Cela fait plus de 4 ans que The West Wing («A la Maison Blanche» en français) s’est arrêtée et, depuis, aucune série n’a vraiment été capable de la remplacer dans le créneau de la fiction politique. Par sa complexité, sa mise en scène léchée, ses risques politiques, ses quelques vrais problèmes économiques et sociaux et la profondeur de ses personnages, The West Wing reste une référence incontournable de ce que doit être une production audiovisuelle qui s’intéresse au monde politique.
Ce n’est pas un hasard si, il y a quelques mois, Pierre Langlais se demandait ici même si l’on pouvait espérer un «A la Maison Blanche» version française. L’une de ses conclusions était que «les séries politiques hexagonales souffrent aussi d’un déficit de réalisme criant» et que subsiste sans doute l’idée que «les séries politiques seraient barbantes». Mais qu’en est-il du modèle du genre? Est-ce que les choses se passent, dans la réalité, comme A la Maison Blanche?
Au plus près de l’actualité
«Les responsables de NBC [la chaîne qui diffusait la série] étaient sceptiques parce qu’ils pensaient qu’une série sur la politique et les affaires à Washington ne fonctionnerait jamais», nous explique David Handelman, ami d’Aaron Sorkin, le créateur de The West Wing, et scénariste de la quatrième saison. Une «frilosité» comparable à celle dont parle Langlais en ce qui concerne la fiction télévisuelle française. D’autant plus que, début 1998, éclate «l’affaire Lewinsky» et que la chaîne comprend que «dans ces circonstances, on ne pouvait pas faire une série sur la figure idéalisée du président», se souvient Handelman. Ce ne sera que partie remise et la série arrivera sur les écrans américains en septembre 1999.
Car, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, les remous et les débats de l’actualité ne semblent pas être des obstacles pour les créateurs américains. Au contraire. En se frottant aux problèmes contemporains, les séries deviennent plus réalistes et évitent l’ennui des vieux sujets poussiéreux. «Une des choses les plus compliquées, au moment de s’attaquer à l’écriture d’un épisode, était de le faire proche et ressemblant à la politique américaine du moment sans être vraiment politique ni aliéner l’audience», constate Handelman. Le premier épisode de la troisième saison, intitulé Isaac and Ishmael, en est le parfait exemple. Diffusé le 3 octobre, c'est-à-dire moins d’un mois après les attentats du 11-Septembre, il met en scène une discussion sur le terrorisme entre les collaborateurs du président et des enfants en visite pendant que l’on recherche un présumé terroriste infiltré à la Maison Blanche.
De vrais débats
Les exemples sont innombrables. «L’année où j’ai travaillé là-bas, nous avons écrit un épisode sur un génocide dans un pays africain qui était fondé sur les événements au Rwanda, parce que les scénaristes étaient frustrés que Clinton et Bush n’aient rien fait dans la vie réelle», se souvient Handelman. Rien que dans la première saison, la série aborde des sujets de société aussi importants que la peine de mort, les ripostes proportionnées ou les scandales sexuels des députés. Mais surtout, elle permet de comprendre le fonctionnement de la vie politique américaine. Dans le quatrième épisode de cette première saison (Five Votes Down), la décision de cinq membres du Congrès de changer leurs positions sur une loi portant sur les armes à feu permet de comprendre la liberté de vote de ces députés et le poids de leur électorat dans leurs choix. Les difficultés de Barack Obama, au sein même de son parti, pour faire adopter récemment la réforme sur le système de santé américain montre bien que cela arrive aussi dans la vraie vie.
Il en va de même pour les lobbys qui, dans le huitième épisode (Enemies), font pression pour changer une loi sur le système bancaire ou les mouvements stratégiques lors de l’élection d’un nouveau juge de la Cour Suprême, dans le neuvième épisode (The Short List). Autant de subtilités qui existent bel et bien à Washington même si A la Maison Blanche les romance évidement beaucoup.
