Il faut bien le reconnaître: Nicolas Sarkozy a un incroyable talent de persuasion. Peu enclin à se lancer dans une tournée-marathon à travers l’Afrique pour assister à chaque cinquantenaire, le président français a réussi à convaincre une douzaine de chefs d’Etat africains de venir célébrer l’indépendance de leurs pays à Paris, et de laisser défiler leurs soldats aux côtés de l’ancienne armée coloniale…
Laurent Gbagbo est le seul à avoir refusé. Les autorités ivoiriennes ne veulent pas «jouer aux hypocrites ou aux naïfs», alors qu’un «contentieux» demeure avec Paris. Abidjan ne goûte guère aux «ingérences françaises» dans son interminable feuilleton électoral et tient à garder ses distances. Les Ivoiriens seront seulement représentés par leur ministre de la défense.
Autre absent, Andry Rajoelina. Le chef de l’autorité de transition malgache n’a pas été jugé assez légitime et fréquentable, mais ses soldats descendront les Champs-Elysées.
Treize compagnies africaines ouvriront donc mercredi le sacro-saint défilé républicain du 14 juillet jusqu’à la tribune où siègeront, aux côtés de Nicolas Sarkozy, leurs présidents.
Paul Biya, Denis Sassou N’Guesso, Ali Bongo, Faure Gnassingbé: «La Françafrique va parader» accusent certaines ONG. Elles dénoncent la présence de criminels de guerre au sein des compagnies africaines sélectionnées et de dictateurs dans la tribune. L’Elysée dément la présence de «personnes intéressant la justice». Certes. Mais à y regarder de près, entre présidents à vie tripatouilleurs de constitution, putschistes et fils à papa, nos invités d’honneurs ne sont pas tous de grands démocrates…
Paul Biya, le «sphinx inamovible» - Cameroun
Prime à la longévité : depuis la mort d’Omar Bongo, Paul Biya est, avec Robert Mugabe, le doyen des chefs d’état africains. «Nommé» président en 1982 après la démission d’Ahmadou Ahidjo, il se maintient depuis 28 ans au pouvoir, en s’adaptant sans difficulté aux tendances politiques du continent.
Le système du parti unique est passé de mode? Il accepte des élections qu’il remporte à chaque fois confortablement, nullement inquiété par les accusations de fraude massive et systématique.
La constitution limite à deux le nombre de mandats présidentiels? Le texte est amendé en 2007: Paul Biya peut se représenter en 2011, et pourquoi pas, en 2018. Journalistes emprisonnés (ou assassinés en prison comme Bibi Ngota récemment), opposition muselée, le régime camerounais figure toujours en bonne place dans les rapports d’ONG sur les violations des droits de l’homme. Lui-même mis en cause dans le dossier des «biens mal acquis», Paul Biya s’est lancé, sous la pression des bailleurs de fonds, dans une grande campagne anti-corruption. Des ministres ont été arrêtés, une avocate condamnée à 40 ans de prison. Mais à l’approche de la présidentielle, l’opération « mains propres » ressemble de plus en plus à une entreprise d’épuration politique.
François Bozize, l'éternel putschiste - Centrafrique
Cet été, François Bozizé «pose» pour une bien étrange photo de famille : en une de Foreign Policy, on le voit aux côtés du nord-coréen Kim Jong Ill, du Zimbabwéen Robert Mugabe, du Soudanais Omar El Béchir, et du Birman Than Shwé… Les pires dictateurs du monde, selon le magazine qui consacre tout un dossier aux «bad guys» de la scène internationale.
Au pouvoir depuis qu’il a renversé Ange-Félix Patassé par un coup d’état, le général Bozizé a su se maintenir à la tête de la République centrafricaine grâce au soutien sans faille de son allié de toujours, le Tchadien Idriss Déby et à l’appui des militaires français basés en RCA. Son talent à désamorcer les mutineries en «achetant» les chefs rebelles à coup de portefeuilles ministériels n’a d’égal que sa propension à reporter indéfiniment les échéances électorales. La dernière présidentielle devait avoir lieu le 25 avril dernier, puis le 16 mai; elle a finalement été repoussée aux calendes grecques. Arrivé au bout de son mandat le 11 juin, François Bozizé regardera pourtant ses soldats descendre les Champs-Elysées avec la double casquette de président de la République et de ministre de la Défense.
Idriss Deby, le chef de guerre - Tchad
Bien placé, lui aussi (13e), au hit-parade Foreign Policy des bad guys, Idriss Deby a longtemps bénéficié de la bienveillance des Occidentaux qui voyaient en ce fin stratège militaire, l’homme qui allait stabiliser le Tchad. C’est donc en toute impunité qu’il a démantelé et réprimé toute opposition, et qu’il a centralisé à l’extrême son gouvernement tout en organisant des élections largement contestées à l’étranger.
Après avoir amendé la constitution pour pouvoir se présenter ad libitum, le général Déby consacre désormais plus de 12% du budget de l’Etat à acheter des armes. On le dit de plus en plus seul, retranché dans son palais de N’Djamena, après les deux tentatives de coup d’état de 2006 et 2008. Vingt ans après avoir renversé par la force Hissène Habré, le président tchadien se retrouve peu ou prou dans la même situation que l’ancien dictateur. Autre point commun entre les deux hommes : les dizaines de milliers de victimes de leurs régimes.
Tous les soldats tchadiens qui passeront mercredi sous l’Arc de Triomphe auront bien sûr l’âge légal. Dans l’Est du Tchad, en revanche, certaines très jeunes recrues n’ont pas 12 ans…
Blaise Compaore, le dictateur respectable - Burkina Faso
Auréolé de son statut de médiateur en Côte d’Ivoire, au Togo et en Guinée, Blaise Compaoré s’est acheté ces dernières années une respectabilité de vieux sage, reconnu et écouté par ses pairs. Un comble pour l’International Crisis Group pour qui le président burkinabé «n’est pas l’homme le plus fiable pour prêcher la démocratie et le pouvoir civil». Foreign Policy n’y va pas non plus par quatre chemins: «Ce despote de pacotille sans vision et sans agenda a su rester au pouvoir en liquidant ses opposants et en étouffant la dissidence».
Accusé d’avoir fait tuer son prédécesseur Thomas Sankara pendant le coup d’état 1987, d’avoir soutenu le chef de guerre libérien Charles Taylor poursuivi aujourd’hui devant la CPI, d’avoir fait assassiner le journaliste Norbert Zongo en 1998, Blaise Compaoré enchaîne les mandats présidentiels grâce à une lecture toute personnelle de la Constitution burkinabé et des scores aux allures de plébiscites (plus de 80% en 2005). Il sera candidat à la prochaine élection présidentielle, en novembre prochain.
Denis Sassou N'Guesso, le chef de milices sanguinaires - Congo
Le général Essongo est-il un criminel de guerre? Cet officier congolais devait marcher sur les Champs-Elysées ce mercredi matin. Plusieurs ONG et représentants congolais en exil s’en sont émus, accusant le militaire d’avoir ordonné le massacre des populations civiles alors qu’il dirigeait les milices Cobras en 1997. Brazzaville dément ces accusations mais l’état-major congolais a finalement décidé mardi de remplacer le général incriminé.
La polémique rappelle au moins que si Denis Sassou N’Guesso a repris le pouvoir cette année-là à Pascal Lissouba, c’est en grande partie grâce à ces milices sanguinaires et au prix de 400.000 morts.
Réélu depuis au fil d’élections à candidat unique (2002) ou avec des listes électorales non actualisées (2009), Denis Sassou N’Guesso gouverne sans Premier ministre, entre arrestations d’opposants, répression sanglante, enlèvement et disparition de réfugiés étrangers et scandales financiers. Principal accusé dans l’affaire des «biens mal acquis» des chefs d’Etat africains, il dénonce une campagne de déstabilisation.
Faure Gnassingbé et Ali Bongo, les fils à papa - Togo et Gabon
C’est une tendance qui s’affirme en Afrique Occidentale. Les années 2010 seront-elles celles des successions dynastiques? Le Togo et le Gabon ont pris les devants. En 2005, