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Un bouffon à la mairie de Reykjavik

Temps de lecture : 5 min

Le maire de Reykjavik s'est rendu le 5 août à la Gay Pride travesti en femme avec rouge à lèvres, perruque blonde et sac à main jaune fluo. Portrait d'un personnage qui défraie la chronique en Islande.

Photo: Jon Gnarr à la Gay Pride de Reykjavik, Flickr/riggott/CC licence By
Photo: Jon Gnarr à la Gay Pride de Reykjavik, Flickr/riggott/CC licence By


C'est l'histoire d'un type, comédien au demeurant, que rien ne destinait à devenir maire de la capitale de son pays. Il suffit pourtant parfois d'un événement majeur, en l'occurrence une crise économique –de celles qui déchirent une nation et son paysage politique– pour matérialiser un jour ce qui paraissait inconcevable par le passé. Cette histoire, c'est celle de Jon Gnarr et son Meilleur Parti, sorti grand vainqueur et élu maire, en juin dernier, lors des élections municipales de Reykjavik, capitale de l'Islande.

L'anti-politicien

Jon Gnarr est un personnage hors du commun, pour un politicien en tout cas. Quand on lui demande ce qui l'a poussé à s'engager dans une cause aussi masochiste que la politique, l'homme se plaît à invoquer Samuel Beckett et l'absurdité de sa pièce En attendant Godot, reflet selon lui du sentiment des Islandais redevables d'une dette contractée par les banques peu scrupuleuses de leur pays. Inconnu dans nos contrées, Jon Gnarr est pourtant une figure familière des Islandais depuis des années. Tour à tour poète, musicien ou activiste de Greenpeace, le garçon s'est surtout fait connaître du plus grand public comme cet acteur comique incarnant à la télévision le personnage de Georg Bjarnfredarson, un Suédois éduqué, marxiste et désagréable, traumatisé dans son enfance par une mère militante féministe.

En créant le Meilleur Parti en novembre 2009, difficile de croire que Jon Gnarr le comique envisageait sérieusement être élu sept mois plus tard. Basée sur des slogans parfois farfelus –«un seul Père Noël pour faire des économies», «un ours polaire pour le zoo de Reykjavik», «Disneyland à l’aéroport», «un Parlement sans drogues d’ici 2020»– sa candidature s'est pourtant révélée être plus sérieuse que certains médias étrangers ont bien voulu le croire, déterminée par la volonté de se débarrasser de cette dette que les Islandais refusent de payer et d'en finir surtout avec la manière traditionnelle de faire de la politique.

Coalition et conseillers municipaux punk

Arrivé en tête des votes avec 34,7%, soit six des quinze sièges du conseil municipal, Jon Gnarr a tout de même dû composer avec ses opposants politiques et former une alliance avec le parti social-démocrate pour s'assurer le fauteuil de maire de la cité. Témoin privilégié de ce séisme politique –un terme récurrent et absolument pas usurpé pour qualifier son élection– Karl Blöndal, le rédacteur en chef adjoint de MorgunBladid, un des gros titres du pays, explique que s'ils l'avaient voulu, les partis classiques auraient pu faire fi des traditionnelles querelles de positionnement politique pour faire barrage à Gnarr. Une réalité un peu à l'image de ce que le journaliste et écrivain Hunter S. Thompson avait vécu à Pitkin aux Etats-Unis en 1970, quand républicains et démocrates locaux s'étaient alliés pour l'empêcher d'accéder à la fonction de shérif du comté alors qu'il avait emporté presque la moitié des suffrages.

Le conseil municipal de Reykjavik est donc aujourd'hui composé de chanteurs punk ou de femmes au foyer qui côtoient des purs produits du monde politique islandais. Anecdote surprenante, mais ô combien révélatrice de la méthode Gnarr, celui-ci exigea de chacun des membres du conseil issus du parti social-démocrate –au moment de la mise en place de la coalition– qu'ils regardent les 5 saisons de l'excellentissime série The Wire, qui dépeint de manière pyramidale les imbrications économico-politico-mafieuses au sein de la ville de Baltimore aux Etats-Unis.

Plus qu'un vote de protestation, le désir d'espérer

Pourtant, au-delà de la simple bonne blague, l'élection de Jon Gnarr s'est jouée sur un double facteur majeur: un vote de protestation combiné à l'espoir des votants de voir émerger une nouvelle façon de faire de la politique dans un pays qui n'a pas pardonné à ses hommes politiques leur implication dans la crise économique de 2008 qui a laissé de nombreux Islandais sur le carreau.

L'espoir est très présent parmi les nombreux à avoir donné leur voix à Jon Gnarr. L'absurdité supposée du Meilleur Parti renvoie avant tout à l'impertinence et l'incongruité avérées des autres partis pour ces votants. Si sa volonté de faire de la politique une activité à la transparence irréprochable est logiquement passée assez inaperçue dans les médias étrangers à côté de l'ours polaire au zoo ou du Disneyland à l'aéroport, c'est pourtant bien là que réside l'une des clés de cette victoire.

Les jeunes générations d'Islandais, réputées très consuméristes, ont vécu la révolution des casseroles de 2008 comme une véritable prise de conscience. Chez nombre d'habitants de Reykjavik, jeunes et moins jeunes, la simple évocation du nom de Jon Gnarr suscite un enthousiasme et des sourires qui ne mentent pas. Mundi Vondi, jeune créateur de mode à la réputation déjà internationale, ne se lasse pas de répéter qu'il aime ce parti, qu'il aime l'idée d'avoir un comédien musicien punk entouré d'autre comédiens comme maire, et qui surtout «ne pense pas comme tous ces hommes politiques à l'esprit intellectuellement sclérosé par leur fonction». Il retient que Jon Gnarr et son équipe devraient prendre des décisions qui seront simplement fondées sur l'envie d'améliorer les conditions de la communauté plutôt que sur les calculs politiques permanents.

«Un maire, c'est comme un mari»

Dans certains milieux d'affaires –celui des nouvelles technologies notamment– on retrouve également le même enthousiasme. Rut Magnusdottir, jeune femme pimpante, la trentaine passée, et directrice adjointe du réseau social Dageek, répète à l'envi que «cette histoire n'est pas une blague, mais une bonne chose au contraire». Si elle est consciente que le nouveau maire va devoir réfléchir fortement pour ne pas tomber dans les travers des partis classiques, elle fait cette comparaison qui en dit long sur le rapport des habitants de Reykjavik avec leur nouveau maire: «Un maire, c'est comme un mari, et moi je veux un maire qui me dise toujours la vérité. Au moins, nous savons que lui dira toujours la vérité, or c'est précisément ce que nous voulons maintenant: de l'intégrité et de l'honnêteté

Même son de cloche chez Kristján Freyr, manager du label musical indépendant Kimi Records et vieil ami de Jon Gnarr. Pour lui, l'élection de Gnarr matérialise un changement à propos du concept même de politique en Islande. Les collusions entre les politiques et le reste de la population étaient parfois outrageantes, menant à une inévitable corruption. Il est persuadé que cela n'arrivera pas avec Gnarr. Et des enthousiastes comme Mundi, Rut ou Krijstián, on en trouve à la pelle dans Reykjavik.

Au-delà de tout l'espoir qu'il suscite, ce Jon Gnarr est resté un mec accessible. Tout le monde semble le connaître ou avoir un lien plus ou moins proche avec lui. Quand il ne dîne pas en ville, invite du monde chez lui ou travaille tout simplement –on le dit extrêmement impliqué dans sa nouvelle fonction– Jon Gnarr converse et partage des liens et des réflexions avec les 10.000 personnes recensées sur sa page Facebook. A l'image d'Obama, Internet a joué un grand rôle dans son élection, notamment avec sa vidéo programme «Simply the Best» qui a tout bonnement fait le tour du monde. Mais si l'humour a toujours été sa force, Jon Gnarr –quatrième maire de Reykjavik en quatre ans– reste vraiment très attendu au tournant par ses opposants politiques qui rêvent déjà à l'idée de le voir se casser les dents avec ses beaux idéaux. Ses partisans, eux, escomptent qu'il ira au bout des quatre ans de son mandat. Si la ville a déjà gagné le surnom de «Gnarrenburg», à lui désormais de prouver que toute cette histoire n'aura pas été une mauvaise farce, dans un pays qui en a assez de rire –jaune– à cause de ses politiques.

Loïc H. Rechi

Photo: Jon Gnarr à la Gay Pride de Reykjavik, Flickr/riggott/CC licence By

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