Culture

Keith Jarrett, l'habitué de Juan-les-Pins

Temps de lecture : 3 min

Depuis 2000, Keith Jarrett et ses acolytes se produisent chaque année au festival de jazz de la cité des Alpes-Maritimes. Cette fidélité, comme son rituel scénique immuable, l'amènent à entretenir une relation particulière avec son public.

Keith Jarrett. DR
Keith Jarrett. DR

Chaque année, depuis l’an 2000, Keith Jarrett, accompagné de Gary Peacock à la contrebasse et de Jack DeJohnette à la batterie, vient à Juan-les-Pins. À chaque fois, la pinède affiche complet, grâce à un public fidèle dont certains ne semblent venir que pour ce concert. Et Jarrett se livre, à chaque fois, au même rituel de préparation de sa scène pour permettre à ses auditeurs de bénéficier des meilleures conditions d’écoute.

Un rituel scénique

Très concrètement, cela signifie: disparition de l’écran géant sur la gauche, sur lequel était retransmise l’image du concert; suppression des néons des baraques à sandwichs alentour; disparition du présentateur des soirées et du petit journal vidéo diffusé jusque-là dix minutes avant le début des concerts; longs réglages de l’accordement du piano avant la première partie et pendant l’entracte; soirée entière dédiée au seul trio. Le temps de s’apercevoir de tout cela, et d’en concevoir une certaine satisfaction, le concert commence.

Une première pièce, «You go to my head», puis une deuxième, «Blues in G», composée par Jarrett. Perception inhabituelle de l’espace sonore. Pour la première fois depuis le début de Jazz à Juan, le son semble centré, alors qu’il est d’habitude fortement latéralisé, avec les deux séries de haut-parleurs placés de part et d’autre de la scène. Est-ce le registre, doux et mélodique, des morceaux interprétés? Ou est-ce que le trio a choisi un son acoustique?

Comme d’habitude, le piano, évidemment très présent, ne gêne pas la contrebasse et la batterie, dont DeJohnette sait toujours sortir des sons d’une fine précision. Si l’on entend clairement chacun des instruments depuis la place qu’ils occupent respectivement dans une grande proximité spatiale, l’alchimie du trio opére presque sans regards échangés, tant la complicité est grande entre les musiciens. Renseignement pris auprès de l’ingénieur du son: Jarrett a demandé de baisser au maximum la sonorisation, pour recréer l’ambiance d’un club de jazz. Sauf que, derrière la scène, c’est le décor magnifique, déjà célébré ici l’année dernière, de la mer éclairée par la pleine lune et, régulièrement, par un petit phare...

Mélancolie

Après une première partie presque retenue, où Jarrett semble avoir choisi des ballades dont les titres mêmes signalent une attention particulière au temps qui passe («The Bitter end», «Once upon a time»), le trio redémarre avec «Night and Day» et installe décidément une atmosphère mélancolique, où affleure une dimension personnelle («Answer my love»), et qu’interrompent deux pièces plus rythmées d’Ornette Coleman, «When will the Blues Live» et «The Blessing». Ces légers changements de tempo nous attirent vers la scène, en même temps que la musique nous assaille, et s’adresse à notre intériorité.

Quelque chose de vital se dégage de ce mouvement d’aller et retour. C’est ce que Michelet appelait le «mystère des grandes assemblées», où la rigueur apportée à transmettre un savoir, une expérience, une pratique artistique, suppose un échange partagé: «si je croyais, disait Michelet à ses auditeurs du Collège de France, que mes paroles risquassent de geler en l’air et d’être reproduites ainsi, isolées de celui pour qui vous avez quelque bienveillance, je n’oserais plus parler. Je vous enseignerais quelque table chronologique, quelque sèche et triviale formule; mais je me garderais d’apporter ici, comme je fais, moi-même, ma vie, ma pensée la plus intime.»

Ceux qui voudront savoir quel est l’état d’esprit actuel de Keith Jarrett se reporteront (article payant) à l’entretien qu’il a accordé à Francis Marmande. Le concert se termine par Billie Holiday, et son «God Bless the Child» revu par le trio. Ainsi construite, cette soirée ressemble à une sorte de dernière fois, l’expression d’une perfection simple, une épure, quelque chose qui est terminal et qui, pourtant, ne peut pas s’arrêter.

Christian Delage

Newsletters

Du T-Rex à l'irritator, comment on baptise les dinosaures

Du T-Rex à l'irritator, comment on baptise les dinosaures

Avec une quarantaine de nouvelles espèces découvertes chaque année, les paléontologues ont intérêt à faire preuve d'imagination.

Pourquoi le rose est-il aussi mal vu lorsqu'il est porté par les garçons?

Pourquoi le rose est-il aussi mal vu lorsqu'il est porté par les garçons?

D'Antoine Griezmann à Harry Styles, les stars masculines qui célèbrent cette couleur font systématiquement parler d'elles, s'attirant autant d'admiration que de quolibets.

Jean-Michel Basquiat, éternel objet de fascination

Jean-Michel Basquiat, éternel objet de fascination

Trente-cinq ans après sa mort, l'artiste new-yorkais continue de mettre tout le monde d'accord, dans le monde du rap comme au sein des musées. Mais les raisons de cette popularité jamais démentie sont plus complexes qu'il n'y paraît.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio