Culture

Mélody Gardot Gardot

Temps de lecture : 4 min

Comment la jeune chanteuse est devenue une star.

Nice, juillet 2009. Sur la modeste scène dite «Matisse», près du musée du même nom, dans le cadre du festival de jazz qui se déroule à Cimiez, devant un auditoire plutôt familial, apparaît Melody Gardot. Depuis trois mois, les principaux titres de son nouvel album, My One And Only Thrill tournent en boucle sur TSF. Un par un, ils sont devenus familiers: des créations, comme «Les Étoiles» ou «If the stars were mine», ou des reprises, comme «Over the Rainbow». Les amateurs de jazz la connaissent. Pas encore le grand public.

Sa forte présence scénique s’impose immédiatement, et, malgré le temps court de son set, elle surprend et emporte l’adhésion de ses auditeurs. À la fin du concert, passé côté coulisses, elle descend les marches en s’appuyant sur sa canne, s’inquiète auprès de son agent Gérard Drouot du niveau de sa performance, puis disparaît. La jeune (24 ans) et frêle artiste n’accorde pas ou peu d’entretiens.

Paris, automne 2009. Melody Gardot est à l’affiche à Paris, à l’Olympia. Très vite, il devient impossible de trouver des places. Complet, archi-complet. D’ores et déjà sont annoncés trois autres concerts en avril 2010, immédiatement pris d’assaut. Que s’est-il passé? Pourquoi une telle reconnaissance?

Les radios ont joué leur rôle. Le 27 avril, sur France musique, Alex Dutilh lui consacre son «Open jazz». La presse écrite également. Édouard Launet a ainsi été «foudroyé» après l’avoir rencontrée : «instantanément se joue à ses pieds un remake du Red Hot Riding Hood de Tex Avery: nous (les hommes, et quelques femmes) ne sommes plus que loups à la mâchoire tombée au sol comme une enclume, aux yeux projetés à un mètre de leur orbite, à la langue déroulée comme un tapis rouge.» Ses clips, sans doute, réalisés avec beaucoup de soin. Tout cela est important mais ne suffit pas à la différencier des autres chanteuses de jazz, dont nous avons déjà souligné la concurrence vive qu’elles se livrent.

La Gardot est une star. Oui, le mot a été si souvent galvaudé que son sens véritable s’est perdu, en particulier dans le monde de la télé-réalité. La scène est son atout maître, car elle lui permet de se montrer tout en se cachant. Paradoxe ? Relisons Jean-Pierre Vernant:

«Montrer son visage à découvert, ce serait, pour le dieu, se livrer lui-même : le face à face implique entre partenaires qui se regardent dans les yeux une relation de parité. Détourner le regard, baisser les yeux à terre, se cacher la tête : les mortels n’ont pas d’autre solution pour reconnaître leur indignité et éviter le risque d’affronter l’incomparable, l’insoutenable splendeur du visage divin.

[«Mortels et immortels : le corps divin», 1986].

Pinède de Juan-les-Pins, samedi 17 juillet 2010. La scène est plongée dans le noir. Le vent, qui vient de se lever, donne du relief aux éclairages violets très directifs qui visent les places du piano, du saxophone, du violoncelle. Melody Gardot apparaît dans cette pénombre, se penche sur les cordes du piano et les pince pour en sortir un son presque strident. Les photographes, éloignés de la scène et n’ayant droit qu’à cette première séquence du concert, ne voient à peu près rien, malgré leurs téléobjectifs. La scénographie, très préparée, ce qui est rare pour le jazz, ménage une entrée progressive de la chanteuse dans la lumière. L’apparence contre la rigueur musicale? Non, il suffit de voir la qualité des musiciens qui l’entourent pour être sûr de son bon goût, surtout quand ceux-ci accompagnent la diva aussi bien dans ses expérimentations que dans l’intimité de ses chansons.

Derrière son piano, presque invisible, puis lovée dans l’arrondi de l’instrument, presque accroupie pour jouer de la guitare, assise sur un tabouret haut mais de profil, la voici debout, face au public, se déhanchant avec aisance, après avoir posé sa canne. La voit-on enfin ? Pas vraiment, car elle porte des lunettes noires (depuis son accident, la lumière vive la gêne, ce n’est pas un effet recherché) et sa coiffure blonde très ample ne laisse guère apparaître son visage. Elle ressemble à une héroïne hitchcockienne, davantage encore aux deux femmes mises en scène par David Lynch dans Mulholland Drive.

Sophistiqué, l’univers de Melody Gardot peut-il durer? Il suffit de voir comment elle s’empare d’un standard comme Caravan, accompagné par un jeune violoncelliste qui prend alors son instrument comme une guitare, pour être sûr de son talent. Son personnage est composé, certes, mais sans aucune mièvrerie, et avec ce mélange de proximité et de distance qui définit les «étoiles» dont elle a fait une chanson et qu’elle incarne avec une assurance peu commune.

Christian Delage

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