S’il revenait aujourd’hui sur terre, le Baron Pierre de Coubertin prendrait à coup sûr la direction de Cologne, en Allemagne, où se déroulent les Gay Games, du 31 juillet au 7 août.
Eh, oui! Car plus que dans tout autre arène olympique devenue le centre d’immenses enjeux financiers garantis par la seule victoire, aux Gay Games, l’important, c’est avant tout, et surtout, de participer.
Ces Jeux Olympiques de la communauté homosexuelle, mais ouverts à tous et donc aux hétérosexuels, en sont à leur 8e édition depuis leur création en 1982. Organisés tous les quatre ans, ils se sont successivement tenus à San Francisco (1982, 1986), Vancouver (1990), New York (1994), Amsterdam (1998), Sydney (2002), Chicago (2002) et donc Cologne (2010) avant remettre le cap sur les Etats-Unis, et Cleveland, en 2014.
En 1982, ils furent quelque 1.500 athlètes recensés lors de la première olympiade. 28 ans plus tard, environ 10.000 participants (7.000 hommes, 3.000 femmes) issus de plus de 70 pays devraient être comptabilisés au final sur les bords du Rhin où il s’agira, jusqu’à l’extinction de la flamme, de se défouler dans les stades, mais aussi en dehors dans le cadre des multiples festivités, culturelles et nocturnes, accompagnant ces Gay Games made in Germany.
Disciplines originales
Ces Jeux ressemblent peu ou prou à leurs grands frères avec les cérémonies d’ouverture et de clôture et une quarantaine de disciplines, des plus classiques comme l’athlétisme, la natation, le judo, le basket, le football, le cyclisme ou le tennis aux plus inattendues comme le bodybuilding, le bridge, les arts visuels, la danse sportive ou les échecs.
Chaque compétition se termine, bien sûr, par une distribution de médailles ou de récompenses diverses, mais sans que soit joué, en principe, le moindre hymne dans la mesure où il n’est pas question ici de flatter un quelconque nationalisme. Le seul drapeau qui vaille reste l’étendard arc-en-ciel et universel de la communauté gay, même si chacun est fier d’afficher et d’agiter ses couleurs lors de la cérémonie d’ouverture.
Fort de 524 sportifs, le contingent français est l’un des plus fournis à Cologne derrière l’Allemagne (2.955), les Etats-Unis (2.219), la Grande-Bretagne (841) et les Pays-Bas (658). Certaines délégations sont réduites au strict minimum d’un seul athlète comme l’Angola, la Colombie, l’Inde, le Kenya, le Montenegro, le Pakistan, le Sri Lanka, la Tanzanie, la Turquie et l’Uruguay, mais cela vaut déjà mieux que les dizaines de nations hélas invisibles. La Russie et la Chine, grandes puissances sportives mais où l’homosexualité est stigmatisée et combattue, sont représentées par seulement 49 et 7 sportifs.
Sachant qu’il est possible de cumuler les épreuves, le sport le plus prisé lors de ces Gay Games promet d’être le football avec 1.055 inscrits devant la natation (896) et le volley-ball (847), le plongeon fermant la marche avec 15 candidats au grand saut.
Le plongeon justement, cadre, on s’en souvient, d’un événement lors des Jeux Olympiques de Pékin, en 2008, lorsque l’Australien Matthew Mitcham était devenu le premier champion de l’histoire ouvertement homosexuel à se couvrir d’or (l’Américain Greg Louganis, autre plongeur et double champion olympique en 1984 et 1988, avait fait son coming out à la fin de sa carrière). Mitcham est d’ailleurs l’ambassadeur de ces Gay Games et présent à Cologne.
