Il n'y a plus de respect pour la correction automatique. Chaque jour, vous envoyez des dizaines de messages avec votre téléphone écrits la plupart du temps n'importe comment: fautes de frappe, d'orthographe ou autre, et parfois c'est vraiment la honte. Et bien souvent, votre téléphone vous sauve la mise. Grâce au miracle de la correction automatique, vous ne passerez pas pour un illettré même en tapant «je faiq des coursed», «oui, je le veuc», ou «tes troi marrabt».
Pourtant, jamais vous ne lui dites merci. Pire, vous guettez même le moment où, débordé par vos erreurs, il fera une boulette. Et c'est parfois spectaculaire, c'est vrai, comme l'iPhone qui transforme «heard about garys internship at the whitehouse?» (T'as entendu pour le stage de gary à la maison blanche?) en «Heard about farts internship at the whorehouse?» (T'as entendu pour le stage de pets à la maison close?).
Sur le Motorola Droid, si vous tapez «mmm, I donno about that restaurant» (mmm, chaipas trop, ce restau) vous aurez à la place «Mommy, I donno» (Manman, chaipas). On trouve pas mal de ces bourdes sur le Web, et d'ailleurs les lecteurs de David Pogue en ont récemment dressé une liste exhaustive hilarante. La plupart de ces erreurs sont relativement banales; mon iPhone par exemple insiste pour transformer systématiquement hell en he'll. (Ce qui explique pourquoi j'ai adopté depuis peu le «What the heck?» des instits.) (Ndt: la version polie de what the hell. En français, ce serait comme remplacer putain par punaise.)
Peut-être est-ce à cause de l'ingratitude de ce métier, mais presque tous les fabricants de mobiles que j'ai contactés au sujet de la correction automatique ont refusé de me parler. Apple, Google, Microsoft, Research in Motion et HTC soit ne m'ont pas rappelé, soit ont décliné mes demandes d'interviews. La discrétion semble être le mot d'ordre: «On fait de notre mieux pour ne pas se faire remarquer», confie Scott Taylor, vice-président des solutions mobiles chez Nuance, une des seules entreprises qui ait accepté de m'expliquer comment nos téléphones transforment nos fautes de frappe en bon français.
Nuance, c'est le fabricant de T9, un des pionniers et parmi les plus célèbres systèmes de saisie mobile. Ce programme –souvent modifié par les fabricants de téléphones, et qui parfois ne porte même plus la marque T9– a été livré avec plus de 4 milliards de téléphones. À ses débuts, T9 aidait simplement à taper du texte via un clavier numérique à 9 chiffres. Aujourd'hui, ses versions les plus récentes corrigent automatiquement des mots tapés avec un clavier AZERTY, et peuvent même reconnaître l'écriture manuscrite sur certains téléphones avec stylet.
Vérification orthographique
L'algorithme de base qui se cache derrière les logiciels de correction automatique comme T9 est relativement simple. Le système est essentiellement le même que celui des vérificateurs orthographiques des traitements de texte: à mesure que vous tapez, le logiciel vérifie chaque mot dans son dictionnaire et en suggère un autre lorsqu'il ne trouve pas de correspondance. De nombreux téléphones tentent également de prédire ce que vous allez écrire et vous proposent un mot avant même que vous ayez fini de le taper.
C'est un processus assez compliqué, et ce pour deux raisons, indique Taylor. La première, c'est qu'il faut développer le bon dictionnaire. La liste des mots doit être à la fois exhaustive, cibler le bon public, et farcie de tournures familières dont pourrait se servir l'utilisateur moderne. Le deuxième problème, c'est la création d'un «modèle de langue» exact, un système qui détermine les mots à suggérer. Si l'utilisateur tape merfe, voulait-il dire merle ou merde? Tout dépend du contexte et de celui qui écrit; si vous envoyez un message à un ami ornithologiste, c'est la première solution, mais si vous venez de voir Le dernier maître de l'air, c'est sans doute la seconde. Plus le système de correction est sophistiqué, mieux il tiendra compte de ces facteurs contextuels avant de vous suggérer un mot.
Pour développer le dictionnaire d'un téléphone, le plus évident serait de compiler et analyser un large échantillon de mots que les gens tapent réellement sur leur clavier. Mais les politiques de confidentialité interdisent ce genre d'analyse, nous dit Taylor. Le problème, c'est que de nombreux systèmes de correction ne sont pas connectés au Web, et donc n'apprennent pas automatiquement de nouveaux mots ni ne trouvent de suggestions plus modernes à des mots anciens, à la manière du correcteur orthographique de Google.
