C’est officiel: la Volt Chevrolet, la nouvelle voiture hybride rechargeable de General Motors, coûtera 41.000 dollars (environ 32.000 euros) –c’est une petite berline quatre places à hayon pour à peu près le prix de base d’une BMW 335i. Certes, un crédit d’impôt fédéral de 7.500 dollars ramènera le coût final à 33.500 dollars (environ 26.000 euros), et l’électricité revient moins cher au kilomètre que l’essence. Mais, sauf à imaginer une flambée des cours du pétrole ou une augmentation drastique des taxes sur le carburant, il faudra plus de 10 ans pour rentabiliser un tel achat. Certains paieront une fortune pour rouler vert ou pour frimer dans le quartier. Mais cette petite bagnole sera toujours un jouet de riche.
C’est ce qui me dérange dans la politique énergétique de l’administration Obama, ou au moins dans ces généreuses subventions accordées à la Volt, à la Nissan Leaf, 100% électrique (prix clé en main similaire, 33.000 dollars) et au Roadster électrique de Tesla à 100.000 dollars: comment le gouvernement fédéral peut-il prendre plaisir à dépenser l’argent des contribuables moyens pour aider des Américains aisés à s’acheter des voitures chères?
Le président Obama prétend ainsi vouloir réduire les émissions de carbone et la dépendance américaine vis-à-vis du pétrole étranger, et créer des emplois «verts». Ces subventions permettront-elles d’atteindre ces objectifs louables à un coût raisonnable? C’est loin d’être évident. D’autres politiques seraient moins coûteuses et plus justes. On pourrait qualifier les subventions d’Obama de «libéralisme limousine», si seulement les voitures concernées étaient plus grandes!
Des modèles pas très séduisants
Quel marché pour la voiture électrique? Le cabinet Deloitte Consulting a interrogé des spécialistes de l’industrie ainsi que 2.000 potentiels acheteurs et a conclu que d’ici 2020, seuls «des individus jeunes et à très haut niveau de revenus» –des ménages qui gagnent plus de 200.000 dollars par an, soit plus de 150.000 euros– pourraient être intéressés par les voitures hybrides rechargeables ou 100% électriques. Ce «petit nombre» d’acheteurs ne permettra jamais d’atteindre «le volume nécessaire à une adoption massive». Les acheteurs seront concentrés en Californie du Sud, où la météo, les lois de l’Etat et les infrastructures sont favorables aux véhicules électriques –où «l’adoption de ces voitures est déjà en train d’être popularisée par les stars en vue».
Finalement, explique Deloitte, un marché un peu plus large pourrait émerger: les 1,3 million de personnes dont le ménage a un revenu annuel supérieur à 114.000 dollars (90.000 euros, le double de la médiane nationale). Parmi eux toutefois, beaucoup ne se laisseront pas séduire par les voitures électriques, à cause des inconvénients de ces dernières en termes de taille, d’éventail de choix et de confort. «Pour que les voitures électriques puissent convaincre, elles doivent offrir les mêmes performances que celles auxquelles les automobilistes sont habitués», estime Deloitte. Ce n’est pas le cas des modèles actuels ou qui sortiront dans un futur proche.
Les ventes ne dépasseront pas les 465.000 véhicules par an d’ici 2020, selon Deloitte –ce n’est rien comparé aux 250 millions de voitures du parc automobile américain. Cette prévision colle avec d’autres pronostics émanant du Boston Consulting Group, de Resources for the Future, de PriceWaterhouseCoopers et de Honda Motor Corp. «Nous n’avons pas confiance» dans le marché des voitures électriques, a d’ailleurs déclaré récemment le chef du département recherche et développement de ce constructeur automobile.
Les économies d'échelle
L’administration Obama estime qu’elle sait mieux que tout le monde. C’est pourquoi non seulement elle subventionne l’achat de voitures électriques, mais en plus dépense beaucoup pour aider les entreprises qui les construisent. Pas moins de 2,4 milliards de dollars (1,9 milliard d’euros) servent à soutenir les usines qui fabriquent les pièces de ces voitures, comme l’usine de batteries de la Volt à Holland, dans le Michigan, qui a reçu la visite du président en juillet. Et le département de l’Energie a prêté des centaines de millions de dollars à Ford, Nissan, General Motors, Tesla et Fisker.
L’argumentation du gouvernement est certes crédible: augmentons la production de la pièce la plus chère de la voiture électrique, la batterie, et son prix va baisser, jusqu’au niveau du marché de masse. Les fameuses économies d’échelle. Elles ont fonctionné pour d’autres produits jadis de luxe, comme les téléphones et les ordinateurs portables. «Grâce aux progrès de fabrication, les coûts [des batteries] doivent chuter de presque 70% dans les années qui viennent, a promis Barack Obama dans le Michigan. Les voitures et camions électriques et hybrides seront donc plus abordables pour plus d’Américains.»
