Le mercredi 4 août, les Kenyans se sont prononcés par référendum sur une nouvelle constitution. Certains craignaient que les violences qui avaient marqué les élections de 2007 ne se répètent; les violences ethniques avaient alors fait plus d’un millier de victimes. Mais la journée a été calme, et les vendeurs à la sauvette –qui étaient restés chez eux il y a trois ans– ont pu vendre sans mal leurs bouteilles glacées de Fanta aux électeurs. Le Fanta est le soda le plus consommé en Afrique, après le Coca-Cola. Les Européens et les Latino-américains en raffolent eux aussi. Comment expliquer que ce soda ait beaucoup plus de succès à l’extérieur qu’à l’intérieur des Etats-Unis?
Des restes de fromage et de pommes
C’est à la fois une affaire de marketing et d’histoire. Coca-Cola et Pepsi ont tout deux fait leurs débuts au tournant du XXe siècle. Le «Fanta orange» a été introduit en Europe en 1955, mais il a fallu attendre les années 1960 pour le voir apparaître aux Etats-Unis; Coca-Cola craignait qu’il ne fasse de l’ombre à son cola vedette. Le Fanta fait son petit bout de chemin tant bien que mal: le soutien marketing est faible, et les ventes sont limitées. Au milieu des années 1980, Coca-Cola décide de ne plus le commercialiser sur le territoire américain. (Il se vendait toujours dans les régions abritant de larges communautés d’immigrés: les familles reconnaissaient immédiatement le soda orange qu’elles avaient bu dans leur pays d’origine.) En 2001, la société décide de le remettre en vente dans l’ensemble des Etats-Unis, en investissant cette fois dans une campagne marketing bien plus efficace. Le produit aux volumes de ventes négligeables des années 1990 est aujourd’hui passé dans le top 10 des sodas.
A l’origine, le Fanta était un produit nazi. Après Pearl Harbor, les sociétés de mise en bouteille allemandes furent privées de sirop Coca-Cola. Max Keith, responsable de Coca-Cola Allemagne –qui arborait une petite moustache à la Hitler et qui célébra le 50e anniversaire du Führer lors de plusieurs séminaires d’entreprise– élabora une alternative. Il décida de mélanger divers déchets, sans recette précise –les restes de la fabrication du fromage, les fibres de pommes pressées pour faire le cidre, et tout le surplus de fruits italiens alors disponible. Il ajouta de la saccharine pour adoucir le tout, et le baptisa Fanta, s’inspirant d’un terme allemand signifiant «fantaisie» ou «imagination». Le breuvage fut un succès, surtout lorsque la nourriture vint à manquer –les consommateurs en faisaient un bouillon de soupe. Après la guerre, lorsque la maison mère reprit le contrôle de sa filiale allemande, elle mit un terme à la production du soda.
L'offensive
Dix ans plus tard, Coca-Cola était en crise. Pepsi avait lancé plusieurs sodas aux saveurs distinctes au cours des années 1950; de son côté, en dehors de l’anomalie Fanta, Coca-Cola n’avait jamais eu qu’un seul produit en stock (présenté soit en bouteille en verre de 20cl, soit en fontaine à soda). En 1955, pour mieux contenir l’offensive de Pepsi, la société décide de relancer la marque Fanta dans toute l’Europe, en introduisant la nouvelle recette à l’orange. Elle étend bientôt le marché à l’Afrique, à l’Asie et à l’Amérique du Sud; la marque se décline aujourd’hui en une grande variété de parfums. Mais Coca-Cola n’a jamais tenté d’en faire un produit de premier plan aux Etats-Unis.
Brian Palmer
Traduit par Jean-Clément Nau
Photo: Fanta / Alfonso Jimenez via Flickr License CC by