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Sida: la non-révolution du gel vaginal

Temps de lecture : 5 min

Pour l’heure, ce nouveau produit n’est au mieux qu’un outil préventif, et encore.

En Inde à Chandigarh en janvier 2009. REUTERS/Ajay Verma
En Inde à Chandigarh en janvier 2009. REUTERS/Ajay Verma

Critiquer la hiérarchisation que font les médias des informations dont ils se nourrissent? Rien d’autre qu’une perpétuelle urgence démocratique. C’est aussi un contre-pouvoir amplement facilité par le développement exponentiel d’Internet. De ce point de vue, Moisés Naím fait œuvre utile quand il dénonce (comme il vient de le faire sur Slate) la trop grande importance accordée à des sujets selon lui assez futiles. Au hasard: Mel Gibson (raciste et/ou narcissique?), le «photographe et ami» de Liliane Bettencourt (toujours ou pas bénéficiaire de l’île d’Arros?) ou Pénélope Cruz (enceinte?). Et nous ne disputerons pas avec lui concernant la plus grande place qui devrait être accordée à la richesse du sous-sol afghan, au succès du livre électronique ou au prix de l'énergie. Il nous semble en revanche que notre confrère commet une double erreur concernant la récente annonce de la mise au point d’un gel «microbicide» d’application vaginale destiné à protéger les femmes de l’infection par le virus su sida.

Double erreur. D’abord parce que cette annonce n’a pas, loin s’en faut, été passée à la trappe: elle a, fin juillet, été amplement relayée durant plusieurs jours par la presse internationale (ici, ou ). Ensuite parce que cette couverture médiatique et les espoirs qu’elle a pu faire naître ne correspondent en rien à la réalité des faits. On pourrait ainsi critiquer, mais dans un sens inverse, la hiérarchisation médiatique concernant un phénomène qui reste pour l’essentiel à décrypter.

L'échelle des avancées

Résumons. «Un groupe de chercheurs sud-africains et américains a mis au point un nouveau gel microbicide d’application vaginale, qui permettra à des millions de femmes et de jeunes femmes de se protéger contre le VIH. Selon le magazine Science, c’est la plus grande avancée en matière de lutte contre le VIH/Sida depuis des décennies», écrit Moisés Naím. Observons qu’une partie de cette avancée est publiée dans Science. Observons aussi que le sida est apparu il y a moins de trente ans et que c’est prendre de bien grands risques que d’oser affirmer qu’il s’agit ici de «la plus grande avancée» dans la lutte contre cette épidémie. Les avancées majeures sont connues. D’abord la découverte, en France et dès 1983, du virus responsable de la maladie. Ensuite la mise au point, à compter de 1995, des premiers médicaments antirétroviraux qui (du moins dans les pays riches) ont fait de cette infection mortelle une affection chronique. Or pour l’heure, ce gel d’application vaginale n’est, au mieux, qu’un futur outil préventif.

«Même s’il faudra quelques années avant que ce produit soit disponible pour le public, cette nouvelle a été accueillie avec enthousiasme au sein de la communauté scientifique; même les plus sceptiques sont convaincus que ce gel aura des effets considérables et disent placer en lui beaucoup d’espoir, poursuit Moisés Naím. Hélas, le monde s’intéresse moins à ce produit révolutionnaire qu’aux aventures de Lady Gaga.» Le monde s’intéresserait-il moins aux aventures (lesquelles?) de Mme Gaga qu’il découvrirait que ce gel n’a rien de véritablement «révolutionnaire». Pour autant, il est vrai que la nouvelle aurait été «accueillie avec enthousiasme au sein de la communauté scientifique». Ainsi cet extrait d’une dépêche de l’Agence France Presse signée de Christine Courcol, datée du 23 juillet 2010 et mandée de Vienne (Autriche) où se tenait la 18e Conférence internationale sur le sida:

«L'annonce de la mise au point d'un gel vaginal préventif incluant un antirétroviral, une réussite jamais vue depuis des années, a soulevé l'enthousiasme des près des 20.000 participants à la Conférence. "Enfin les femmes vont pouvoir tenir leur sort entre leurs mains!", ont applaudi les congressistes. Il faut encore que le succès se confirme, mais peu de chercheurs en doutent.»