L’envers du décor
Mais la série ne fait pas que s’emparer des sujets délicats qui intéressent l’opinion publique (ce qui est déjà beaucoup). Elle montre aussi la façon dont doivent les affronter les hommes politiques. Dans l’un des épisodes, le débat porte sur le Flag Burning Amendment (L'amendement contre la profanation du drapeau), toujours d’actualité aux Etats-Unis. Après avoir longuement exposé les différents points de vue, l’avis du président Bartlet se résume à celui des sondages qu’il reçoit sur le sujet. De même, dans un autre épisode, traitant de la peine de mort (Take this Sabbath Day), il est clair que la décision de Bartlet sur le sujet est déjà prise par les «71% d’Américains qui sont favorables à la peine de mort», comme il ne cesse de le répéter. La série montre bien les difficultés que rencontrent les hommes politiques. «Vous étiez bon pendant la campagne. Puis vous vous êtes couché dès que vous avez été élu», dit au président un juge de la Cour Suprême avant de partir à la retraite. Une critique que l’on fait souvent (presque toujours) aux dirigeants. Et «la rupture» rêvée que devaient représenter les politiques de Sarkozy ou Obama n’y a pas échappé non plus.
A travers les différents collaborateurs du président, ce sont quelques caractéristiques de la politique contemporaine que la série pointe du doigt. C’est le cas, par exemple, de sa croissante pipolisation critiquée dans The Sate Dinner (1x05). L’épisode s’ouvre sur CJ, la porte-parole de la Maison Blanche, expliquant aux journalistes que «la première dame portera une robe en soie et un boléro en perles, des chaussures Manolo Blahnik en daim noir…». On pense évidemment à Carla Bruni ou aux vacances des hommes politiques ou encore au look de Michelle Obama. Comme le dira plus tard CJ, «un puissant ouragan fonce vers la Géorgie, on accueille des négociations pour éviter une grève, on prépare le siège d’un groupe d’Américains et on reçoit le président indonésien, mais vous savez ce qu’on va me demander?». Une journaliste entre à ce moment-là. Et CJ de répondre, avant que la question ne soit posée, «oui, ce sont des Manolo Blahnik en daim noir avec une boucle en nacre». «Merci», répond la journaliste. Et elle repart.
Particularités américaines
Car Sorkin connaît parfaitement les secrets de la Maison Blanche en ce qui concerne la communication. Et c’est sûrement l’un des points les plus réalistes de la série. Il suffit de se rappeler de la scène de son film Le Président et Miss Wade, qui donna lieu à A la Maison Blanche, où le président américain, interprété par Michael Douglas, interrompt une conférence de presse. Des images qui ressemblent étrangement à celles que l’on vit il y a un an quand Obama interrompit son porte-parole pour commenter la décision du juge David Souter d’abandonner la Cour Suprême. La série est pleine d’anecdotes, d’exemples et d’histoires basées sur des expériences réelles. «Il y avait des anciens consultants politiques parmi les scénaristes. L’un d’eux, par exemple, écrivait les discours d’Al Gore quand il était vice-président», explique Handelman avant de rappeler que «nous aussi avions des consultants externes comme Dee Dee Myers qui avait travaillé en tant que porte-parole de la Maison Blanche sous le mandat Clinton».
Après avoir vu la relation entre la presse et le président dans la série on comprend mieux, par exemple, l’apparition d’Obama avec un gâteau, pour fêter l’anniversaire d’Helen Thomas, la journaliste la plus âgée accréditée à la Maison Blanche, il y a un an (depuis, elle est partie après une polémique).
La politique idéalisée
Mais il est clair que la série n’est pas le reflet exact de la réalité. Les cliffhangers, les scènes larmoyantes, les techniques narratives et autres intrigues rocambolesques (l’enlèvement de Zoey ou la bonne humeur toujours régnante) la situent résolument du côté du récit et non du documentaire. Il n’empêche, la fiction a toujours servi à comprendre le monde. Ou, au moins, à se faire une idée de la théorie fiscale des démocrates américains qu’explique Josh à Donna dans le sixième épisode. «On a 32 milliards de dollars d’excédent budgétaire pour la première fois depuis 30 ans, non?», demande Donna. «Oui», répond Josh. «Les républicains veulent donc baisser les impôts. En gros, ils veulent nous rendre l’argent.» «Oui.» «Pourquoi on ne veut pas rendre l’argent?» «Parce qu’on est démocrates.(…) On ne te croit pas. Tu le dépenserais mal.» «Je veux mon argent!», ne cessera dès lors de répéter Donna.
La politique est rarement aussi drôle. Mais le quotidien d’un flic, d’un infirmier ou d’un mafieux ne l’est pas non plus et pourtant The Wire, Urgences ou Les Sopranos sont des références. De la même manière, A la Maison Blanche aide largement à comprendre comment la politique fonctionne. Et, surtout, comment elle devrait fonctionner.
Aurélien Le Genissel
Photo: Martin Sheen (le président Bartlet) et Richard Schiff (Toby Ziegler)