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Laurent Fignon, la mort aux trousses

Temps de lecture : 5 min

Le double vainqueur du Tour de France est mort mardi d'un cancer.

Tour 1989, Laurent Fignon et Greg Lemond. REUTERS/Eric Gaillard/
Tour 1989, Laurent Fignon et Greg Lemond. REUTERS/Eric Gaillard/

«Tous mes jours sont des adieux», écrit Chateaubriand dans Les Mémoires. A l'occasion du Tour de France 2010, Laurent Fignon, décédé ce mardi, donnait souvent cette impression de mettre en scène ces derniers instants. Le dernier jour, en éteignant la télé avant l’interminable moment du podium, je lui avais dit dans ma tête: «A l’année prochaine!» Evidemment, comme tous les spectateurs, j’avais remarqué l’aggravation de sa maladie. Mais je pensais (j’espérais?) qu’il en avait encore au moins pour un Tour supplémentaire. Sa voix, très caverneuse, due à son cancer, semblait venir d’outre-tombe. Au point que, lors de la première étape, je m’étais demandé si le son était bien réglé.

Nous, les spectateurs, on était optimiste; on pensait qu’il avait touché le fond et qu’il ne pouvait que remonter ensuite. Un peu comme le Tour de France. Surtout comme ce jour de contre-la-montre au Ventoux, lors du Tour 87, où il avait cru qu’il n’y arriverait plus.

Laurent Fignon, évidemment, c’était un palmarès. Deux Milan-San Remo, une Flèche Wallonne, un titre de champion de France sur route en 1984, une cinquantaine de victoires en amateur et, surtout, deux tours de France (1983 et 1984). Sans oublier sa grande défaite en 1989, contre Greg LeMond, pour huit secondes. On sait à quel point les Français aiment perdre, surtout en sport, surtout à cette époque: avec cette défaite, il entrait dans la légende du cyclisme. Son livre, Nous étions jeunes et insouciants, où il revient sur sa carrière et les années 1980, débute par ce dialogue:

«Ah, mais je vous reconnais: vous êtes celui qui a perdu le Tour de 8 secondes!
- Non, monsieur, je suis celui qui en a gagné deux.»

D’où son rapport ambigu avec le dopage. Contrôlé deux fois positifs aux amphétamines lors de sa carrière, il s’en était tiré sans dommages. A l’époque, de toute façon, tout le monde se dopait, on appelait ça le dopage à la papa, bien loin, selon les coureurs, de l’époque des pots belges et des manipulations sanguines d’aujourd’hui. Dans son livre, il expliquait:

«Ce n’était pas tricher pour tricher, mais de la tricherie sans avoir l’impression de tricher. Acceptons une chose simple: dopé ou non, un grand champion en forme était imbattable. Dopé ou non, un coureur moyen ne pouvait pas battre un grand champion. C’était la loi du cyclisme. Et c’était ça la réalité du dopage de cette époque. Rien d’autre.»

Et l’intégralité du premier chapitre est consacré à cet événement. A chercher des explications –valables ou pas, on ne sait pas, on n’y était pas– que ce soit ses hémorroïdes ou le guidon spécial «non homologué» de son adversaire américain. Surtout, finalement, il ne se pardonnait pas à lui-même d’avoir perdu contre un coureur que, fondamentalement, il n’aimait pas, un Greg LeMond suceur de roues, incapable de l’attaquer en montagne. Alors que lui-même se voyait comme un garçon avec du panache, du courage, des jours sans et des grands jours. Quelqu’un qui court pour les gens au bord de la route, mais pour qui le cyclisme est affaire d’offensive. Toujours dans son livre, il estimait qu’il avait vécu la fin de l’âge d’or du cyclisme, le passage d’une époque à une autre, d’une certaine forme de voir ce sport au plus pur, voire dur, professionnalisme.

Ou comment s’auto-persuader qu’il était dopé mais que de toute façon, il était le meilleur et que cela ne changeait rien.

