Fin août, au fort de Brégançon, le président de la République a annoncé un coup de rabot de 10 milliards d’euros sur les niches fiscales. A peine, en fait, de quoi couvrir le manque à gagner pour l’Etat de la suppression de la taxe professionnelle (TP) au 1er janvier. Une mesure confirmée dans la précipitation et qui aura coûté cher cette année aux finances publiques.
Cuisine fiscale
Le deuxième semestre 2009 a été riche en créativité fiscale. Jean-Louis Borloo, ministre de l’Ecologie et de l’Energie, déployait des trésors de pédagogie pour justifier l’introduction d’une taxe carbone chère à Nicolas Sarkozy. Les entreprises (comme les particuliers) auraient dû payer cette nouvelle taxe. Aussi, pour qu’elles ne soient pas pénalisées par un impôt supplémentaire, on leur supprimerait la taxe professionnelle (TP). Certes, le chef de l’Etat a toujours voulu dissocier les deux dispositions. Mais pour les collectivités locales, les deux mécanismes étaient intimement liés, l’un devant prendre la succession de l’autre pour éviter un assèchement de leurs finances.
On sait le sort qui fut réservé à la taxe carbone dans les derniers jours de 2009, censurée par le Conseil constitutionnel à cause d’un trop grand nombre d’exemptions dans son application. Exit la taxe et les nouvelles recettes. Restait la suppression de la TP, et le manque à gagner pour les collectivités.
L’histoire d’un impôt honni et si pratique
Depuis qu’elle existe, la taxe professionnelle a toujours été qualifiée d’impôt anti-économique. Assise à l’origine sur la masse salariale et les investissements, elle était dissuasive pour l’embauche et la modernisation des entreprises. Il y a une dizaine d’années, pour débloquer l’emploi, elle fut allégée de son volet «salaires». Restait le volet «investissements». Lorsque Nicolas Sarkozy décida d’en faire table rase pour inciter les entreprises à ne pas délocaliser leur activité, les responsables de régions de départements et de municipalités, qui voyaient une partie de leurs recettes s’envoler, montèrent au créneau. Rien n’y fit: la décision était prise, elle serait appliquée.
Effectivement, le 1er janvier 2010, la TP était définitivement supprimée, comme le prévoyait la loi de finances. «Aucun gouvernement ne reviendra sur cette réforme», affirme-t-on dans l’entourage de Christine Lagarde, ministre de l’Economie. Mais il fallait compenser le manque à gagner pour les collectivités locales. Pour deux raisons: d’abord, en sortie de crise, elles doivent pouvoir poursuivre leurs investissements (elles sont à l’origine de 75% des investissements publics en France) pour relancer l’économie; ensuite, l’Elysée ne voulait pas qu’une baisse des ressources puisse justifier une augmentation de la fiscalité locale imputable à une décision présidentielle.
6 milliards d’euros, le coût de la précipitation
De nouvelles taxes furent décidées, ainsi qu’un transfert des recettes fiscales de l’Etat vers les collectivités. Mais il était bien trop tard pour que le nouveau dispositif soit intégralement mis en place dès 2010. Cette année, c’est donc l’Etat qui compense le manque à gagner de la TP: il prend en charge les 12,3 milliards d’euros que ne verseront pas les entreprises en 2010 au titre de cette réforme. Et pour les années suivantes, ce sont 6,3 milliards d’euros d’allègements dont profiteront les entreprises.
Ceci donne une idée assez précise du coût de la précipitation pour maintenir la fin de la taxe professionnelle après l’abandon de la taxe carbone: 6 milliards d’euros, uniquement parce que la suppression de la TP est intervenue avant que le système de remplacement soit installé. Tant mieux pour les caisses des entreprises, si ce cadeau doit favoriser une reprise. Mais comme l’Etat a les poches vides, c’est le déficit budgétaire (149 milliards d’euros prévus en 2010, mais déjà 93 milliards fin juillet) qui va être creusé un peu plus.
6,3 milliards de recettes fiscales en moins pour l’Etat à partir de 2011
On connaît le nouveau dispositif. Il s’agit de la contribution économique territoriale (CET) composée d’une cotisation foncière (CFE, ancienne part foncière de la TP qui revient aux communes) et d’une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE, que se partageront communes, départements et régions). En outre, pour réduire le manque à gagner, un impôt forfaitaire sur les entreprises à réseau (IFER) pour les départements et les régions a été créé, touchant des activités non délocalisables comme l’énergie, les télécoms, les transports. Reste que l’ensemble du dispositif rapportera 6,3 milliards d’euros de moins que la TP.
Aussi, pour faire bonne mesure, la part de certains impôts locaux qui tombaient dans la poche de l’Etat est redistribuée aux collectivités locales; c’est le cas pour la taxe foncière, les droits de mutations et les taxes sur les surfaces commerciales et les conventions d’assurances. Derrière la suppression de la taxe professionnelle, c’est une véritable réforme de la fiscalité locale qui se met en place, souligne-t-on au ministère de l’Economie. Mais c’est aussi autant de moins pour le gouvernement confronté des défis budgétaires insolubles pour 2011 et qui devra donc compenser par d’autres économies ou… du déficit.
Une réforme neutre pour les finances locales?
«Aucune raison ne peut être invoquée pour augmenter les impôts locaux du fait de cette réforme», a insisté Christine Lagarde devant les préfets réunis. Au plan politique, il ne s’agissait pas de donner du grain à moudre aux élus de l’opposition, notamment aux présidents de régions dont un seul en France métropolitaine appartient à la majorité présidentielle. La réforme, pour les finances locales, se devait d’être neutre.
Il semble que, de ce point de vue, l’objectif soit atteint. Jean-Paul Huchon, à la tête de l’Ile de France (28% du PIB national), en convient pour 2010: «Pour notre région, la compensation se monte à 380 millions d’euros et elle nous est versée par douzième chaque mois.» Mais toute réforme fiscale est souvent un jeu à somme nulle dans lequel il faut récupérer d’une main ce que l’on cède d’une autre main.
Le président de la région est ainsi plus inquiet pour l’année 2011, avec un budget plus dur à boucler compte tenu de l’augmentation du coût du RSA et de la nature des recettes transférées qui n’ont pas vocation à progresser (comme les droits de mutation): «L’Etat nous demande de plus en plus de prises en charge, mais nos recettes sont seulement stables, voire en recul.» Une solution, selon lui, pourrait exister: «Afin de compenser les allègements provenant de la suppression de la TP, nous pourrions obtenir du gouvernement une augmentation du versement transport des entreprises.» Les entreprises, elles, ne l’entendront pas de cette oreille.
Gilles Bridier
Photo: A l'exposition mondiales des jeux à Macao Siu Chiu / Reuters