Culture

Christopher Nolan, sur les sentiers de la gloire

Temps de lecture : 5 min

Le réalisateur de «The Inception», souvent comparé à son compatriote Stanley Kubrick, est le nouveau prince d'Hollywood.

Peu de gens connaissent son nom, moins encore son visage, et pourtant la critique le compare à Stanley Kubrick. Dans les salles, c’est le plébiscite. A Hollywood, Christopher Nolan est peut-être aujourd’hui le seul capable de faire vaciller le roi James Cameron. Et pourtant, «Inception» (sorti mercredi dernier) n’est ni une suite, ni un film de super-héros. Tous les ingrédients pour aller au casse-pipe, selon les critères en cours dans l’industrie du cinéma… Or le film, un triomphe, fait déjà l’objet d’un véritable culte. Voyez, pour vous en convaincre - ou pour apaiser tout questionnement à l’issue de la séance - ce site qui fourmille de théories.

Elevé entre Londres et Chicago, d’un abord affable mais réservé, Christopher Nolan a tout du Britannique indéchiffrable. Tel son maître Kubrick (sans être phobique de la publicité comme lui), il aime que le public débatte à l’infini de ses intrigues sophistiquées. Celle de «Memento» (2000) par exemple, son premier succès. Un thriller raconté à l’envers, pour épouser le point de vue du héros qui a perdu la mémoire. Le film suit donc un schéma classique – les efforts de ce personnage pour venger la mort de sa femme - tout en déjouant constamment les attentes du spectateur. Comme Tarantino, Nolan a conscience que le public contemporain a perdu toute innocence. Des histoires de vengeance, des héros veufs inconsolés qui pourchassent le meurtrier de leur femme, le spectateur moderne en a vu des milliers. Le problème, c’est d’inventer des solutions pour retenir son attention sur ce film-ci.

Le cynisme du public intégré

Il en va de même dans «Inception». Nolan y crée un monde où l’on rentre dans les rêves – les siens, ceux des autres – comme dans un moulin. Le problème, c’est d’en sortir. Comment faire? En mourant, pardi! La mort dans le rêve a pour seule conséquence dans la vie réelle un réveil brutal… On voit bien comment le réalisateur, fine mouche, utilise le peu de croyance qu’a le spectateur dans ce qui se déroule sur un écran. La mort d’un personnage a cessé d’être un enjeu depuis longtemps.

Le public est blasé, cynique. Nolan le sait, et l’intègre à son intrigue. Il cherche du coup à redonner du poids aux dangers que courent ses personnages en inventant un monde au-delà du rêve, les limbes, où la temporalité est radicalement différente et où le dormeur peut se retrouver coincé indéfiniment. Menace qui parle au spectateur (et si nous aussi nous restions coincés dans la fiction?) bien davantage que la mort ultra banalisée d’un personnage sur l’écran.

Le grand thème de Nolan, c’est la culpabilité. «Memento» et «Inception» sont là encore des films jumeaux – les personnages principaux ont connu des tragédies sentimentales quasiment identiques. On retrouve le même motif dans «The Dark Knight» (2008). «Pour moi, déclarait Nolan à la sortie de ce film, les impulsions de Bruce Wayne sont très négatives : il éprouve une immense colère, une rage qui le rend violent. Il cherche à faire une utilisation positive de cette part obscure”.

La part de mystère sacrifiée

Ce pauvre Batman a bien du mal à passer à l’aspect positif de la chose: il cause la mort de sa bien-aimée Rachel, et en vient à la fin du film à être considéré par l’opinion publique comme un dangereux criminel.

Autre caractéristique de l’univers nolanien: le goût du jeu narratif. «Memento» était raconté à rebours; «Le Prestige» (2006) épousait la structure d’un tour de prestidigitation; «Inception» emboîte les rêves au point qu’au cœur du film, il y a trois niveaux de rêves différents qui se déroulent en parallèle… Trois niveaux, comme dans un jeu vidéo. On ne peut qu’admirer la maîtrise formelle qui permet à Nolan de rester parfaitement intelligible au grand public tout en maniant un récit d’une telle épaisseur. Mais s’il parvient parfaitement, c’est en sacrifiant une part de mystère.

Dans «Inception», passé le premier quart d’heure (où les rêves s’emboîtent sans que le principe nous ait été préalablement expliqué), le spectateur n’est en effet jamais perdu. Du coup, c’est toute la puissance formelle qui se perd : jamais film sur l’inconscient n’aura été aussi peu onirique. Nolan, obsédé par la clarté narrative, tient sa logique; les mondes rêvés obéissent donc à des règles bien précises. Le film aussi : on est au fond dans un thriller classique.

Cobb (Leonardo DiCaprio) est engagé par un grand industriel pour commettre ce qui s’apparente à un casse, sauf qu’au lieu de voler quelque chose – en l’occurrence une idée -, il s’agit de l’implanter sans l’esprit du dormeur. Autant dire que Cobb doit déposer un diamant dans le coffre-fort au lieu de l’en retirer. Le voici qui assemble une équipe, prépare soigneusement son coup, puis le réalise… On est dans “Ocean’s 11”, l’humour en moins. Dès que le spectateur risque de confondre les univers, de se demander ce qui se passe, un dialogue intervient – généralement entre Cobb et la jeune Ariadne (Ellen Page) dont c’est la seule vraie utilité -, pour nous remettre les pendules à l’heure.

L’intrigue dans l’intrigue, la motivation profonde du personnage de Cobb, tient au couple qu’il a formé avec sa femme défunte, Mal (Marion Cotillard). Là encore, le film suit un parcours ultra classique: évocation d’un bonheur intense (étreinte sur un pont, gros plans dans le soleil couchant, silhouettes d’enfants courant dans un pré); dévoilement à mi-parcours d’une terrible tragédie; révélation à la fin du secret qui explique la tragédie. Au cœur de l’histoire, il y a le thème du deuil et le rapport qu’entretient Cobb avec sa femme défunte… Mais là, Nolan emprunte tout à «Solaris» (1972) de Tarkovski et procède trop par clichés pour réussir à émouvoir avec son histoire d’amour centrale.

Transgression

Toute l’industrie se réjouit, ces jours-ci, du succès commercial d’«Inception» comme s’il marquait le retour à un cinéma adulte après une décennie de super-héros et de films d’animation… Or malgré sa complexité affichée et son interrogation finale, «Inception» est un film extrêmement lisse, dont les personnages sont des silhouettes sans épaisseur. Quelle différence entre le veuf inconsolé que jouait déjà DiCaprio dans «Shutter Island» (Martin Scorsese, 2010) – un film bien plus onirique soit dit en passant – et celui qu’il campe ici!

Le problème du dernier Nolan, c’est qu’il met tout sur l’écran, ne laisse aucun espace à la suggestion, n’offre aucune dimension supplémentaire que le spectateur serait libre d’habiter à sa guise. Or le cinéaste en est capable; il l’a prouvé dans «The Dark Knight». Ce film proposait une véritable réflexion sur le terrorisme et le danger, pour ceux qui le combattent, de prendre goût à transgresser les lois… Et les images lustrées de Gotham City nous plongeaient dans un vrai monde de cauchemar. Un monde dans lequel le film de super-héros gagne le prix de la complexité…

Jonathan Schel

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