La place boursière de Paris, désormais coachée par New-York, se lance à l'assaut de Londres en se proposant d'y accueillir les entreprises du monde entier qui veulent se faire coter. Pour les uns, l'orgueil national est sauf; pour d'autres Paris, qui va perdre encore un peu plus de sa substance, est en train de devenir une place financière de seconde zone.
Qui se souvient que Nancy, Lille, Nantes, ou encore Bordeaux, Lyon, Marseille ont été en leurs temps des places boursières dynamiques avec leurs agents de change hauts en couleur. Quelques lieux, quelques noms ont survécu, ici ou là, pour témoigner des dynasties passées. Certains agents de change sont parvenus à survivre en se faisant racheter à prix d'or ou en se rencentrant sur la gestion de fortune. D'autres ont fait le grand saut. Mais ce monde a bel et bien disparu englouti dans le grand maelström des concentrations et de l'internationalisation des places financières.
A l'époque la main sur le coeur, la Compagnie des agents de change devenue à la suite de la disparition du monopole la Société des Bourses françaises puis Euronext, jurait ses grands dieux auprès des élus locaux et des entreprises que ces places financières régionales, vieilles souvent de plusieurs siècles, conserveraient leur activité et leur autonomie à coté du centre des affaires de Paris. Au nom de l'atout de la proximité face au rouleau compresseur d'une mondialisation gommant toute particularité. Aujourd'hui, il ne reste rien.
En réussissant à accompagner un inévitable mouvement de consolidation international de la finance, Euronext à Paris a réussi, au cours des quinze dernières années, à faire un joli bout de chemin en agglomérant Amsterdam, Bruxelles et Lisbonne pour s'ériger en véritable place de marché pan européenne. Mais aujourd'hui, face à l' irrésistible mouvement brownien de concentration, la place financière de Paris affronte à son tour le même syndrôme que celui qu'ont connu il y a vingt ans les Bourses de province. Seule l'échelle a changé. Face à Londres, New York, Hong Kong et Shanghai, la place française livre une bataille d'influence et de puissance loin d'être gagnée.
Dan ce match, engagé depuis plusieurs années, un premier coup de semonce a été donné par le rachat en 2007, déguisé en fusion entre égaux d'Euronext par la Bourse de New York, le Nyse. Faute d'avoir réussi à temps à séduire Londres pour se marier et peser plus lourd, Euronext a choisi de se précipiter dans les bras de la Bourse de New York, lointaine et donc considérée comme moins hégémonique que celle de Francfort.
Le deuxième glissement de terrain a eu lieu très discrètement il y a quelques mois: New York a décidé de transférer toute l'informatique d'Euronext à Londres en expliquant qu'il s'agit d'être plus proche de ses clients et de gagner en rapidité d'exécution à l'heure où les Bourses traditionnelles affrontent la concurrence des plate formes de négociations privées.
Reste à savoir à quoi va aboutir la troisième étape qui est déjà engagée: Nyse Euronext, la Bourse transatlantique, en fait contrôlée et dirigée par les américains, avance désormais ouvertement ses pions face au London Stock Exchange en décidant d'installer dans la capitale britannique une plate forme de cotation en vue d'attirer les introductions sur le marché des entreprises du monde entier, en particulier celle des pays émergents. Un bien joli défi qui revient à chatouiller les financiers de la City sur leur terrain de jeu privilégié. A Londres, on ne s'est d'ailleurs pas trompé sur les enjeux en dénonçant un véritable crime de lèse majesté des franco américains. La City se considère aujourd'hui comme la place financière la plus légitime en Europe pour permettre aux multiples entreprises des pays émergents, de Chine, d'Inde, du Brésil, de Russie, de venir s'acheter une légitimité et lever de l'argent en se faisant coter sur les bords de la Tamise. Comprenant la menace, la Bourse de Londres, dirigé par un Français, a choisi de contre-attaquer en choisissant d'appuyer là où cela cela fait mal: accuser les américains du Nyse de vouloir, sans le dire, et en utillisant le faux nez d'Euronext, mettre la main sur Londres et vider encore un peu plus de sa substance la place financière française.
Les accusations de Londres ne semblent pas avoir eu, pour l'instant, d'impact sur l'orgueil national français. A Bercy, Christine Lagarde préfère souligner et applaudir le beau dynamisme dont fait preuve Euronext, sous le parapluie des américains, et se satisfaire que la Bourse de Paris ne se contente pas d'une stratégie défensive consitant à se recroqueviller sur le seul terrain de jeu franco français.
Reste à se demander si le centre de gravité de la finance française, qu'il s'agisse de la Bourse, des banques, ou encore de la gestion des capitaux, et finalement derrière tout ce qui constitue le financement des entreprises, n'est pas en train de basculer encore un peu plus à Londres. Après les augmentations de capital, la gestion d'actifs et désormais les introductions en Bourse, qu'est ce qui empêchera les grandes entreprises du CAC 40 de finir par trouver beaucoup plus d'intérêt, d'efficacité et d'économie de coûts à se faire coter, en principal, à Londres. L'informatique hier, la cotation des entreprises aujourd'hui, les américains du Nyse ne sont ils pas en train d'opérer, en dépit de leurs dénégations, à terme la migration à Londres, des sièges des entreprises installées encore en France, et derrière eux la matière grise, la recherche et les impôts.
Se contenter de constater qu'Euronext parvient dans cette affaire, à conserver son siège à Paris, comme on le fait à Bercy, risque d'être un raisonnement un peu court. Car le risque est réel que la société chargée de gérer la place boursière française ne devienne qu'une coquille vide, une boîte à lettres laissée par son propriétaire américain pour s'éviter tout drame politique inutile. Ce qui reviendrait à se contenter de regarder l'inexorable effacement de la place financière de Paris en train de devenir une place régionale de second rang... Un peu comme Nancy ou Marseille qui assuraient, il y a 20 ans, la main sur le coeur que les places locales avaient l'avenir devant elles.
Philippe Reclus