Le stade olympique de Monjuïc, à Barcelone, a une place à part dans la mémoire du sport français. C’est là, en 1992, que Marie-José Pérec devint championne olympique du 400m pour la première fois, 24 ans après Colette Besson. Et c’est là, peut-être, que d’autres tricolores prendront la relève, et date pour les prochains Jeux de Londres, à l’occasion du championnat d’Europe d’athlétisme qui s’y déroule du 27 juillet au 1er août.
C’est la tradition des grands championnats d’athlétisme. La première grande finale parmi les courses est presque toujours celle du 10.000m, programmée dans la soirée du 27. Aucune série à Barcelone, place directement à la finale où le Français Abdellatif Meftah tentera de tirer son épingle du jeu. Deux jours plus tard, le 29, il sera déjà l’heure de la demi-finale du 5.000m avant la finale le 31.
Ancien coureur, qui courut le marathon en 2h12 en 1983, Bernard Faure, devenu consultant sur les antennes de France Télévisions, est un spécialiste de ces épreuves de longues distances. Pour Slate, il revient sur les spécificités de ces deux courses.
Dans un championnat aussi ramassé que celui de Barcelone,
concentré sur cinq jours, est-il possible de «doubler» 10.000 et 5.000m?
Bernard Faure: Aux Jeux Olympiques ou au Championnat du monde, il y a généralement, avant la finale, une série du 10.000 et deux séries du 5.000 sachant que ces épreuves s’étalent sur 9 ou 10 jours. A Barcelone, nous sommes dans une configuration plus allégée, mais nettement plus réduite dans le temps. Mais c’est jouable sauf que l’athlète qui doit «doubler» va se trouver dans une situation délicate. Deux jours après avoir tout donné dans sa finale du 10.000, il va se retrouver à nouveau sur la piste pour sa demi-finale du 5.000m. Or, le surlendemain correspond au pire jour qui suit un 10.000m ou un très gros effort. C’est là où la fatigue est la plus présente, où les courbatures se manifestent le plus durement. Je prends un exemple. Si vous courez le dimanche, la dernière séance d’entraînement, qu’il faut qualifier d’intense, intervient généralement le mercredi ou le jeudi. Le vendredi de la course est toujours consacré au repos. A Barcelone, dans ce contexte de trois courses toutes programmées tous les deux jours, le doublé sera donc une petite gageure.
Sont-ce deux courses radicalement différentes ?
Pas radicalement en ce sens que le 10.000m et le 5.000m font appel tous les deux au processus physiologique dit aérobie. Mais il y a des nuances, en effet, dans la mesure où le profil des coureurs est plus large au 5.000m. Au 10.000m, vous avez affaire à des spécialistes de longues distances qui se départagent généralement sur leur finish, que la course soit tactique ou non. Tout se joue au niveau des 2.000 ou 3.000 derniers mètres. Si bien que l’on peut considérer, en caricaturant, que 70% de la course ne «compte» pas ou presque.
Alors que le 5.000m est moins systématique avec la présence à la fois de coureurs de longues distances qui ont notamment couru le 10.000m et celle de spécialistes du 3.000m qui sont montés sur 5.000m pour l’occasion. Au 5.000m, la part stratégique peut être donc plus importante et vous allez avoir l’occasion de le constater à Barcelone avec trois coureurs espagnols qui font partie des favoris. D’un côté, vous trouverez Sergio Sanchez et Jesus Espana, des vrais finisseurs qui viennent du 1.500 et du 3.000m, de l’autre Alemayehu Bezabeh, Ethiopien devenu Espagnol, un vrai coureur de longues distances, mais qui n’a pas du tout le même finish que les deux autres et aura donc intérêt à durcir la course au plus vite. Pour s’en sortir, il devra mener un train très costaud à partir des 2.000-2.500m. L’antagonisme de leurs profils disparates garantit, en principe, l’animation de la course.
Morphologiquement et techniquement, un coureur de 10.000m est-il différent d’un coureur de 5.000m?
C’est imperceptible. Vous remarquerez qu’en athlétisme, les profils sont très marqués en fonction des distances. Tous les sprinteurs sont baraqués, sauf Christophe Lemaitre (sourire). Ensuite, sur 800m, vous avez toutes les morphologies. Des grands, des petits, des musclés, des maigres… Et à partir du 1.500m, on bascule vers des profils plus petits et plus éthérés. C’est une «standardisation» que l’on retrouve au 5.000 et au 10.000. Les coureurs de 5 000 et 10 000 se ressemblent aussi techniquement dans le sens où ils ont tous de grandes qualités d’aérobie et tous de grandes qualités de pied, cette faculté à courir de manière très souple et à rebondir de manière très légère à chaque fois qu’ils touchent la piste.
A Barcelone, il y aura quelques Africains naturalisés Européens comme Bezabeh. Mais ils seront évidemment moins nombreux que lors d’un championnat du monde. En quoi l’absence de Kenyans et d’Ethiopiens change-t-elle la nature d’une course?
C’est une absence qui change beaucoup de choses. Les Africains des hauts plateaux ont l’habitude de partir de très loin, notamment sur 10.000m, de mener la course à un train d’enfer pour se tester entre eux. Avec les Kenyans, nous ne sommes jamais à l’abri d’une brutale accélération pendant 500 ou 1.000m. Ils aiment se lâcher pour «sentir» la concurrence, même s’ils le font moins parce que cette impulsivité leur a coûté quelques victoires. Une course de championnat d’Europe est donc globalement plus tactique, moins folle. Elle est plus raisonnable, raisonnée et donc plus ennuyeuse. Sans Africains, sur 10.000m particulièrement, elle se traînera un peu et se jouera forcément à la fin.
Selon vous, quel est le plus grand coureur de l’histoire au 5.000m?
On pourrait citer les Ethiopiens Kenenisa Bekele et Haile Gebreselassie, mais je garde une admiration sans bornes pour le Marocain Saïd Aouita dans la mesure où il a été capable de gagner du 800 au 5.000m en passant par le 1.500m, ce qui est rare et exceptionnel. C’est comme si un coureur de 400m gagnait aussi sur 1.500m. C’est évidemment du jamais vu.
Et sur 10.000m?
Gebreselassie pour toutes ses
victoires, mais aussi pour son sourire offert au monde, au départ d’une finale
olympique ou lors d’un championnat du monde. Mais j’ai aussi une tendresse pour
l’Australien Ron Clarke qui a révolutionné le fond et le demi-fond dans les
années 60 en battant des records du monde une vingtaine de fois, même s’il n’a
jamais obtenu la consécration olympique.
Ron Clarke était blanc. Or toutes les courses mondiales
de fond sont désormais dominées par des noirs. A l’image de Christophe
Lemaitre, premier blanc à courir sous les 10’’ au 100m, peut-on imaginer un blanc
qui viendrait, demain, bouleverser la donne sur les longues distances?
Bien sûr. Christophe Lemaitre a montré que dans le sport, tout est possible sachant que sa marge de progression reste immense. En sport, la génétique a sa part, bien sûr, même s’il n’est pas encore possible de la soupeser dans une performance. Mais il y a aussi tout le reste, le travail, la volonté, le talent… Balayons toutes ces idées reçues.
Propos recueillis par Yannick Cochennec