D’ailleurs, il expliquait à Libération l’année dernière que son cancer n’était pas lié à ses prises de produits dopants:

«Je sais que la mort peut être là. Mais pour moi il n’y pas de rapport entre dopage et maladie. Je mettrais ça sur le compte d’un manque d’hygiène alimentaire: j’ai toujours mangé n’importe comment… Je n’ai pas fondu en larmes en l’apprenant. Maintenant, je vais me battre comme je l’ai toujours fait sur le vélo.»

En venant de Paris, avec ses lunettes et son bac en poche, il passait pour l’intello dans le peloton, «Il professore» le surnommaient les Italiens. Du coup, il était parfois un peu arrogant, et ce sentiment de supériorité, il l’avait gardé une fois devenu commentateur. Dans son style, Père Castor raconte-nous des histoires, c’était Père Fignon, donne-nous des leçons tous les après-midi sur France 2 et 3. Et les jeunes cyclistes en prenaient pour leur grade, toujours accusés de ne pas suffisamment attaquer, d’écouter trop les directeurs sportifs. De ne pas avoir de cojones en somme. Et il s’excitait alternativement contre Schleck ou Contador. Il cherchait la saillie qui marquerait et qui le différencierait de la masse: quitte à s’emporter un peu, quitte à être aigri tout seul dans son coin, puisque Thierry Adam et Jean-Paul Olivier faisaient la plupart du temps comme s’ils ne l’entendaient pas.

Pour le spectateur, comme le Tour était particulièrement ennuyeux cette année, c’était plutôt plaisant. Parfois, on ne regardait plus la course, on attendait juste que Fignon s’emporte. Non seulement «l’intello» était capable d’être pédagogue sur une situation de course, mais en plus il avait un avis. Chez les commentateurs sportifs, sur les grandes chaînes, quelle que soit l’épreuve, où chacun rivalise de fadeur, de chauvinisme et d’absence d’esprit critique, il était une exception agréable.

On mesure la perte de quelqu’un non seulement à son parcours, mais aussi aux gens qui restent autour de lui. Il avait ses ambiguïtés, son côté antipathique, même –ou surtout– au sommet de sa gloire. Si j’avais été jeune dans les années 1980, cela n’aurait sans doute pas été mon coureur préféré. Même aujourd’hui, en se voulant donneur de leçons mais en étant resté dans le milieu, estimant même que le pire du dopage était derrière nous, sa position paraissait parfois décalée, anachronique.

Dans son ouvrage, il le dit lui-même: «Je n’ai jamais rencontré quelqu’un qui me dise les yeux dans les yeux: Je fais du cyclisme grâce à vous.» C’est normal, il était d’une époque où l’on pouvait être encore «jeune et insouciant». Nous, nous sommes les enfants d’après, ceux du professionnalisme, de l’EPO, des scandales. Nous n’avons pas vu d’épopées en direct à la télévision ou au bord des routes. Point de Poulidor, de Hinault pour notre génération. Quand nous avons cru voir ses moments de grâce, un Virenque qui s’échappe, un Pantani qui gicle, les test anti-dopage, les juges et les douaniers nous ont expliqué ensuite que c’était de la triche.

Fignon, lui, incarnait encore le monde d’avant. Sans doute le dernier Français aussi emblématique, puisque qu’Hinault, l’autre grand coureur de l’Hexagone des années 1980, ne sort de sa torpeur qu’une fois l’an pour dézinguer les jeunes coureurs qui «ne se font plus mal».

Qui nous reste-t-il après Fignon pour animer nos après-midi de juillet? Gérard Holtz? Jean-Paul Olivier? Thierry Adam, qui met si mal à l’aise avec son chauvinisme et changeait de sujet à chaque fois que Fignon râlait sur l’ennui de la course? Laurent Jalabert, si bon analyste, mais qui reste celui qui refusera toujours de reconnaître qu’il s’est dopé, celui qui avait fui la France pour échapper aux contrôles? Ce n’est pas très enthousiasmant.

Fignon nous rappelait chaque jour qu’un autre cyclisme avait existé et que l’on pouvait revenir à cette manière différente de courir, de voir la course. Même si ce n’est sans doute pas vrai, on lui était reconnaissant de maintenir la flamme. Malgré tous ses défauts, c’était déjà pas mal.

Quentin Girard

Photo: Tour 1989, Laurent Fignon et Greg Lemond. REUTERS/Eric Gaillard

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