Mais les défis techniques de la production de masse des batteries de téléphones portables sont somme toute modestes par rapport à ceux de la production de masse des batteries de voiture. En outre, les industries des téléphones et ordinateurs portables se sont en grande partie développées avec des capitaux-risques privés, pas publics. Et remarquez que le président a bien dit «plus abordable», pas «abordable». Une étude récente du cabinet Boston Consulting Group prévoit pour les constructeurs automobiles une réduction des coûts de fabrication des batteries de 60 à 65% d’ici 2020 –c’est moins et plus tard que les prévisions optimistes officielles d’Obama, biaisées par le battage médiatique et les idées reçues qui existent autour de cette question.
Et l'emploi?
Je ne pense pas que le coup de pouce du gouvernement en faveur des voitures électriques va «créer» de nouveaux emplois nets. Sans demande solide des consommateurs, les nouveaux sites de production ne tourneront bien sûr pas à plein régime et perdront de l’argent. C’est très probable car l’administration Obama est quasi le seul gouvernement à avoir sauté dans le train de la voiture électrique. Gonflée par les subventions, la capacité de production globale de batteries dépasse largement la demande, actuelle et projetée. Les plus gros surplus sont annoncés au Japon et aux Etats-Unis, selon une étude de Roland Berger Strategy Consultants sur l’éventualité d’une «bulle» des batteries. Le dégraissage devrait commencer dans les cinq ans, selon ce cabinet. Et quand cela arrivera, les ouvriers des usines du Michigan seront de nouveau dans la rue –à moins que leurs entreprises obtiennent un renflouage du gouvernement.
Quant à l’impact des véhicules électriques sur les émissions de gaz à effet de serre, il est particulièrement difficile à calculer. Leur énergie peut provenir soit d’un barrage hydroélectrique, soit d’une usine à charbon crachant du carbone. Plusieurs études ont montré que l’introduction de véhicules hybrides rechargeables ou 100% électriques ne réduira probablement pas à court terme la consommation globale de carburant des Etats-Unis – celle-ci pourrait même augmenter sensiblement. Un rapport du Centre Belfer pour la science et les affaires internationales de l’Université d’Harvard a montré que «les gros crédits d’impôts sur le revenu pour l’achat de nouveaux véhicules diesel, hybrides et hybrides rechargeables n’ont pratiquement aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre des transports».
Pourquoi? Conformément aux normes «Cafe» en vigueur aux Etats-Unis (Corporate Average Fuel Efficiency standards, les normes de consommation moyenne de carburant des véhicules des constructeurs), les fabricants automobiles peuvent utiliser les taux d’efficacité élevés de quelques modèles électriques pour compenser les progrès plus lents du reste de leur flotte. En d’autres termes, les voitures électriques dégagent la voie aux 4x4! Les constructeurs automobiles sautent donc sur l’occasion que représentent les subventions pour les véhicules de pointe, elles les aident à respecter les normes Cafe –voire les objectifs californiens de véhicules zéro émissions.
Si le gouvernement fédéral voulait vraiment réduire les émissions de carbone et la consommation d’essence sans subventionner une poignée de consommateurs riches et d’entreprises clientes, il lui faudrait accepter que le moteur à combustion interne sera la technologie dominante dans les décennies à venir, et se concentrer sur les moyens d’améliorer ce dernier.
A cet égard, le durcissement des normes Cafe par l’administration Obama pourrait aider, même s’il ne sera pas aussi efficace qu’une hausse des taxes sur le carburant –une mesure que le président, comme presque tous les autres dirigeants, répugne à prendre. Au MIT, une équipe menée par le spécialiste des moteurs John Heywood a recommandé une hausse progressive des taxes sur le carburant, échelonnée sur plusieurs années et remboursée aux ménages les plus pauvres, couplée avec un système dans lequel le consommateur toucherait un rabais sur ces taxes chaque fois qu’il passerait d’une voiture plus gourmande à une voiture moins gourmande, et un malus dans le cas contraire.
De telles mesures ne conduiraient certes pas à des cérémonies de coupure de ruban dans le Michigan. Et elles n’augmenteraient certainement pas non plus le nombre de Volt, de Leaf et d’autres symboles verts dans les rues de l’Ouest de Los Angeles. Mais elles représenteraient pour les constructeurs automobiles et les acheteurs de véritables incitations, transparentes et sur le long terme. Important: ces acheteurs pourraient cette fois être de n’importe quelle catégorie sociale. De toutes les conclusions de l’étude de marché de Deloitte, la plus poignante est celle sur le profil de ceux qui n’adopteront pas la voiture électrique. Ils ont un revenu moyen par ménage de 54.000 dollars (environ 42.000 euros), vivent en banlieue ou à la campagne et dépendent lourdement de leur voiture. Ils sont des millions et des millions dans toute l’Amérique. C’est la classe moyenne.
Charles Lane
Traduit par Aurélie Blondel