Si vous voulez voir quelque chose de vraiment flippant cet été, oubliez Survival of the Dead: ce qu'il vous faut, c'est un film allemand de formation pour les pompiers, qui date de 1965. Ça met un peu de temps à démarrer, mais vous serez vite récompensés pour votre patience, ce que l'archiviste de cinéma Dennis Nyback décrit comme «encore plus redouté que Frankenstein»: la vision d'horreur de vieilles bobines de film nitrate qui continuent à brûler comme un feu de paille même une fois enterrées, plongées dans l'eau, ou aspergées d'agent extincteur.
Les films en nitrate de cellulose utilisés jusqu'en 1951 étaient alors le fantasme de tout pyromane, et le 20e siècle a vu des incendies catastrophiques détruire les studios de cinéma presque une fois par décennie. On estime que près de 80% des films tournés à l'époque du muet sont aujourd'hui introuvables. Et ce que ces feux n'ont pas détruit, les studios eux-mêmes l'ont fait en brûlant délibérément certaines pellicules pour récupérer l'argent contenu dans celles-ci, ces films obsolètes n'ayant guère de valeur commerciale à leurs yeux. La découverte accidentelle de cachettes oubliées dans des coins reculés comme la Nouvelle-Zélande –où l'on a retrouvé ce mois-ci un film de John Ford datant de 1927 et qu'on croyait perdu– nous laisse imaginer l'ampleur des dégâts.
Mais si vous tombez un jour sur une des ces vieilles boîtes rouillées et sans étiquette, que faire?
C'est une des questions qui anime le génial site allemand Lost Films. Inauguré en décembre 2008 par la Deutsche Kinemathek à Berlin, ce portail collaboratif répertorie aujourd'hui une incroyable variété de films: parmi les 4.000 œuvres portées disparues on trouve une version de Gatsby le magnifique (1926) tournée en plein âge d'or du jazz, ou encore une reconstitution de La bataille de Gettysburg (1913) sortie alors que ses vétérans étaient encore en vie. Mais le plus curieux, c'est la rubrique «Identifier» du site, où les musées et le grand public peuvent aider à l'identification de films qui ont survécu sans cartons-titres ni étiquette, sans même le nom du réalisateur, celui des acteurs, ou son pays d'origine.
«Pour une filmothèque, la question des productions non-identifiées est urgente» explique Oliver Hanley, un collaborateur de la Kinemathek. Sans scripts ou autres documents contextuels à consulter, ces orphelins sont presque impossibles à conserver correctement. Comme le remarque Hanley, «Pour le public, ils n'existent déjà plus».
Dans le petit monde des archives filmiques, le format wiki de Lost Films exploite de façon prometteuse le «nerdisme» des fans de cinéma du monde entier: n'importe qui peut s'inscrire pour laisser un commentaire sur un film de gangsters muet ou les joyeux ébats NSFW d'un peintre edwardien et son modèle nu. Et cet appel à l'aide a déjà porté ses fruits, comme pour cet étonnant conte en bleu et jaune qui s'est avéré être le film hongrois Farsangi Mamor (1921).
Mais si certains films retrouvent leur identité, il reste des anonymes comme Film non-identifié No. 103, qui existe aujourd'hui sans année de production, sans titre ni intrigue; rien d'autre que ce qui semble être un duo comique affublés de chapeaux melons se maudissant l'un l'autre et le monde qui les a déjà oubliés en silence. Si quelqu'un peut sauver ces vieilles bobines de la brûlure lente de l'obscurité, ce ne sont pas des pompiers leur jetant du sable ou de l'eau, mais des internautes curieux qui décident de s'y intéresser, se demandant d'où ils viennent, et ce qu'ils veulent nous dire.
Paul Collins
Traduit par Nora Bouazzouni