Cet article est le deuxième d'une série de trois écrits par Eric Le Boucher intitulée la Saison du populisme. Le premier article est La moralisation du capitalisme? Tu parles et le troisième Une reprise? Tu parles.
Souvenez-vous: le vrai terreau de la crise financière a été le «déséquilibre» de la croissance mondiale. Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Espagne, la France, la Grèce, vivaient à crédit, ils ne croissaient que grâce à un afflux de capitaux venus d’ailleurs, de Chine et de toute l’Asie pour l’Amérique, ou d’Allemagne au sein de l’Europe.
Ce «déséquilibre croissant de l’épargne mondiale» aurait du conduire à réévaluer les monnaies des pays excédentaires, mais ce n’a pas été fait: en Allemagne à cause l’existence de l’euro, en Chine par une volonté de Pékin d’accrocher le yuan au dollar pour favoriser «la croissance par l’export». Mécaniquement, cet afflux de monnaie a créé des liquidités abondantes, des taux d’intérêt faibles, des endettements faciles et, du coup, une moindre attention portée aux risques. La caricature en a été les subprimes : les financiers se sont mis à prêter à des ménages sans aucune capacité de remboursement.
Ce déséquilibre d’épargne à la racine de la crise, appelait des corrections.
Réunis d’urgence en novembre 2008 à Washington, juste après la chute de Lehman Brothers, les leaders du G20 s’accordaient pour dire: «l’un des facteurs majeurs sur lequel repose la crise actuelle est l’absence de coordination des politiques macro-économiques». Non pas qu’il faille que tous les pays soient à l’équilibre de leur balance des paiements, ce n’est pas en soit une règle de bonne politique, tout dépend de leur niveau et de leur type de développement. Mais l’aspiration de plus en plus forte de toute l’épargne planétaire pour satisfaire les achats des ménages américains et l’accumulation corollaire de milliards de dollars dans la banque centrale chinoise faisaient monter le risque de krach. Il fallait impérativement inverser le cours des choses.
Depuis ce G20 de Washington, qu’a-t-il été fait ? Rien ou presque. Le déficit commercial américain réduit par la crise en 2008 et 2009 recommence à grossir, en parallèle des excédents chinois. La Chine a entrouvert le corset de sa politique monétaire et le yuan commence à monter de façon super contrôlée et hyper lente. Mais pour beaucoup de critiques aux Etats-Unis, Pékin n’a fait là qu’un geste symbolique pour faire taire les remontrances de l’administration Obama. Sa politique reste la même. La part des salaires dans le PIB chinois est passée de 61% en 1990 à 53% en 2007: au lieu d’augmenter, elle s’est rétractée! C’est dire si la Chine a du chemin à faire…
La «coordination des politiques économiques» trans-Pacifique n’est qu’un vœu pieux. Il en est exactement de même en Europe, où l’Allemagne n’entend rien des critiques qui lui sont adressées, notamment par la France, sur le thème de la faiblesse exagérée de sa consommation intérieure. Grâce à l’export, la croissance germanique atteindra 3% en 2010, les critiques des autres sont irrecevables: qu’ils fassent comme nous!
La zone euro devrait être en pointe dans la définition de ce que pourrait être une «coordination» des politiques macro-économiques. Elle ne s’en donne pas les moyens institutionnels pour la mettre en place et manque tout simplement d’imagination. Les intérêts nationaux ont pris le dessus, les obstacles de toutes sortes (différences entre les pays et entre leur situation dans la crise) s’imposent et personne ne présente d’idées convaincantes sur ce que pourrait être «une coordination sans institution», une politique commune dans les Traités actuels, sans gouvernement économique européen.
Même impuissance au G20 de Toronto, fin juin. La question posée portait sur l’arbitrage mondial entre relance et rigueur. Qui doit freiner? Qui doit encore accélérer? Faute de «gouvernement mondial», la coordination a été impossible, chaque pays a été renvoyé à lui-même: «faites comme vous voulez».
Cet échec doit sans doute être relativisé. La Chine a entendu le message: ses dirigeants ont compris qu’il était dans leur intérêt propre de réévaluer leur monnaie, pour enrichir les Chinois, les tourner vers la consommation interne, changer de modèle de développement et progressivement passer d’un croissance fondée sur l’exportation à une croissance plus auto-centrée fondée sur la demande intéreure. Mais ce changement de régime prendra beaucoup de temps et en attendant que Pékin parvienne au bout de son long virement de bord, les «déséquilibres» des balances des paiements constatés avant la crise de 2008, vont revenir et grossir.
Fait majeur à noter: les salariés chinois manifestent. Ce n’est pas si neuf en vérité mais aujourd’hui, les revendications sociales chinoises gonflant la demande intérieure sont le meilleur agent de stabilisation de la croissance mondiale. Nous sommes encore loin du compte: un salarié chinois gagne en moyenne 1 400 yuans soit 200 dollars par an, un vingtième de son homologue américain. Mais ce salaire a grimpé de 17% l’an passé, plus vite que le PIB: une «correction» est à l’œuvre.
Même constat de l’autre côté du Pacifique: le taux d’épargne des ménages américains est remonté à 6% du revenu disponible en ce début 2010 alors qu’il était tombé sous les 2% en 2006-2007. Les Américains semblent eux aussi commencer à modifier leur régime de croissance pour, à l’inverse des Chinois, le tourner de l’intérieur vers l’extérieur. Autre fait majeur symétrique: General Motors s’est remis à exporter des voitures.
L’Allemagne également n’est pas insensible à la critique. Berlin voulait que «son modèle» de rigueur budgétaire s’impose enfin à ses partenaires de la zone euro, Angela Merkel a largement gagné sur ce point grâce à la crise grecque. Mais en échange, le débat s’est ouvert sur la «coordination» des politiques européennes. Sans résultat concret pour l’instant, sans doute, mais avec le sentiment que Berlin, mis devant ses responsabilités, ne pourra pas dire non à toutes les initiatives.
En conclusion, si les pays ne se «coordonnent» pas au sens strict, entendu il y a deux ans au G20, ils écoutent et tiennent compte, un peu, des demandes des autres. L’échec du G20 n’est, en ce sens, que relatif.
Toutefois, l’économie mondiale continue d’être très déséquilibrée et fragile. Surtout, en plus du retour des déséquilibres d’avant, pointe une nouvelle menace: celle qu’on peut appeler la langueur européenne. Les Etats européens vont devoir absorber une si grande quantité de capitaux de court terme pour nourrir leurs dettes publiques qu’ils risquent d’évincer le secteur privé et de l’assécher de moyens d’investir. Les investissements, les capitaux de long terme, vont se diriger là où les rendements sont les plus assurés et les meilleurs, c’est-à-dire vers les seuls pays émergents. Ce désinvestissement européen, déjà manifeste au sein les grandes entreprises, condamnerait le Vieux continent à une croissance ramenée durablement à 1,5% l’an voire moins et à un chômage de 10%. Si ce danger venait à s’avérer, la mondialisation entrerait dans une phase dangereuse, les ménages grecs, espagnols ou français n’auraient plus comme avenir que les impôts pour eux et le chômage pour leurs enfants.
Eric Le Boucher
Photo: I'm thinking of... / Davide Restivo via Flickr License CC by