Lorsque Sex and the City 2 (SATC2) sort dans les salles fin mai 2010, les médias bruissent d'accusations sociologiques. Il s'agirait d'un film raciste dépeignant les Emirats Arabes Unis de la pire des façons, notamment dans le rapport hommes-femmes. Le critique du Hollywood Reporter, dont les avis comptent dans la profession, accuse même le film d’être anti-musulman. Le reproche que l’on retrouve le plus souvent sous la plume des critiques, comme dans le magazine britannique Empire, porte sur la capacité du film à diffuser des stéréotypes culturels. Même si on peut fortement douter que les critiques connaissent mieux les Emirats Arabes Unis que les scénaristes de SATC2, le principal est qu’ils ont créé le buzz autour du film, lui assurant une publicité gratuite comme on l’aime à Hollywood.
Auréolé d’un parfum de scandale politiquement correct, SATC2 a engrangé des bénéfices représentant environ trois fois ce que le film avait coûté en production. Une bonne opération pour ses producteurs, mais un acteur essentiel du film a payé un prix colossal pour les bons résultats de SATC2: Abou Dhabi. La publicité négative générée autour du petit Etat pétrolier risque fort de lui coûter à l’avenir bien plus que ce que le film a rapporté à Hollywood.
Sex and the City, la série produite par HBO qui a inspiré les deux films hollywoodiens, montre une image de femmes modernes, où chaque téléspectatrice pourra se reconnaître dans l'un des quatre portraits légèrement caricaturaux. Miranda représente la femme carriériste, qui fait passer son travail avant sa famille, et se retrouve mariée avec un barman sans ambition financière mais doté d'un cœur d'or. Charlotte incarne la WASP perfectionniste qui se convertit au judaïsme par amour alors même qu’elle imaginait sa vie comme une publicité Ralph Lauren. Sarah Jessica Parker, de plus en plus équine, incarne Carrie Bradshaw, moderne sociologue des us et coutumes amoureux de l'élite de Manhattan. Rédigeant des chroniques qu'elle transforme en best-sellers, elle entend jouer le rôle d’une observatrice des mœurs du 21e siècle.
Lorsque dans le film, elle reçoit son dernier ouvrage, étrillé pourtant par The New Yorker, elle le classe dans sa bibliothèque à côté de Susan Sontag, comme si l'intellectuelle féministe était au même rang que la chroniqueuse people. Mais c'est Samantha la véritable héroïne de SATC. Dotée d'une sexualité impudique et d'un tempérament insoumis, elle parvient à vivre heureuse en défiant toutes les conventions masculines, menant de front une carrière de publiciste réussie et une activité de croqueuse d'hommes qui ne cherche pas une seconde à s'excuser d'avoir le même appétit que ses proies.
Samantha: 1 - Abou Dhabi: 0
Samantha est un personnage jubilatoire, aux antipodes des Desperate Housewives, cette série qui tend à démontrer que la femme blanche américaine habitant en banlieue ne peut mener qu’une vie de souffrance. Samantha refuse toutes les conventions et incarne une féminité solide et joyeuse, au risque de froisser les susceptibilités des petits mâles ayant établi leur domination sur les femmes en invoquant un sexe faible et voué à la soumission.
Comme dans un récit biblique et/ou phallocrate, c'est par la femme Samantha que le malheur arrive dans SATC2. Invitée par un cheikh à s'occuper de la promotion de son nouvel établissement à Abou Dhabi, Samantha embarque avec sa bande de copines pour l'Emirat, censé incarner le «Nouveau Moyen-Orient». Tout se déroule d'abord dans l'opulence et le luxe, ce qui charme le quatuor habitué aux ors de Manhattan. Voyage en première classe, penthouse avec valets dévoués, voitures de luxe et pique-nique dans le désert, les Américaines sont d'abord ravies du choc culturel et s'enflamment pour Abou Dhabi.
A tel point qu'elles en oublient qu'elles ne sont pas aux Etats-Unis et un simple baiser sur la plage, que donne Samantha à un architecte danois réduit au rang de cliché vivant, et le séjour de rêve s'effondre dans les dunes. Conduite au poste de police, Samantha est rapidement considérée comme persona non grata dans l'émirat.
Chassées de leur suite royale, les quatre amies doivent rapidement retourner en terre civilisée sous peine de finir en prison ou, pire encore, en être réduites à voyager en classe économique. Le portrait idyllique d'Abou Dhabi s'écroule, révélant une société archaïque qui méprise la femme, où les ors des palaces ne peuvent dissimuler la pauvreté et la crasse du reste du royaume, un décor de village Potemkine construit sans fondations, bref, une arnaque.
Touristique mais pas clinquant
Abou Dhabi a pourtant construit patiemment sa différence par rapport aux six autres royaumes qui constituent les Emirats Arabes Unis. Le cheikh qui invite Samantha l'annonce d'emblée: «Dubaï est fini», l'avenir se déroule à Abou Dhabi. Petit à petit, pour marquer sa différence, l'émirat a préféré miser sur le long terme et éviter le clinquant de Dubaï, notamment en accueillant une extension de l'université de la Sorbonne, ou encore en annonçant l'ouverture de musées prestigieux, dont un en accord avec le Louvre.
