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Rapidshare et Megaupload, les McDo du téléchargement

Temps de lecture : 8 min

En dominant Google et en échappant à Hadopi, les sites de direct download sont devenus les fast-food du téléchargement: rapides, pratiques et présents à chaque coin de rue.

Câble téléphonique RJ11 dans un jardin, via juanpol/Flickr/CC/licence by
Câble téléphonique RJ11 dans un jardin, via juanpol/Flickr/CC/licence by

Lorsqu'elle fut promulguée le 12 juin 2009, la loi Hadopi avait déjà trois bonnes années de retard sur les pratiques en matière de téléchargement. Un an après, alors que les premiers mails d'avertissement n'ont toujours pas été envoyés, le gouffre technologique s'est encore creusé et le direct download (ddl) est chaque jour plus puissant face au vieillissant peer-to-peer, seul protocole de téléchargement que les mouchards de l'Hadopi surveilleront.

Le peer-to-peer, c'est l'époque bénie du téléchargement illégal, une série de logiciels mythiques nés dans le sillage du précurseur Napster (1999): eDonkey, Kazaa, Audiogalaxy, Limewire, BitTorrent... Dans les logiciels modernes de peer-to-peer, le système est décentralisé, c'est-à-dire que chaque membre qui partage un fichier donne un peu de sa bande passante pour que les autres puissent le télécharger. Les profiteurs qui ne partagent rien sont très mal vus par la communauté et sont taxés de «leech» (sangsue). Le système a fait naître une utopie du partage désintéressé et de la libre circulation de la culture dont le point d'orgue aura été l'élection au Parlement européen en 2009 d'un candidat du Parti pirate suédois.

En 2005 et 2006, le peer-to-peer voit apparaître la concurrence du direct download avec l'arrivée de deux sites, Megaupload et Rapidshare, qui vont devenir des mastodontes du téléchargement et briser les illusions des pirates de la première heure. L'architecture technique n'a plus rien à voir, tout est centralisé dans de puissants serveurs qui hébergent les fichiers et les renvoient à la demande au téléchargeur. Conséquence: il n'y a plus (ou presque) d'arrêt inopiné du téléchargement sous prétexte qu'un Australien qui hébergeait le fichier est parti se coucher. Le direct download garantit la sécurité du téléchargement: à toute heure, sur tous types de fichiers, ça télécharge à peu près à la même vitesse.

Venez comme vous êtes

Sur Rapidshare et Megaupload, c'est le règne des leechs, les internautes viennent se servir comme au fast-food sans qu'on leur demande de participer à une communauté. Comme on le dit au McDo, «venez comme vous êtes» y compris si vous ne faites que profiter du système. Cette philosophie consumériste déplaît beaucoup aux pionniers du peer-to-peer. En France, la médiatisation des ennuis judiciaires du forum de partage de liens Wawa-Mania a engendré une bataille d'Hernani du téléchargement illégal, voyant s'affronter les romantiques du peer-to-peer et les jeunes fougueux matérialistes du direct download.

Comme au drive-in, on ne fait que passer sur Rapidshare et Megaupload. La particularité de ces sites est qu'ils n'ont pas de moteur de recherche interne comme les logiciels de peer-to-peer (hors BitTorrent). La fonction de recherche est donc sous-traitée à tout un écosystème de sites et de blogs qui référencent les liens vers des disques, des films, des séries ou des jeux vidéo hébergés sur les plateformes. Certains forums de partage de liens (aussi appelés «warez») comme Wawa-Mania, qui revendique 900.000 inscrits, sont devenus de petites PME à la légalité douteuse pouvant dégager un confortable chiffre d'affaires grâce à la publicité.

Mais la plus grosse partie du travail de recherche est en fait sous-traité au spécialiste du genre, Google. Il suffit de taper n'importe quel nom d'album à succès pour que le moteur de recherche renvoie directement avec sa fonction Suggest vers ces sites de direct download:

De la même manière, n'importe quel nom de film renvoie immédiatement vers un téléchargement Megaupload et vers la requête «streaming» (qui fait aboutir le plus souvent sur Megavideo, un site cousin).

