Culture

Murakami à Versailles, et alors?

Temps de lecture : 5 min

L’artiste Takashi Murakami expose, à partir du 14 septembre, ses œuvres colorées au Château de Versailles. Une occasion de relancer la controverse sur la place de l’art contemporain chez Louis XIV, après les expositions de Jeff Koons et Xavier Veilhan.

«Flower Mantago», de Murakami, dans la galerie des glaces de Versailles. REUTERS
«Flower Mantago», de Murakami, dans la galerie des glaces de Versailles. REUTERS

Et de trois. L’exposition d’art contemporain qu’accueille, depuis maintenant trois ans, le château de Versailles est en passe de devenir une tradition française. Un peu comme la rentrée littéraire. Et, à vrai dire, tout aussi houleuse et controversée. Cette fois, c’est l’artiste japonais Takashi Murakami qui fait les frais des débats passionnés et complexes sur l’intérêt de présenter des sculptures et des installations actuelles dans des lieux aussi traditionnels et symboliques que la galerie des Glaces, les grands appartements du Roi ou le jardin de Le Nôtre.

Une polémique prévisible

Avant lui, Jeff Koons (en 2008) et Xavier Veilhan (en 2009) avaient provoqué de vives réactions, même si, dans le cas du français, la polémique avait été moins tranchante. En ce qui concerne l’artiste américain, les voix défavorables à ce mélange des genres s’étaient largement fait entendre. Le médiatique académicien et critique d’art Jean Clair, déjà auteur du houleux Du surréalisme considéré dans ses rapports au totalitarisme et aux tables tournantes, expliquait ainsi, non sans humour, que «Jeff Koons à Versailles, c'est Breton et Péret à qui le directeur de lieux remettrait l'ordre national du Mérite pour mise à niveau du patrimoine ancien», avant de qualifier cette tendance à mélanger l’ancien et l’actuel d’«acmé du décalage».

«Quand on voit Split Rocker sur le parterre de l'Orangerie, on redevient attentif à ce dernier, on cesse de considérer que c'est un simple décor que l'on regarde de façon inattentive», répondait Jean-Jacques Aillagon, président du domaine de Versailles et partisan, pour sa part, de bousculer un peu le classicisme du château. Et la fantaisie de cette sculpture animale, composée de 90.000 petites fleurs, n’était pas sans rappeler les créations florales du temps de Louis XIV. C’était moins évident en ce qui concerne le fameux Lobster de Koons qui trônait au beau milieu du Salon de Mars. Le débat s’est renouvelé l’an dernier, d’une manière plus apaisée, comme si la poésie et la douceur des installations de Veilhan s’accordaient mieux avec l’espace versaillais.

Un coup marketing?

Une preuve, s’il en faut, qu’il est possible de marier la beauté historique et l’art contemporain. Reste à réussir le pari. Et, comme dans toute exposition, le public a le droit de ne pas aimer le résultat final. C’est ce qui est arrivé avec Koons, dont, pourtant, le kitch et l’exubérance se mariaient très bien avec la pompe et le faste de Versailles. Certains n’ont pas apprécié le rapprochement thématique et l’intégration esthétique. Cela pourrait se reproduire cette année avec l’univers déjanté et excessif de Takashi Murakami. D’autant que l’on a l’impression que le projet n’est qu’un coup médiatique. Murakami et Koons (avec Hirst, McCarthy, les frères Chapman…) sont parmi les artistes contemporains les plus connus et commerciaux. Ils font partie de cette oligarchie médiatique qui, aux yeux du grand public, représente les dérives économiques et capitalistes de l’art du XXIe siècle. Choisir les stars du milieu pour les exposer à Versailles n’a pas grand intérêt et il n’est pas difficile d’y voir une dimension provocatrice et lucrative. Dans sa présentation de l’expo, Aillagon parle d’ailleurs de Murakami comme de «l’un des artistes les plus célèbres de notre temps» oubliant presque son «talent». Il aurait sûrement été plus judicieux et profitable, pour le public, de commander à de jeunes artistes émergents des créations ajustées à l’espace d’exposition et à l’imaginaire qu’il véhicule.