A Pékin, sur quelque 12.000 sélectionnés olympiques, ils n’étaient qu’une quinzaine dont Matthew Mitcham à avoir dit sans peur ce qu’était leur vie. Statistique dérisoire qui prouve à quel point sport et homosexualité semblent ne pas aller de pair dans le haut niveau, mais aussi à la base, parmi les pratiquants anonymes. C’est justement pour combattre cette appréhension et cette incompréhension que sont nés les Gay Games en 1982 sous l’impulsion de Tom Waddell, leur inspirateur.
Membre de l’équipe américaine aux Jeux Olympiques de Mexico en 1968 où il avait terminé 6e du décathlon, Waddell était un révolutionnaire à sa façon, un «socialiste» comme on dit outre-Atlantique toujours avec une pointe de mépris tant le mot est connoté là-bas. Il était opposé à la guerre au Vietnam et un défenseur des combats de la communauté noire et à ce titre soutien de l’action de Tommie Smith et John Carlos, tête baissée et main gantée de noir pointée vers le ciel sur le podium du 200m à Mexico. Waddell était également un militant anticipant sur son temps. Homosexuel déclaré mais désireux d’avoir un enfant, il n’hésita pas ainsi à se marier avec Sarah Lewenstein, lesbienne, avec qui il eut une petite fille, Jessica.
Devenu médecin à San Francisco, il inventa ces Gay Games en 1980 avec une seule idée en tête: créer une compétition exemplaire basée sur les seules égalité et universalité avec, très vite, l’inclusion dans les épreuves des malades du SIDA qui faisait ses premiers ravages en Californie. Peu importait l’âge, la couleur de peau, le handicap, le niveau sportif, la préférence sexuelle, tout le monde devait être le bienvenu.
Hostilité
Evidemment, la création de ces Gay Games n’alla pas sans mal, se heurtant particulièrement à l’hostilité du comité olympique américain qui, par voie de justice, obtint le droit d’interdire à Tom Waddell et à ses collaborateurs d’utiliser le mot olympique dans la dénomination de leur événement.
Quatre semaines avant les Gay Games de 1986, Waddell contracta une pneumonie, conséquence du SIDA dont il était victime à son tour. Ce qui ne l’empêcha pas de s’imposer dans le concours du javelot. La mort l’emporta en juillet 1987, à l’âge de 50 ans. Vingt-trois ans plus tard, Sarah Lewenstein continue de porter le flambeau de son mari défunt et de l’esprit de cette manifestation à l’origine de la constitution au fil du temps de nombreux clubs sportifs gais et lesbiens à travers le monde.
Bruno Aussenac, président de la Fédération Sportive Gaie et Lesbienne (FSGL) qui compte 3.000 membres en France, accompagne la délégation tricolore à Cologne en compagnie de Christelle Foucault, présidente de l’équipe de France 2010. Comme les Jeux se déroulent, cette fois, à quelques heures de Paris, l’organisation a été un vrai casse-tête en raison de la forte demande de participation. «Nous avions l’objectif de 500 personnes, il est donc atteint, souligne-t-il. Ce n’était pas évident parce que cela a coût important pour chaque sportif qui a dû s’acquitter de 190 euros d’inscription et financer son transport et son hébergement, même si nous avons bénéficié de quelques tarifs de groupes. »
Parmi les autres satisfactions de la FSGL, l’aide apportée par Roselyne Bachelot et Rama Yade sous la forme d’une enveloppe de 15.000 euros qui a permis la fabrication d’une tenue «équipe de France» inexistante lors des précédentes éditions. Maillot remis lors d’une cérémonie solennelle, début juillet, en présence de Rama Yade, marraine de cette équipe de France.
«C’était important de se sentir soutenus par le Ministère des Sports et soudés par le biais de cette tenue très importante qui nous rassemble», affirme Bruno Aussenac. Il n’oublie pas non plus de rappeler le slogan de la FSGL qui vise autant le sexisme et le racisme que l’homophobie: «Contre les discriminations, faisons du sport ensemble». Histoire de confirmer que ces Gay Games sont bien l’affaire de tous et ne concernent pas qu’une seule minorité…
Yannick Cochennec