Même pour ceux qui ne sont pas fans de Lance Armstrong, la huitième étape du Tour de France qui s’est déroulée dimanche 11 faisait peine à voir. Le pire était la façon qu’avaient ses coéquipiers, qui l’escortaient dans l’ascension et semblaient manifestement se retenir dans leur effort, de se retourner vers lui, avec l’air de lui dire «Vraiment? Tu ne peux pas aller plus vite?» Sur l’étape menant à Morzine-Avoriaz, durant laquelle Armstrong a violemment chuté puis glissé sur la route (0:03 sur cette vidéo amateur), le septuple vainqueur du Tour de France a perdu près de 12 minutes et vu s’envoler tout espoir d’endosser le maillot jaune.
Les choses n’étaient pas censées se dérouler de la sorte, surtout à en croire l’enthousiasme des médias américains, qui présentaient le tour 2010 comme un duel au sommet entre Armstrong et son ancien équipier et actuel rival, Alberto Contador. Le ton était pourtant donné depuis le mois de mars et le Critérium international. Contador avait connu une première journée affreuse, terminant une minute derrière le vainqueur. «Il n’est pas vraiment dans son assiette» avait expliqué son entraîneur, déclarant que Contador souffrait alors de multiples allergies. Mais il avait quand même terminé quatre minutes devant Armstrong.
Après cette compétition, Armstrong est tombé malade et a raté plusieurs courses; une chute l’a obligé à abandonner lors du tour de Californie, mettant un terme à l’une des étapes cruciales de sa préparation au tour de France. Et c’est à ce moment-là que Floyd Landis est sorti de son hibernation en réaffirmant qu’Armstrong et ses coéquipiers avaient remporté leurs titres grâce au dopage. Mardi 13 juillet, le New York Times a rapporté que les autorités fédérales avaient cité plusieurs personnes à comparaître afin de faire la lumière sur les assertions de Landis. (Le Daily News affirme que Trek Bicycle Corp, son ancien sponsor, ferait partie des destinataires de ces citations.)
Tour terminé
Au vu de ce début d’année calamiteux, il semblait évident que le Tour de France ne s’annonçait pas sous les meilleurs auspices pour Armstrong. Après un bon début, il s’est retrouvé à la peine sur les pavés de la troisième étape, perdant près d’une minute face à Contador. Puis vint la course de dimanche, si terrible que le Texan a déclaré à son issue que, pour lui, le Tour était «terminé». Armstrong venait d’apprendre, après des années de chance insolente, une leçon que ses adversaires ne connaissent que trop bien: «quand les choses vont mal sur le Tour de France, elles vont vraiment mal.»
Armstrong aurait très bien pu chuter en 1999 lorsque le Tour traversa le passage du Gois, recouvert à marée haute et donc glissant. Il aurait pu tomber avec Joseba Beloki en 2003 ou chuter de son vélo et finir dans un ravin, comme son directeur de course Johan Bruyneel quand il était coureur. Il aurait également pu descendre de son vélo et rejoindre la voiture de son équipe, comme son grand ennemi Greg LeMond, qui, en 1994 quitta le Tour et mit un terme à sa carrière sur une triste route de Normandie en pleine période de scandale de l’EPO. Mais malgré sa terrible journée de dimanche, Armstrong n’a tout de même pas laissé éclater son désespoir en ayant recours au geste le plus désespéré du coureur cycliste: le lancer de vélo.
Au contraire, il a dignement suivi le groupe de ses coéquipiers jusqu’à la ligne d’arrivée, la tête légèrement inclinée, s’essayant même à un sourire. Il est tombé, il a glissé, et voilà. Il n’était qu’un être humain après tout. Point positif: personne ne pourrait l’accuser de s’être dopé -du moins cette année.
La compétition de trop
Mais Armstrong a d’ores déjà des problèmes bien plus graves que de ne pas remporter un huitième Tour de France. Si l’enquête fédérale finit par aboutir -et que ses anciens amis et coéquipiers corroborent tout ou partie des accusations de Landis- il pourrait bien regretter d’avoir effectué son retour dans la compétition
Pour les grands athlètes, il est toujours difficile de ne pas faire la compétition de trop. Armstrong a tenté une fois de se retirer. Il était alors au sommet de sa gloire et venait de remporter son septième tour. Mais il n’y est pas arrivé. En revenant à la compétition, il tentait naturellement de regagner une partie de sa gloire passée, mais il a également poussé de nombreux observateurs à s’intéresser de plus près à sa période de règne sans partage.
Certes, les défenseurs d’Armstrong n’auraient sans doute pas pu trouver meilleur accusateur que Landis, ancien équipier revanchard, ayant lui-même avoué avoir triché. Mais pour toute personne s’étant intéressée au cyclisme ces dix dernières années, les accusations de Landis sont plus que plausibles. Armstrong a remporté ses Tours de France à une période où le dopage faisait des ravages, où les coureurs avaient recours à des transfusions de sang et à des injections d’EPO, ce que Landis reproche précisément à Armstrong.
Suspicions
Armstrong lui-même est suspecté de dopage depuis sa première victoire dans le Tour en 1999; il fut alors attaqué pour avoir utilisé une crème corticoïde afin de calmer des douleurs hémorroïdales. Mais alors que ces accusations étaient passées à la trappe, le journal l’Equipe rapporta en 2005 que six échantillons d’urine d’Armstrong, prélevés lors du tour de 1999, s’étaient avérées positives à l’EPO grâce à l’utilisation de tests qui n’existaient pas à la fin des années 1990. Ces résultats provenant des échantillons B d’Armstrong, qui plus est des années après la course, furent déclarés irrecevables par le Directeur du Tour Jean-Marie Leblanc. Durant le reste de son règne, tous les tests d’Armstrong se sont avérés négatifs (pour autant qu’on le sache.)
La litanie des tests négatifs d’Armstrong pourrait indiquer que Landis ment. Mais il convient de noter que Landis décrit, en détail, le plan mis en place pour augmenter les performances tout en évitant d’être contrôlé positif. Selon Landis, l’équipe d’Armstrong avait recours à des transfusions sanguines, qui demeurent très difficiles à détecter encore aujourd’hui, conjuguées à des injections d’EPO effectuées à des moments bien choisis et qui, selon Landis, devenaient indétectables au bout de huit heures -soit une bonne nuit de sommeil- tout en améliorant sensiblement les performances.
Sur de nombreux point, croire Armstrong revient à rejeter les explications les plus simples. Vous devez par exemple admettre que les coéquipiers d’Armstrong -dont plusieurs ont ensuite admis qu’ils avaient pris des produits ou furent contrôlés positifs aux produits dopants- se sont dopés de leur propre chef et pas pour aider leur leader à remporter le Tour de France (ce qui était après tout leur boulot). Vous devez également croire que les techniciens du labo français ont soit mal analysé, mal utilisé voire fabriqué de toutes pièces les échantillons d’urine de 1999. Vous devez également croire Armstrong quand il affirme qu’il a versé au docteur Michele Ferrari, son sulfureux entraîneur italien, d’importantes sommes d’argent pour qu’il lui prodigue… des conseils tactiques. Et vous devez enfin croire que les anciens coéquipiers et associés d’Armstrong, tels que Frankie Andreu, Stephen Swart, Emma O’Reilly ou Mike Anderson, qui accusent Armstrong de s’être dopé durant des années –cités paer David Walsh dans un livre (From Lance to Landis) troublant mais peu concluant– avaient quelque chose à y gagner. Dans la plupart des cas, cela n’a fait que compliquer leur existence –comme Floyd Landis en fait la cruelle expérience.
Loin devant
Plus généralement, il vous faut admettre qu’Armstrong a écrasé ses adversaires, dont certains se sont avérés plus tard être dopés jusqu’à la moelle, sans avoir jamais pris le moindre produit. Si Armstrong avait résisté à la tentation de tricher, ses exploits seraient encore plus méritoires. Comme l’un des auteurs du blog Freakonomics l’évoquait l’autre jour, le cyclisme n’est pas le baseball, où les bénéfices de l’utilisation de stéroïdes sont peu probants; le cyclisme est plus proche des haltères: les produits dopant procurent davantage de puissance, et davantage de puissance est synonyme de victoire. Ces victoires ont permis à Armstrong de gagner beaucoup d’argent et fait de lui un des sportifs les plus célèbres et les plus influents au monde.
S’il n’a jamais rien pris, ses performances athlétiques tiennent du miracle. Il affrontait des athlètes impliqués dans de vastes campagnes de dopages, avec des laboratoires clandestins et des calendriers rigoureux de transfusions et d’injections, qui furent notamment révélées lors du scandale de l’affaire Puerto en Espagne. (Ces méthodes, notons-le, sont similaires à celles décrites par Landis). Rares furent les coureurs impliqués dans ce scandale à avoir été testés positifs. Tous ont été battus par Armstrong.
Pas de jours sans
Voila sans doute ce qui étonne le plus dans le cas Armstrong: malgré le caractère difficile et capricieux de ce sport, Armstrong était parfait, ou presque. Il a dominé le Tour, de manière indiscutable, sept années durant. Durant cette période, ses mauvais jours se comptent sur les doigts des deux mains. Il ne ménageait manifestement pas ses efforts, mais sans jamais connaître de jour sans.
Or le cyclisme n’est pas censé marcher de la sorte. Certains jours, vous êtes au top, et le lendemain, vous êtes au fond du trou. C’est comme ça que le corps humain fonctionne. Et c’est précisément ce qui rend une telle course excitante. Les hauts et les bas. Mais avec Armstrong, il n’y avait que des hauts. C’est sans doute ce qui plaisait tant à ses admirateurs et à ses coéquipiers: L’idée que Lance ne les laisserait jamais tomber. Qu’il gagnerait toujours. Et qu’il faisait tout ça pour eux.
Dimanche, Lance a eu l’air faillible physiquement. Ses admirateurs y survivront. Mais si Armstrong finit par s’avérer faillible sur le plan moral, les effets seront dévastateurs. Comme son agent, Bill Stapleton le déclarait à Dan Coyle en 2004, «Essayez d’imaginer ce qui se passerait si Armstrong était testé positif? Essayez d’imaginer ce qui se passerait s’il s’avérait qu’on prend tous ces gens pour des cons?»
Bill Gifford
Traduit par Antoine Bourguilleau