«On sait tous comment sont les Français, Platini est français, il se croit meilleur que tout le monde», a déclaré Maradona à propos du président de l’UEFA lors de la Coupe du monde. Ou encore le général américain McChrystal qui a tenu des propos sans ambiguïtés sur la capitale française et ses politiques, et qui a dû démissionner depuis. Ce n’est pas une surprise: pour le reste du monde, nous sommes hautains et méprisants, persuadés d’être les meilleurs, et les performances et l’attitude de l’équipe de France n’ont rien fait pour changer ce cliché.
Le célèbre blog américain Gawker, qui a récemment découvert l’existence de la version française de Slate (nous) s’en est réjouit et s’est permis, du coup, de nous proposer une liste de sujets, dans le style de Slate.com, mais adapté à la culture française. Et notamment un: «Le journal intime du dédain: j’ai passé un an à ne faire que critiquer.» Excellente question. Pourquoi donc, et comment faire pour y arriver? Et tout d’abord, pourquoi sommes-nous considérés comme méprisants et arrogants?
Le poids de l’histoire
Ainsi, selon la légende, Cambronne, encerclé par le général britannique Colville à Waterloo, aurait déclaré: «Le garde meurt mais ne se rend pas», puis, devant l’insistance de l’Anglais, «merde». Le merde de Cambronne, un merde à la face du monde qui veut dire:
«Regardez-nous, nous avons conquis l’Europe avec nos armées et nos idées. Nous avons perdu, mais nous resterons à jamais les héros de notre temps.»
«Malheur au héros qui n’est pas mort de mort héroïque», une sentence appliquée souvent à la lettre par les Français. L’important n’étant pas de gagner, mais de mourir avec panache. Outre Cambronne, cette discussion entre Surcouf et l’un de ses ennemis, après la guerre: «Enfin, Monsieur, avouez que vous, Français, vous battiez pour l'argent tandis que nous, Anglais, nous battions pour l'honneur…» Et le corsaire français, fier-à-bras, de répondre: «Certes, Monsieur, mais chacun se bat pour acquérir ce qu'il n'a pas.» Toujours le sens de la répartie. Ou d’Artagnan, à peine pubère, mais «fier comme un Gascon», prêt à provoquer en duel n’importe qui, surtout si ce sont des hommes du cardinal ou des Albions. Ou Jeanne d’Arc, pucelle, qui va bouter les Anglais hors de France.
On aime célébrer les actes de panache, les grandes phrases, les «Nous ne sortirons que par la force des baïonettes» plus que les dispositifs tactiques implacables. D’où, par corrélation, cette tendance à ne se souvenir que des défaites. On ne se lasse pas de refaire le match d’Alésia, d’Azincourt, de Trafalgar, de Waterloo, de Fachoda ou de Séville 82 mais jamais personne pour se réjouir d’Hastings, Bouvines ou Iéna. On se déclare fils de Vercingétorix, ce perdant, plutôt que fils de César, qui a pourtant fait bien plus pour nous. Déjà l’historien Ernerst Renan, dans son discours en 1882, «Qu’est-ce qu’une nation», expliquait que le sentiment national passait par «un héritage de gloire» mais aussi «de regrets à partager». Et nous, ils sont nombreux.
Gastronomie, femmes, mode, des éléments objectifs
A ce rapport particulier avec l’histoire s’ajoutent de nombreux éléments culturels qui permettent de conforter le mépris ordinaire quotidien. Point crucial qui fait que les Français mépriseront toujours les Anglo-Saxons: la gastronomie évidemment. Cliché: on mange mal de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique. Or, dans la vie, c’est le plus important. Donc les Anglo-Saxons n’ont rien compris aux plaisirs de la vie. Donc, il faut les mépriser: CQFD. Quand l’Américain inculte se gausse des fromages qui puent, le Français lui lance le sourcil hautain du Grec regardant les barbares débouler du haut de la colline.
A la gastronomie s’ajoutent les femmes, qui sont les plus belles, évidemment, car les plus élégantes et les plus minces du monde. Cliché aussi (quoique), à tel point que des livres aux Etats-Unis sortent en pagaille pour comprendre le secret des petites Françaises. Les journalistes anglaises se posent également régulièrement la question. Et ne sommes-nous pas les plus romantiques, les plus doués au lit, ceux avec la plus longue, etc, etc?
Une excellente nourriture, des bons vins, des belles femmes (c’est lié) et une diversité immense de paysages et d’architectures qui peuvent rendre légitimement fier. La France est ainsi la troisième nation du monde en termes de lieux et monuments classés au Patrimoine mondial de l’Unesco après l’Italie et la Chine. Tous ces éléments –peut-être pas très utiles, mais plus palpables au quotidien que les variations de la Bourse et les taux d’investissement en R&D– poussent le Français à se regarder le nombril.
Dialogue imaginaire type entre un Américain et un Français:
-L’Américain: «Regardez, j’ai la plus belle maison et une grande Cadillac. J’ai réussi dans la vie.»
-Le Français: «Mais pour y vivre avec qui? Allez manger où et quoi? Faire l’amour quand?»
-L’Américain: «Vous êtes méprisants, vous êtes incapables de saluer le succès des autres.»
-Le Français, qui déjà n’écoute plus, repense avec nostalgie à ses conquêtes passées.
Quelques conseils donc pour être méprisant comme un Français
Une fois ces vérités établies, voilà quelques conseils à nos amis d’outre-Atlantique pour être méprisant comme nous:
* Surtout ne pas créer: si vous passez un an à Paris, surtout, ne vous lancez pas dans l’art ou un quelconque projet. Tout a déjà été écrit, fait, par d’autres et mieux que vous (et les critiques remonteront à la Bible et Homère si besoin). Donc si vous osez présenter vos œuvres, tout le monde se moquera de vous et de votre outrecuidance pour avoir osé affirmer qu’il y avait là création et donc nouveauté. Adoptez l’attitude inverse: allez dans des vernissages et moquez-vous.
* En règle générale, surtout ne pas trop s’enthousiasmer. Bannissez de votre vocabulaire les «Oh my God» et les «Awesome». Adoptez le «Ouais, pas mal». A la limite, vous pouvez éventuellement vous enthousiasmer pour une belle jeune fille, lui dédier des chansons et des poèmes. Mais pendant une semaine maximum. Avant la suivante.
* Surtout ne pas aller au Café de Flore et aux Deux-Magots, à moins que vous n’ayez plus du tout d’accent. C’est réservé aux Français pour se moquer des touristes américains qui pensent être dans un endroit cool alors que ça fait 50 ans que cela ne l’est plus.
* N’hésitez pas à critiquer les gens autour de vous et à propager des rumeurs, même si vous ne les connaissez pas. N’ayez pas de remords, les autres font la même chose contre vous, mais avec plus de talent.
* En général, critiquez tout. C’était mieux avant, ça sera mieux après, vous êtes né à la mauvaise époque, etc.
* Surtout ne pas tenir votre journal intime du mépris sur un quelconque cahier Hello Kitty. D’ailleurs, vous ne tenez pas un journal intime, vous écrivez le roman de votre temps (vous racontez votre vie, en résumé) à la terrasse d’un café, sur un Moleskine.
Ces quelques éléments historiques, culturels et ces conseils devraient vous permettre de tenir un an en ayant qu’une seule activité: regarder le monde autour de vous avec dédain et arrogance.
Photo: les Champs Elysées à Paris verts Philippe Wojazer / Reuters