place un mécanisme de soutien pour les autres, environ 1.500 écrans aux ressources financières insuffisantes: une approche plus caritative que politique de l’action publique, mais qui évite du moins le pire. Et pour laquelle des moyens significatifs (125 millions d’euros) ont été dégagés.

Il reste pourtant un énorme point aveugle. En effet le passage au numérique rend beaucoup plus facile, dans les multiplexes, la modification de l’offre selon les seuls critères du marché. Ce nouveau risque est bien à nouveau celui d’un cinéma à deux vitesses, cette fois-ci du côté de la diffusion. Nous vivons en effet une période d’incroyable prospérité pour les salles de cinéma, auxquelles des Cassandre avaient naguère promis une prompte disparition: 2009 a été la meilleure année depuis un quart de siècle, où pour la première fois la barre des 200 millions d’entrées à été franchie. Et le premier semestre 2010 affiche une nouvelle progression vertigineuse, +10%. Mais cette manne ne profite pas à tous, on assiste au même moment à lea fragilisation, parfois l’agonie, de salles indépendantes dont beaucoup de celles qui permettent la présence locale d’une offre de films dans les quartiers, les petites villes, en milieu rural, et des programmations alternatives offrant une très grande variété de films.

Pour empêcher que les grands circuits qui contrôlent les multiplexes ne profitent de l’extraordinaire souplesse offerte par le numérique pour inonder le marché et marginaliser encore plus les petites salles et les petits films, sont mis en place des «engagements de programmation». Les groupes y déclarent, sur une base volontaire, leur politique d’offre, celle-ci devant offrir certaines garanties de diversité sans écraser la concurrence.

Le problème est qu’aujourd’hui ces engagements ne sont pas publics, et que rien ne garantit vraiment qu’ils seront de nature à limiter les possibles effets pervers du passage au numérique, ni que, au cas où ils ne seraient pas respectés, cela donnerait lieu à des sanctions dissuasives.

Jean-Michel Frodon

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