France

Vous reprendrez bien encore un peu de sécuritaire

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Rarement, sous la Ve République, un pouvoir aura marqué autant de dédain pour la justice et les magistrats. Mais Nicolas Sarkozy est persuadé qu’il contente à la fois sa police et son opinion.

Nicolas Sarkozy, à Marly-le-Roi le 9 septembre 2010 lors de sa visite d'un inter
Nicolas Sarkozy, à Marly-le-Roi le 9 septembre 2010 lors de sa visite d'un internat d'excellence. REUTERS/Philippe Wojazer

Le président de la République est bien dans son rôle lorsqu’il envisage d’introduire des jurys populaires dans la composition des tribunaux correctionnels, comme il vient de s’en ouvrir à certains parlementaires de la majorité. Car il n’est décidément pas possible de faire confiance aux magistrats professionnels. Trop laxistes. Empressés à trouver à tous les voyous des circonstances atténuantes. Les juges ont si peur de leur ombre qu’il leur faut se réfugier derrière la jurisprudence, qui n’est, à tout bien considérer, que la chronique de leurs lâchetés. D’ailleurs, ces magistrats sont à peu près tous issus de la bourgeoisie élitiste, qui, comme le peuple ne cesse de le répéter, ne connaît rien de la vraie vie que vivent les vrais gens. La nécessité est donc grande d’«introduire un peu plus de sens du terrain», comme le dit le chef de l’Etat...

Non, tout ceci n’est pas pour de rire. Même pas pour sourire jaune. Nicolas Sarkozy s’est bien donné ce qu’il appelle cette «piste de réflexion» pour réformer les tribunaux d’instance. Il l’a évoquée, le 9 septembre, devant les députés UMP du collectif Droite populaire, nouvelle passerelle lancée par la majorité en direction des électeurs du Front national, qu’il recevait à l’Elysée. Le président estime que le peuple n’est «pas assez associé aux décisions de justice», a expliqué à l’AFP le très sécuritaire député des Alpes-Maritimes, Lionnel Luca. Nicolas Sarkozy regrette en particulier que les sanctions soient «en général moins lourdes lorsqu’elles sont rendues par des magistrats professionnels»

C'est parti jusqu'en 2012

Cette annonce, assez ubuesque au premier abord, survient quelques heures après que le chef de l’Etat a confirmé, en conseil des ministres, la déchéance de la nationalité française pour nos concitoyens «d’origine étrangère» qui se rendraient coupables du meurtre d’un membre des forces de l’ordre. Quelques heures, aussi, après que l’on a appris, par la divulgation d’une circulaire aux préfets, que le gouvernement a bien décidé de stigmatiser les roms en tant que tels, contrairement à ce qu’affirme Eric Besson. Si l’on ajoute à ces initiatives le projet de la Chancellerie de faire comparaître Dominique de Villepin devant une cour d’appel spécialement composée par le pouvoir, dans l’affaire Clearstream, et non devant l’une des chambres habituelles en de telles circonstances, on a une assez juste idée de l’atmosphère populiste, xénophobe et sécuritaire qui agite l’Etat, en cette rentrée.

Il est clair désormais qu’il en sera ainsi jusqu’à l’élection présidentielle de 2012. Alain Juppé risque fort de prêcher dans le désert, s’il s’obstine à affirmer, comme il vient de le faire, que la majorité se trompe de combat et que les Français sont surtout préoccupés par la dégradation de leurs conditions de vie. Michèle Alliot-Marie et Brice Hortefeux vont continuer à courir les enterrements de victimes d’assassins récidivistes, après celui de Natacha, la joggeuse de Marcq-en-Baroeul. L’actualité des prochains mois sera traversée d’évacuations –filmées– de campements de fortune et de «reconduites à la frontière».

Nul besoin, d’ailleurs, que ces annonces d’hyper-sécurité soient toujours suivies d’effets. L’important n’est pas tant que les Roms soient chassés de France ou que les violeurs récidivistes soient tous lestés chacun d’une dizaine de bracelets électroniques, mais que les fameux électeurs, soupçonnés d’être retournés se placer sous l’orbite du Front national, le croient. Beaucoup de gesticulations seront organisées pour la galerie. Juste pour leur médiatisation. A charge ensuite au Conseil constitutionnel d’en bloquer l’une ou l’autre pour que la France soit encore considérée à peu près comme une nation de droit.