Comprenant que l'argent du pétrole ne durera pas toujours, Abou Dhabi a choisi de miser sur d'autres secteurs, y compris le tourisme. Ainsi, Etihad, sa compagnie aérienne créée en 2003, n'affiche aucun profit mais transporte environ 6 millions de passagers vers 42 pays et se trouve régulièrement classée comme une des dix meilleures compagnies aériennes du monde. Le petit Etat, qui a investi massivement dans le tourisme et les services, a pourtant manqué une chance historique de projeter une image positive vers le reste du monde. En voyant SATC2, le spectateur ne peut qu’approuver le résumé qu’en fait Samantha en retournant aux Etats-Unis: «Nouveau Moyen-Orient, mon c.. !».
Pourtant, le film ne se concentre pas sur une évaluation des ressources touristiques d’Abou Dhabi. SATC2 reprend nombre de traditions hollywoodiennes, notamment dans la description du choc culturel entre les héros, en l'occurrence les héroïnes, et le milieu étranger dans lequel ils sont projetés. On utilise l'expression «Fish Out of Water» pour décrire le sous-genre qui bien souvent n'a d'autres ambitions que de montrer le comique d'une situation, avec éventuellement un message de fraternisation à la fin sur le thème de «nous sommes peut-être différents, mais au fond nous sommes humains».
Le film n'échappe pas à la règle car au final, les New Yorkaises vont se lier d'amitié fugace avec les victimes principales de l'Emirat, les femmes voilées qui selon la légende, portent sous leur burqa la dernière collection de haute couture occidentale. Il ne s’agit donc pas d’une attaque contre les habitants du Moyen-Orient, mais bien d’une comédie hollywoodienne qui une fois de plus sous-entend la supériorité d’un modèle occidental.
L'erreur du refus de tournage
Ce que l'on ignore en voyant SATC2, c'est que le portrait peu flatteur des Emirats Arabes a en fait été tourné... au Maroc ! Marrakech a prêté ses souks et son parfum d’Orient pour représenter Abou Dhabi dont les autorités ont refusé que la production hollywoodienne filme dans l’émirat. Il s’agit là d’une erreur colossale, car Abou Dhabi aurait pu accomplir ce que font la plupart des pays qui cherchent à attirer des productions cinématographiques: guider le scénario vers plus de «véracité» afin de conclure un accord gagnant-gagnant. Lorsque les municipalités de New York ou Paris autorisent des tournages dans leur ville, elles s’offrent une publicité positive et dont l’effet est quasiment permanent.
De cette façon, en aidant la production et en contrôlant intelligemment le scénario, une ville peut diffuser une image attractive au niveau mondial sans qu’il lui en coûte plus que quelques rues bloquées pendant plusieurs heures. On connaît l’exemple des parcours parisiens inspirés par Le fabuleux destin d’Amélie Poulain ou le Da Vinci Code. Ces placements de produits permettent à une ville d’améliorer sa visibilité et de s’ériger en marque. Abou Dhabi, en ne contrôlant pas son image hollywoodienne, a presque réduit à néant tous les investissements publicitaires et de relations publiques effectués jusqu’à présent, piétinés par quatre New Yorkaises en talons aiguille haute couture.
La mondialisation oblige chaque Etat à se positionner sur un marché mondial afin d'attirer investisseurs, touristes, mais surtout opinions publiques favorables. Un film à succès, comme c’est le cas de SATC2, peut avoir un effet colossal sur l’image d’un pays. De là à penser que toute la stratégie d’Abou Dhabi s’écroule à cause de Carrie Bradshaw, le temps seul pourra le dire. Lorsque le public dispose de peu d’informations sur un pays qui peine à se faire connaître, un film peut suffire à lui donner une image durable: on se rappelle du coup fatal porté au Kazakhstan par le film Borat, qui classe définitivement le pays d’Asie centrale dans le camp des séjours à éviter alors même que le film a été tourné en Roumanie.
En ce qui concerne Abou Dhabi, on ne voit guère que James Bond pour sauver l’Emirat. L’agent 007 reste le meilleur VRP de Sa Majesté, capable de vendre des montres, de la vodka, des voitures mais aussi des destinations touristiques exotiques. Mais Abou Dhabi ayant interdit le tournage de SATC2 pour cause de message licencieux, est-il vraiment prêt à engager un agent secret sursexué et phallocrate? Comme il s’agit d’un homme, on imagine qu’il aura une licence spéciale pour utiliser son arme, permission que n’a pas eu Samantha dont la sexualité féminine dérange, dans le film comme dans la réalité des Emirats Arabes Unis.
Etienne Augé
Photo: Capture d'écran de la bande annonce de Sex and the City 2