Cet été dans la bande de Gaza, une nouvelle guerre a fait rage: la bataille des camps de jour pour enfants. Alors que 45% des 1,5 million d’habitants ont moins de 16 ans, peu d’organisations résistent à l’opportunité de façonner 675.000 jeunes esprits.
Chaque faction arbore fièrement ses couleurs. Le Hamas, le groupe islamiste qui a pris le contrôle du territoire en 2007, donne aux enfants qui participent à ses camps des casquettes vertes; celles distribuées par l'UNRWA, l’agence de l'ONU pour les réfugiés palestiniens, sont bleues et blanches; et les filles des camps du ministère des Affaires religieuses portent un foulard blanc sur la tête.
Les «Jeux d’été» de l’UNRWA sont de loin les camps qui ont le plus de moyens et qui sont les plus fréquentés – ils accueillent plus de 250.000 enfants. Mais ce succès a un prix à payer. A deux reprises courant juin, des hommes masqués ont attaqué des camps de l’UNRWA. Ils ont brûlé les camps, lacéré trampolines et toboggans, et laissé des lettres de menace à côté des agents de sécurité ligotés.
Le Coran, le Coran, le Coran
«C’est l’une des meilleures saisons pour les Jeux d’été de l’UNRWA, cela peut avoir énervé les autres et les avoir incité à nous attaquer», m’explique Adnan Abu Hasna, le porte-parole de l’UNRWA à Gaza. Il y a peu de criminalité ici – il y a un policier du Hamas posté à chaque coin de rue.
La rhétorique utilisée contre l’ONU par les organisateurs des camps concurrents est subtile. «Les camps des Nations Unies proposent uniquement des loisirs. Les enfants vont à la plage, jouent, chantent et dansent, explique Kefh El Ramly, le directeur de la programmation pour les filles au ministère des Affaires religieuses, une branche du gouvernement du Hamas. Les camps du ministère se focalisent eux à la fois sur le divertissement et sur le Coran, qui fait partie de notre culture.»
Le ministère organise des camps basés dans les mosquées, qui accueillent 10.000 enfants pendant 5 heures par jour, 6 jours par semaine. «Nous leur enseignons comment lire le Coran, parce que c’est notre livre sacré, poursuit Kefh El Ramly. Nous apprenons beaucoup du Coran – comment nous comporter, comment être bons, comment gérer nos relations avec les autres, avec Dieu, avec nos voisins. Le Coran est un concentré de principes et de bonnes manières.» Il admet que le ministère souhaite islamiser les jeunes esprits.
Guerre de provocation
Le Hamas ne cache pas non plus le programme des camps, qui visent à familiariser les enfants avec son idéologie. «Les principaux dirigeants du mouvement viennent et rencontrent les jeunes, me raconte Kamal El Gazi, l’organisateur du camp du Hamas de l’Est de Gaza. Les enfants se sentent ensuite proches du mouvement, parce qu’ils ont l’impression que quelqu’un se préoccupe d’eux.»
Selon lui, 50.000 enfants participent aux camps du Hamas. «Nous essayons de faire pousser une graine de nationalisme et d’Islam dans le cœur de ces jeunes grâce à toute une série d’activités liées à notre culture plutôt qu’importées de l’extérieur.»
Les attaques verbales envers l’UNRWA ont commencé il y a quelques mois. Alors que l’agence ne travaille normalement qu’avec les réfugiés, elle a ouvert l’an dernier ses camps aux autres. Résultat: «le Hamas a pensé… qu’il ne lui resterait plus personne, analyse Mkhaimar Abusada, professeur de science politique à l’université al-Azhar de Gaza. C’est pourquoi cette année, le Hamas a lancé une guerre de provocation contre l’UNRWA.»
Incitation à rejoindre les camps du Hamas
Comme le raconte Mkhaimar Abusada, des prospectus prétendant que les camps de l’UNRWA ne servent pas les «intérêts» des Palestiniens ont été distribués dans les mosquées à travers la bande de Gaza en mai et juin. Et des affiches racoleuses encouragent les parents à inscrire les enfants dans les camps «spirituels» du Hamas et du ministère.
Et ils ont réussi à attirer des enfants. Dans l’un des camps du Hamas de la ville de Gaza, des garçons portant des casquettes de baseball vertes et des T-shirts du Hamas passent leurs journées à faire du sport et à suivre des cours de dessins, de religion et de culture, dispensés par des volontaires du Hamas.
«Ils peuvent appeler cela des camps d’été, mais ce n’est en réalité que de la socialisation islamique, estime Mkhaimar Abusada. C’est juste du recrutement et de l’incitation à rejoindre les rangs du Hamas. Ils recrutent ces gamins pour les Brigades al-Qassam [la branche armée du Hamas]. Quand il y aura un combat contre des Israéliens ou si l’on entre dans un nouveau cycle de violence avec Israël, la plupart des garçons seront enrôlés pour des attaques suicides ou au moins pour rejoindre la résistance palestinienne.»
Le jeune Ahmed Abul Kass, 16 ans, brosse un portrait très flatteur du camp du Hamas auquel il participe. «Ils nous emmènent souvent en excursion, je m’amuse bien à jouer avec les autres enfants ici, et puis j’apprends des choses sur la mosquée al-Aqsa et les prisonniers en Israël», me raconte-t-il à bout de souffle à l’issue d’une course de sacs. Je lui demande de décrire ce qu’il a appris sur al-Aqsa (le mont du Temple pour les juifs), Ahmed réfléchit avant de répondre. «On m’a dit que les Israéliens étaient en train de creuser des galeries dessous, que la mosquée pourrait s’effondrer et que personne ne s’en préoccupe.»
Ségrégation dans tous les camps
Pendant les cours d’art du Hamas, on demande aux garçons de dessiner ce qui leur passe par la tête. Le plus souvent, explique Ibrahim Sukar, professeur de dessin volontaire, les enfants dessinent la mosquée al-Aqsa, des scènes violentes de l’offensive israélienne de 22 jours de 2009, ou alors la flottille turque qui a tenté en mai de forcer le blocus israélien imposé depuis trois ans sur Gaza. Je regarde les dessins: 12 des 15 garçons présents dans la salle ont effectivement mis un drapeau palestinien quelque part sur leur dessin. Beaucoup ont dessiné la mosquée al-Aqsa, et quelques uns ont représenté des scènes de violence. Seul un enfant a opté pour une scène pastorale, avec une maison dans un champ.
Les enfants qui participent aux camps du ministère passent la majeure partie de leur temps sur le Coran. Une fois par semaine, on les emmène dans les champs, mais sinon il n’est question que de religion.
Tous les organisateurs – l’UNRWA, le Hamas et le ministère – pratiquent la ségrégation. Dans chaque camp, filles et garçons participent à des activités séparées, avec des moniteurs du même sexe qu’eux.
Dans un camp du ministère, au second étage d’une mosquée, environ 90 filles sont assises par petits groupes de 10 à 15; elles lisent tour à tour des extraits du Coran. La pièce est très calme. Au plafond, le ventilateur tourne. Et des petites voix récitent des textes sacrés.
Les jeunes filles ici ont de l’assurance et sont disciplinées, elles ne se comportent pas comme des adolescentes, elles ne ricanent pas. Elles clament leurs réponses à mes questions. «Je suis venue ici pour me rapprocher de Dieu, c’est ma manière de lui montrer que je l’aime», explique Alah Nasser, 15 ans. «Les camps d’été des Nations Unies sont vides de sens», ajoute-t-elle. «D’accord, ils sont divertissants, mais ils n’apportent rien de bien pour la vie d’après. Ici, nous apprenons le Coran et nous espérons finir au paradis.» Elle fait de grands gestes en parlant.
Les camps de l'UNWRA sont «divertissants mais vides de sens»
Les administrateurs des camps de l’ONU confirment la théorie d’Alah. «L’UNRWA veut que les enfants jouent et s’amusent, nous n’avons pas d’autres motivations, explique Maher El-Sayes, qui dirige l’un de ces camps. D’autres factions essaient de s’attirer le soutien futur des gamins. L’UNRWA est apolitique depuis le début et ne se mêlent pas des conflits intérieurs. C’est la raison pour laquelle les gens envoient leurs enfants ici.»
Mahmoud Salim, 14 ans, participe à un camp de l’UNRWA. Il est occupé à travailler sur une table. Il fabrique un cerf-volant. «Je suis tellement heureux ici, tout est si bien», raconte-t-il, pressé de retourner à la tâche. Il ne comprend pas bien ce que les autres camps reprochent à son bonheur estival.
«Ils ne sont pas comme nous», poursuit-il. En quoi sont-ils différents? Il se tait un instant pour réfléchir. «Ils ne nagent pas dans la même piscine que nous», répond-il, les yeux toujours rivés sur son cerf-volant.
Sarah A. Topol
Traduit par Aurélie Blondel