Ce que cherche l’Elysée, c’est à maintenir le climat le plus pesant possible jusqu’à la présidentielle, de manière à ce que les électeurs ne puissent plus se demander s’il existe une alternative au vote en faveur du candidat de la majorité. La gauche manifeste? Tant mieux. «Les intellectuels milliardaires» pétitionnent? Excellent! Les conseillers du chef de l’Etat font le pari que le peuple, celui qui les intéresse, déteste l’élitisme protestataire.

Après les Roms, les Kurdes?

Toutefois, il faut tenir dix-huit mois encore. Surprendre et inventer. Le sécuritaire est un créneau qui s’use vite, quand il n’est pas sans cesse nourri de faits divers. Lies Hebbadj, le fameux commerçant nantais, de confession musulmane, que le ministre de l’Intérieur a voulu déchoir de sa nationalité française pour polygamie, a déjà rendu bien des services. Il est maintenant poursuivi pour viol et violence; sa vie décortiquée par la police. On ne peut pas trop lui en demander. De leur côté, les Roms ne sont pas si nombreux que cela, et ils vont sans doute commencer à donner du fil à retordre, surtout si certaines associations, comme l’intention leur en est prêtée, se mettent à poursuivre la circulaire aux préfets devant le Conseil d’Etat.

Il est donc à parier que l’Elysée et le ministère de l’Intérieur vont devoir se mettre en quête de nouvelles idées. La vidéo-surveillance? L’armement des policiers municipaux? Pas mal. Mais ce sont là, électoralement, des thèmes à vocation plutôt municipale. Puisque la population ciblée par les stratèges du président concerne en priorité les électeurs âgés, a priori les plus préoccupés par la sécurité, l’idéal consisterait à appuyer sur les peurs du troisième âge. Toutefois, le projet de durcir les peines contre les délinquants s’attaquant à des octogénaires a déjà été utilisé pendant la campagne des régionales, et on ne sait plus très où en est la mise en application du texte afférant.

Alors, les juges, laxistes et orgueilleux? Rarement un pouvoir, sous la Ve République aura autant marqué son dédain d’une profession régalienne comme celui-ci, persuadé qu’il est de contenter à la fois sa police et son opinion. Déjà, supprimer le juge d’instruction et donner tout pouvoir au parquet, hiérarchiquement placé sous les ordres du Garde des Sceaux, donc du président. Ensuite, critiquer à tout va toute récidive, dans l’actualité, en l’imputant aux magistrats. Convoquer les télévisions, et susciter des «marches blanches». Mais manifestement, les magistrats, pourtant globalement classés parmi les tenants du conservatisme, ont l’air de faire de la résistance. L’institution des juges d’application des peines, qui devaient, dans l’esprit de l’Etat, retarder les libérations des détenus et des prévenus, pourrait se révéler contre-productive. Lesdits juges s’appuyant, ces mauvais coucheurs, sur le droit… Durcir la critique contre le droit pourrait valoir à la France de nouvelles condamnations internationales, que même Bernard Kouchner ne pourrait plus adoucir.

Il est donc fort probable que les mois à venir vont connaître des variations courtes d’hyper-sécurité, comme il existe, aux premiers froids, des variations de température. Un peu de Roms, un peu de Français «d’origine étrangère», un peu de musulmans. Des jeunes, nombreux, ceux «des cités», on peut toujours compter sur eux. Une nuit d’émeute, de-ci, de-là, comme à Grenoble. Images nocturnes des télés et discours présidentiel. D’autres obsèques avec Brice Hortefeux. Un aliéné s’échappant d’un hôpital, histoire de pouvoir maudire l’angélisme de la psychiatrie. Une vieille dame égorgée, si possible par un «beur».

Des «voleurs de poules», succès éternel. Du côté de Sangatte, ce serait encore mieux. Mais qu’est-ce que les Roms iraient faire à Sangatte, eux qui n’ont pas l’intention de passer en Angleterre? Alors, à Sangatte, des Kurdes. En ce moment, on signale la présence de Kurdes en plus grand nombre, dans la région. Va pour les Kurdes, en attendant mieux.

Philippe Boggio

Photo: Nicolas Sarkozy, à Marly-le-Roi le 9 septembre 2010 lors de sa visite d'un internat d'excellence. REUTERS/Philippe Wojazer

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