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Ahmadinejad et ses amis

Temps de lecture : 5 min

Les sanctions internationales contre l’Iran sont loin de fragiliser le régime de Téhéran.

Mahmoud Ahmadinejad à Kerman, en mai 2010 - REUTERS/Ho New
Mahmoud Ahmadinejad à Kerman, en mai 2010 - REUTERS/Ho New

Les observateurs occidentaux auraient tort de se réjouir: les dernières sanctions internationales visant à semer la discorde au sein des élites iraniennes ne portent leurs fruits... qu'en apparence.

Ces dernières semaines, les médias iraniens ont largement fait état des querelles publiques opposant le président Mahmoud Ahmadinejad au reste du pays, qu'il s'agisse du Majles (le Parlement iranien), du chef de l'appareil judiciaire, des commerçants des bazars (qui constituent l'une des principales forces économiques du pays), du parti conservateur Motalefeh ou encore de certains des religieux radicaux les plus puissants et influents du pays. A tel point qu'à la fin du mois d'août, l'ayatollah Ali Khamenei a dû intervenir, exigeant des responsables politiques qu'ils mettent un terme à leur conflit permanent, du moins en public, et mettent leurs énergies en commun pour améliorer la situation du pays.

Pour certains, l'appel du guide suprême semble traduire un geste désespéré, le signe que le régime commence à se désagréger sous le poids de la mauvaise gestion économique, de l'effet des sanctions et du mécontentement persistant vis-à-vis des résultats électoraux de l'an dernier et de la violente répression qui s'était ensuivie. Mais tout cela n'est guère plus qu'un vœu pieu maquillé en analyse politique. En réalité, ces récentes querelles sont monnaie courante dans le système politique iranien.

Des tensions internes au régime

Les tensions qui entourent Ahmadinejad ne découlent pas des sanctions internationales, du moins pas directement. Elles ne signifient pas non plus la renaissance du mouvement vert. Elles représentent essentiellement l'expression du mécontentement des conservateurs iraniens face au statu quo. Après les mesures énergiques prises par le régime à l'encontre de l'opposition progressiste et réformiste, il est vrai que cette dernière s'est retrouvée considérablement affaiblie. Aujourd'hui, seuls les conservateurs gardent des postes d'influence. Mais cela ne signifie pas pour autant que tout le monde est d'accord avec le président. Certains de ces responsables conservateurs se sont même mesurés à Ahmadinejad dans les urnes: Ali Larijani et Mohammad Qalibaf, respectivement président du Parlement et maire de Téhéran, étaient tous les deux candidats à l'élection présidentielle en 2005. En 2009, Mohsen Rezaï, ancien commandant en chef des gardiens de la révolution, avait à son tour tenté sa chance face au président en poste. Leurs différences vont de la rhétorique – de nombreux conservateurs traditionnels considèrent que les grands discours provocateurs d'Ahmadinejad n'ont pas servi la cause du pays sur la scène internationale – à la pratique: le président a ostensiblement restreint les prises de décision en matière économique à ses seuls hommes de confiance.

Depuis qu'Ahmadinejad est au pouvoir, l'opposition des religieux conservateurs est une constante: dès le début de son premier mandat, lors de l'une de ses seules tentatives de main tendue en direction des Iraniens progressistes et urbains, il avait décrété que les stades de football devraient être autorisés aux femmes. Cette déclaration avait entraîné une vague de protestations de la part de tous les religieux et politiques conservateurs confondus. Les marchands de bazar les plus en vue tiennent également, depuis longtemps, le président responsable de ce qu'ils considèrent comme une mauvaise gestion de l'économie. Ils lui reprochent ses projets de réforme visant à augmenter les impôts de certains Iraniens et à réduire le montant des subventions sur l'essence et certains produits alimentaires.

Des querelles expliquées par la nature du régime

Même si elles ne sont pas nombreuses, le fait que des voix s'élèvent en opposition à Ahmadinejad n'a rien de surprenant pour quiconque connaissant un tant soit peu cette république islamique: malgré ses évidentes carences démocratiques, ce pays n'a jamais vraiment été la dictature absolue et monolithique qu'on imagine souvent, et son président ne peut en aucun cas être considéré comme un dictateur. Malgré les admonestations du guide suprême, les conservateurs et religieux les plus réputés n'ont aucune raison de cesser leur opposition: Ahmadinejad a maintes fois prouvé qu'il n'était pas le dernier au petit jeu des querelles politiques internes, que ce soit en infiltrant les sphères d'influence traditionnelles d'autres élites ou en les court-circuitant dans leur ensemble lors de prises de décisions importantes.