Avec le peer-to-peer, le piratage était circonscrit à la périphérie. Il fallait télécharger un logiciel spécialisé et quitter le web pour un autre protocole. Le direct download, au contraire, est fortement implanté en centre-ville sur l'artère principale du web, Google. La fonction Suggest du moteur de recherche expose tous les internautes au phénomène, même s'ils ne cherchent pas à télécharger illégalement. (On remarquera d'ailleurs que le mot «VOD» n'apparaît quasiment jamais pour les recherches de films, la preuve d'une faillite de l'offre légale).

Que peuvent faire les ayants droit face à la menace du direct download?

Faute de pouvoir tracer les internautes qui téléchargent sur ces sites (contrairement au peer-to-peer où il est très simple de poser une caméra de surveillance), les ayants droit en sont réduits à tenter de «vider» Google à main nue ou avec l'aide de logiciels spécialisés. La jurisprudence internationale oblige Rapidshare et Megaupload à enlever tous les contenus illégaux lorsqu'ils leur sont signalés par les ayants droits, mais uniquement lorsqu'ils leur sont signalés. L'hypocrisie est donc totale: les sites de direct download suppriment les contenus, en sachant bien que dans l'heure, un autre internaute remettra en ligne le même contenu. La riposte des ayants droit ne sert qu'à faire pointer certains liens dans le vide (l'enjeu étant que ce soit ceux qui apparaissent en premier sur Google), mais ces liens existent toujours ailleurs, pour peu que l'internaute se donne le mal de chercher. Autre riposte juridique possible pour les majors: faire condamner les warez. Récemment, les Etats-Unis ont fait fermer 9 sites de ce genre.

Rapidshare et Megaupload sont-ils des affaires florissantes? Impossible de le savoir, les deux entreprises basées en Suisse et à Hong-Kong refusent de communiquer leur chiffre d'affaires. Leur modèle économique est celui du freemium (contraction de free et de premium). Tous les internautes peuvent télécharger sur leur plateforme gratuitement, mais il faut payer pour bénéficier de conditions avantageuses: rapidité, absence de publicité, possibilité de télécharger plusieurs fichiers dans la même journée. Pour les gros téléchargeurs, l'abonnement devient vite rentable.

La licence légale illégale

Et c'est là toute l'ironie du système: l'abonnement à Megaupload et à Rapidshare a longtemps été à 9 euros par mois, une somme qui rappelle le vieux projet de «licence légale» (ou «licence globale»). Voté par les députés via un amendement surprise à la loi Dadvsi en 2005, la «licence légale» voulait légaliser le téléchargement en échange du paiement d'une somme forfaitaire de 5 à 7 euros par mois par l'internaute. L'idée fut finalement abandonnée par le législateur, mais elle existe bel et bien avec les sites de direct download. Sauf que la somme tombe sur des comptes suisses et hongkongais et ne revient jamais aux ayants droits. Une forme de licence légale illégale.

Dans un article très remarqué début juin sur Readwriteweb, le journaliste Fabrice Epelboin voyait dans le direct download l'avenir de la distribution culturelle, Rapidshare et Megaupload ayant finalement bâti la «Fnac 2.0»:

«Le modèle [de l’industrie de dis­tri­bu­tion de la culture] n’a aucun ave­nir, [leurs patrons] ne sont pas idiots au point de ne pas en être conscients. Devant eux se pro­file deux voies: celle du peer-to-peer, où ils ont dis­paru, et celle du direct download, où leur puis­sance est démul­ti­pliée et leurs coûts, au final, plus réduits qu’ils ne l’étaient hier. Quelle voie choi­sir? La réponse est assez simple. La seule ques­tion, en réa­lité, consiste à savoir s’il faut détruire les sites de direct download pour en pro­po­ser soi-même, ou tout sim­ple­ment les rache­ter, quitte à faire bais­ser le prix à la faveur d’un énième pro­cès, fai­sant office d’OPA hostile.»

L'idée est provocatrice, mais finalement pas si absurde que ça. Les empires bâtis par Rapidshare et Megaupload sont construits sur des fondations en carton. La menace juridique est permanente, les majors ne cessent de les attaquer devant les juridictions du monde entier. En Allemagne, d'où est originaire Rapidshare, le site a emporté une importante bataille judiciaire cette année, lui reconnaissant le droit de ne pas filtrer a priori les contenus mis en ligne. Le problème, c'est que cette victoire est intervenue en appel, après que le site a été condamné en première instance à filtrer les contenus en amont.

Un mail qui vient du coeur

Face à cette incertitude juridique, Rapidshare s'adapte et essaie de devenir respectable aux yeux des majors. Le site a mis fin en juin à son programme de rémunération des utilisateurs ayant mis en ligne les contenus les plus téléchargés —le système revenant à récompenser ceux qui piratent les blockbusters. Plus significatif encore, le patron de Rapidshare a envoyé un e-mail aux majors du cinéma pour leur proposer de collaborer en renvoyant vers des sites de VOD lorsqu'un contenu a été supprimé par un ayant droit. Le site veut même devenir un portail de distribution légale:

«Nous voulons investir substantiellement dans une boutique en ligne et je serais heureux de ne plus parler de Rapidshare seulement comme d'une menace contre l'industrie mais aussi comme une opportunité intéressante de vendre vos produits. Mon entreprise a un million d'utilisateurs quotidiens. Je suis sûr qu'une proportion significative d'entre eux seraient prêts à acheter les films de vos majors.»

En somme, Rapidshare dit aux ayants droit: «La VOD n'a aucun succès, laissez-nous faire le job, c'est nous qui dominons le réseau de distribution principal, Google.» Cette opération séduction de Rapidshare se double d'une virulente critique de ses concurrents, Megaupload, bien sûr, mais aussi les plus modestes Uploaded.to et Hotfile. Avec la morgue des dealers repentis qui continuent à vendre du shit en douce, un responsable de Rapidshare a tenu ces propos au nouvelobs.com:

«Si vous voulez parler de téléchargement illégal, pourquoi ne vous adressez-vous pas à d'autres sites comme Megaupload, Uploaded.to, Hotfile... et tous ces "hébergeurs criminels" qui récompensent leurs clients pour envoyer et télécharger des œuvres protégées. Nous pensons que les musiciens, les réalisateurs, les auteurs et tous les artistes doivent voir leur travail protégé.»

On en aurait presque la larme à l'oeil. Mais évidemment, Rapidshare continue de cartonner surtout grâce à ses contenus illégaux et non parce que les internautes veulent «échanger leurs dernières photos de vacances ou faire des copies de leur disque dur» comme le dit le coeur sur la main Rapidshare. En France, les sites de direct download semblent connaître un net regain d'intérêt depuis le vote de la loi Hadopi. Dans l'imaginaire des téléchargeurs, le peer-to-peer devient un lieu infesté de radars alors que le direct download reste un espace de non-droit. Rapidshare ne se prive d'ailleurs pas de communiquer là-dessus. «Selon ses responsables, le site ne garde pas les données de connexion des gens qui téléchargent mais peut faire fermer les comptes de ceux qui sont pris à mettre en ligne des contenus illégaux», écrit le site spécialisé TorrentFreak. L'impunité pour les pirates, voilà une sacrée promesse de vente.

Rapidshare 43e site le plus visité au monde

Le site plugngeek.net a mené une petite étude sur le sujet. Même si la méthodologie n'est pas très claire («comparer les sites de téléchargement direct en utilisant en référence les compteurs dont disposent certains d'entre eux et en les comparant à quelques trackers [serveurs BitTorrent] francophones dynamiques»), les chiffres sont très parlants:

Au début de l'année 2010, pour 100 téléchargements par torrent, 28 téléchargements par ddl. En juillet 2010, pour 100 téléchargements par torrent, nous obtenons 78 téléchargements par ddl. En somme, c'est l'explosion, et ça continue! Autre statistique intéressante; en janvier 2010, les sites de ddl avaient environ 2 à 4 jours de retard sur les torrents pour la mise à disposition d'un divx. Aujourd'hui, les 2 se valent, et ce qui est disponible sur un torrent l'est au même moment sur un site de ddl.

Selon le classement établi par Google en juin dernier, Rapidshare est maintenant le 43e site le plus visité au monde et Megaupload le 56e. Deux de leurs concurrents sont aussi très bien placés: Mediafire à la 75e place et le surprenant 4shared.com à la 52e place. Signe des temps, The Pirate Bay, site emblématique de la communauté BitTorrent, n'est que 115e.

Vincent Glad

Photo: Câble téléphonique dans un jardin, via juanpol/Flickr/CC/licence by

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