Alors en général, à la place, on injecte dans ces systèmes un très long texte –que les linguistes appellent «corpus»– composé d'articles piochés ça et là dans la presse populaire. «On les analyse pour la structure de la langue, la fréquence de certains mots, et plein d'autres choses, et ensuite on créée le modèle de langue.» explique Taylor. L'algorithme de suggestion prend également en considération la disposition de votre clavier afin de deviner la lettre sur laquelle vous vouliez taper si votre doigt en touche deux à la fois.
Ajout d'entrées
La plupart de ces correcteurs automatiques –y compris celui de l'iPhone, de l'Android, du Blackberry, et le T9– intègrent également une sorte de mémoire. Ils vont par exemple se souvenir des mots suggérés que vous recorrigez, et ainsi ne plus vous les proposer à l'avenir. Ils vont également apprendre les noms propres de votre répertoire pour éviter de vous suggérer des corrections. Le T9 et le correcteur du Google Android vous permettent aussi d'ajouter vos propres entrées au dictionnaire du téléphone. (L'iPhone est censé disposer également de cette option, mais je n'ai jamais réussi à la faire fonctionner.)
Tout cela est très pratique, mais je crois bien n'avoir jamais utilisé de correcteur automatique qui ne me dérangeait pas pour une raison ou une autre. Je serais incapable de vous dire, par exemple, qui de l'iPhone, de l'Android ou du BlackBerry offre le meilleur correcteur, parce qu'ils se ressemblent tous et que je me souviens surtout de leurs erreurs, pas de leur justesse. En fait, je me prends souvent à rêver d'un système de correction encore plus intelligent: au lieu de se contenter de faire attention à ce que je recorrige, pourquoi mon téléphone ne prendrait pas en compte le contexte de ma phrase, ou de la conversation entière, pour essayer de deviner ce que je vais dire?
Quand vous tapez «accros à la meth», votre téléphone corrige ça en «accros à la méthode». Possible que vous fassiez allusion à ces acteurs qui n'arrivent pas à sortir de leur personnage, mais votre portable devrait déduire qu'il s'agit sûrement d'autre chose, que la plupart du temps le mot qui vient après accros, c'est «meth» [ndlr: méthamphétamine, une drogue hautement addictive] et pas «méthode»?
Taylor nous affirme que cette technologie est presque au point. Comme nos téléphones sont de plus en plus performants et peuvent stocker des dictionnaires de plus en plus lourds, leur système de correction devrait être capable d'aller plus loin dans l'analyse de nos conversations et de nous faire des suggestions plus appropriées. L'autre bonne nouvelle, c'est le crowdsourcing: si les téléphones commencent à baser leurs suggestions sur ce dont les gens parlent sur le Web, non seulement ils nous corrigeront de manière plus efficace, mais en plus, ils pourront deviner des phrases entières avant même qu'on commence à les taper.
Suggestions
Imaginez que vous composez un mail ayant pour sujet «Malade aujourd'hui». Aussitôt que vous commencez à écrire les mots «Je ne», votre téléphone –qui sait qu'on est lundi, que vous avez fait la fête tout le weekend, et qui en a déjà vu d'autres taper le même genre de message– vous suggère la phrase suivante: «Je ne me sens pas bien aujourd'hui».
Le modèle n'est pas très différent de Google Suggest, exception faite que les suggestions apparaîtraient également dans vos mails, vos SMS, et partout ailleurs sur votre téléphone. Taylor nous rappelle cependant que cette approche est problématique au niveau de la confidentialité –en gros, tout ce que vous écrivez est envoyé sur des serveurs connectés au Web– et que si les fabricants de mobiles veulent intégrer cette technologie, ils devront impérativement laisser le choix aux utilisateurs de l'activer –et encore. Il semble pourtant que certains sont prêts à faire ce compromis. «On a des prototypes en test actuellement, et quand on regarde les démos, c'est drôle et en même temps très bizarre de voir comme un téléphone peut réussir à deviner ce qu'on veut dire.» raconte Taylor.
Une dernière remarque sur la correction automatique: la première chose qu'on fait quand on veut tester ce genre de système, c'est taper des jurons. Est-ce que le téléphone nous propose un autre mot quand on tape putain? Est-que qu'il nous suggère merde quand on tape merfe? Bien souvent, la réponse est non. «Nos linguistes passent pas mal de temps à surveiller les dernières tendances en matière de grossièretés pour s'assurer que tout cela reste en-dehors de notre modèle de langue,» explique Taylor. «On sait qu'on peut mettre des mots dans la bouche des gens, et on y fait justement très attention.» Peut-être est-ce donc par correction que l'iPhone corrige «hell» en «he'll» et pas «well» en «we'll». Et moi je dis, WTF?!
Farhad Manjoo
Traduit par Nora Bouazzouni
Photo: No Technology in Brighton, Sammy0716 via Flickr CC License by