En général, ce genre de manigances politiques est toléré par le guide suprême, car son premier souci reste l'obédience du système vis-à-vis de son statut. Et sur ce point, il n'a aucun souci à se faire, surtout après les purges de l'année dernière. Khamenei s'efforce d'écouter les conseils des conservateurs anti-Ahmadinejad et encourage même parfois les remises en question directes de la politique du président via Kayhan, premier quotidien iranien et organe du bureau du guide suprême.

Alors pourquoi s'est-il soudainement résolu à mettre un terme aux querelles publiques? L'une des raisons possibles est l'attention démesurée dont elles ont fait l'objet. Khamenei est sans aucun doute conscient du fait que les ennemis de l'Iran attendent ardemment des signes d'affaiblissement du régime, ce qui serait idéal pour justifier des attaques militaires. En insistant sur la notion d'unité, à l'image de ce qu'a fait, ces dernières semaines, l'ancien président, l'ayatollah Ali Akbar Hashemi Rafsanjani, qui n'est guère fan d'Ahmadinejad, Khamenei veut vraisemblablement renvoyer une image de force, sur le plan intérieur comme international, à un moment crucial de l'histoire du pays. Cette volonté de rassemblement n'est pas une réaction précipitée face aux sanctions, mais plutôt une démonstration de force savamment orchestrée, en réponse à l'adversité extérieure.

Un train de retard pour les sanctions

Le fait est qu'il existe un large consensus au sein de l'échiquier politique iranien au sujet des principaux problèmes de politique étrangère, surtout sur le nucléaire. L'administration du président Obama a beau prétendre que les dernières sanctions les plus strictes semblent fonctionner dans la mesure où elles forcent la république islamique à envisager des négociations sur le problème du nucléaire, les dirigeants iraniens étaient déjà d'accord sur ces compromis avant même que lesdites sanctions ne soient prises. Et il n'y a aucune raison de douter de la bonne foi affichée dans la déclaration de Téhéran, que l'Iran a signée avec la Turquie et le Brésil, selon laquelle il acceptait un échange d'uranium enrichi et suggérait même des négociations supplémentaires avec l'Agence internationale de l'énergie atomique (AIEA) et le P5+1 (le groupe de six pays chargés des négociations avec l'Iran). Selon Téhéran, ce sont les Etats-Unis qui ont rejeté cette proposition sans même l'avoir véritablement étudiée.

L'idée selon laquelle les tensions entre dirigeants iraniens se sont aggravées à la suite des sanctions ou que ces dernières sont responsables de l'apparente disposition du régime à discuter, est une mauvaise lecture de la scène politique à Téhéran. Cela reviendrait essentiellement à ignorer le long passé d'affrontements et de rivalités entre de fortes personnalités, qu'elles soient politiques ou religieuses. En outre, l'histoire a montré que les menaces extérieures tendaient à resserrer plutôt qu'à distendre les liens entre dirigeants iraniens. L'unité n'a pas besoin d'être forcée. Toutefois, l'appel du guide suprême en faveur d'une cessation des querelles est vraisemblablement motivée par sa crainte profonde (voire parfois paranoïaque) qu'une réponse conciliante face à l'hostilité ambiante revienne à tomber dans un piège tendu par les Occidentaux. Un piège où l'Iran se retrouverait soudainement redevable vis-à-vis de puissances supérieures ou connaisse d'une «révolution de velours».

En clair, l'heure n'est pas aux petites querelles intestines. Et même les conservateurs qui ont une dent contre Ahmadinejad ne voudront pas risquer de ternir leur réputation auprès de Khamenei en apaisant les ennemis – réels ou supposés – du régime. D'autant que 2013, année de la prochaine présidentielle, n'est pas si loin.

Par Hooman Majd

Traduit par Micha Cziffra

Photo: Mahmoud Ahmadinejad à Kerman, en mai 2010 - REUTERS/Ho New

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