De quoi parle-t-on précisément? D’un nouveau «microbicide antisida». On désigne ainsi des substances d’application vaginale visant à réduire le risque, pour une femme, d’être contaminée lors d’une relation sexuelle avec un partenaire infecté refusant d’avoir recours à un préservatif. Les premiers microbicides expérimentés dans ce domaine n’avaient pas, loin s’en faut, permis d’obtenir de bons résultats. Certains s’étaient même révélés plus nocifs que bénéfiques car fragilisant les muqueuses et augmentant ainsi le risque infectieux. La nouveauté réside aujourd’hui dans la mise au point d’un microbicide contenant –à hauteur de 1%– un médicament antirétroviral (le ténofovir commercialisé sous le nom de Viread®).

Un progrès, sans doute

L’étude de phase II dont les résultats ont, nous dit-on, «fait sensation» à Vienne a été lancée en 2007. Baptisée Caprisa 004, elle a concerné 889 femmes d'Afrique du sud vivant au Natal. Ces femmes, expliquent les auteurs de ce travail, étaient âgées de 18 à 40 ans, séronégatives au départ, sexuellement actives et à haut risque de devenir séropositives. Comme le veut la méthodologie statistique, deux groupes ont été constitués. D’une part, 445 femmes ont reçu du gel avec antirétroviral et 444 un gel sans produit actif (placebo). Toutes devaient utiliser une dose de gel «environ» douze heures avant une relation sexuelle et une seconde dose dans les douze heures suivant cette même relation. Conclusion: chez les femmes respectant strictement les consignes (soit la moitié d'entre elles), le taux d'infection au bout de 30 mois était inférieur de moitié à ce qu'il était chez celles utilisant un placebo. Plus précisément 38 femmes bénéficiant du gel «actif» ont été infectées, contre 60 dans le groupe placebo.

Sur cette base, des modèles mathématiques prédictifs estiment qu’un tel gel microbicide permettrait dans la prochaine décennie de prévenir (selon l’usage qui pourrait en être fait) entre 271.000 et 602.000 nouvelles infections en Afrique du Sud. Pour les responsables de l'étude, le recours à ce produit pourrait «remplir un manque important dans la prévention, spécialement pour les femmes incapables de négocier avec succès une monogamie mutuelle ou l'usage du préservatif».

Un progrès, sans doute. Une révolution, certainement pas. «Nous donnons de l'espoir aux femmes. Si c'est confirmé, un microbicide peut être une option puissante pour la révolution de la prévention et nous aider à casser la trajectoire de l'épidémie de sida», a déclaré Michel Sidibé, directeur exécutif de l'Onusida. Margaret Chan, directrice générale de l’OMS:

«L’Organisation travaillera avec les pays et les partenaires pour accélérer l'accès à ce produit une fois que les résultats de l'étude seront confirmés. Toutes les nouvelles avancées dans la prévention du VIH, particulièrement pour les femmes, sont excitantes.»

«Particulièrement pour les femmes»? Autant dire de très prudents enthousiasmes de façade. Sans même évoquer les difficultés pratiques (avoir recours au gel «environ» douze heures avant une relation sexuelle potentiellement infectieuse…), de nombreuses questions demeurent sans réponse. La principale concerne l’inefficacité de cette substance chez une proportion importante d’utilisatrices. Un essai de phase III déjà en cours (concernant cette fois plus de 4.000 femmes) permettra, peut-être, d’apporter des éléments réponses. Sur le fond, cette affaire apparaît comme un parfait symétrique de la problématique de la circoncision pratiquée à des fins de prévention. En clair: jusqu’où la puissance publique peut-elle aller dans la promotion de procédés préventifs touchant à la sexualité (et à ce titre pouvant être difficilement acceptés) quand il est établi que ces procédés sont d’une efficacité toute relative?

Jean-Yves Nau

Photo: En Inde à Chandigarh en janvier 2009. REUTERS/Ajay Verma

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