Il ne faudrait pourtant pas extrapoler de ce cas particulier une opposition, a priori, contre tout rapprochement de ce type. D’autant plus que cette tendance dialectique et comparative envahit, de diverses façons, les offres culturelles de ces dernières années. Du regard de l’artiste sur les toiles des grands maîtres (Jan Fabre au Louvre en 2008) à l’influence des modèles antérieurs sur l’art actuel (Picasso et ses maîtres) en passant par le dialogue décomplexé avec le passé (la polyphonique Contrepoint), l’heure semble être à «offrir des points de vue nouveaux sur un site que tout le monde pense connaître», comme l’explique Laurent Le Bon, commissaire de Murakami Versailles

Des précédents

D’autres lieux historiques ont tenté l’expérience et ont réussi à trouver une alchimie visuelle et stylistique surprenante pour le public. On pense, par exemple, à Château de Tokyo / Palais de Fontainebleau, une initiative commune des deux institutions qui présentait aussi des œuvres d’artistes contemporains dans un haut lieu du patrimoine français. Des créations comme Beginnings of space travel (un petit chat taxidermisé volant bondé d’hélium) de Werner Reiterer ou Würsa (à 18000 km de la terre) (un énorme éléphant retourné) de Daniel Firman n’ont évidemment pas fait l’unanimité. Pourtant, d’autres installations, comme la chaise brisée d’Urs Fischer (Chair for a ghost: Thomas, 2003) ou le trou en trompe-l’œil (Jardinage, 1984) d’Etienne Bossut, proposaient une intéressante réflexion ironique sur la nostalgie, l’apparat, les secrets, les légendes ou les souvenirs qui habitent Fontainebleau.

Le domaine de Pommery, avec ses fameuses «Expériences» d’art contemporain, fait la même chose depuis plusieurs années. Et le prestigieux Sudeley Castle a fait de même en accueillant cet été une exposition de design contemporain dans sa propriété. Le visiteur a ainsi pu se promener dans le jardin et découvrir un énorme crâne (Wellness skull, 2007), une chaise Buisson de Vincent Dubourg ou un banc paradoxal inventé par Sebastian Brajkovic (Lathe X, 2010). Versailles n’est ni le seul ni le premier à tenter cette mise en perspective de la création contemporaine à travers un dialogue avec les formes et la culture classiques.

Nouvelles contrées

Mais pourquoi vouloir tenter? Pourquoi pas, pourrait-on répondre, si ce n’est pour d’obscures raisons idéologiques ou identitaires. Le patrimoine et les chefs-d’œuvre classiques ne sont pas un «modèle figé d’une époque unique», comme le rappelle Laurent Le Bon. Une relecture ou une réinterprétation réussie peut servir à faire revivre l’esprit du lieu ou à redonner du sens à des constructions qui peuvent sembler obsolètes et froides à la nouvelle génération. Les anachronismes de Sofia Coppola dans son film Marie-Antoinette n’étaient sûrement pas académiques, mais ils ont au moins permis à certains jeunes de se faire une idée de ce que pouvait être une vraie fête dans ces lieux.

Sans oublier que l’art contemporain, depuis sa révolution théorique au XXe siècle, travaille beaucoup avec le contexte, les références préexistantes, l’effet de surprise ou les rapprochements inattendus et créateurs d’un sens sans cesse renouvelé. Il suffit de se rappeler que, pour beaucoup, l’art actuel naît avec Fontaine de Marcel Duchamp (son fameux urinoir). Que signifie-t-il? Entre autre, que les objets communs peuvent devenir artistiques s’ils sont placés dans un certain contexte. Le «monde de l’art», comme l’appellera le critique Arthur Danto, la «théorie institutionnelle de l'art» de George Dickie ou la pensée de Thierry De Duve insistent tous sur cette autonomie (presque autoréférentielle) dans le jugement esthétique contemporain. C’est aussi le sens des boîtes de soupe Campbell d’Andy Warhol et de tout le pop art (dont se réclame Murakami). Voilà l’une des grandes révolutions artistiques du XXe siècle.

Après la fin de l’art figuratif, le cubisme, l’art abstrait, le pop art, l’art conceptuel, l’actionnisme, le vidéo art, le street art, les installations éphémères ou les performances dans les endroits publics (et j’en oublie), les artistes cherchent à explorer de nouvelles contrées qui leur permettent de renouveler leur style et leur message. Et pourquoi pas Versailles?

Aurélien Le Genissel

Photo: «Flower Mantago», de Murakami, dans la galerie des glaces de Versailles. REUTERS/Benoît Tessier

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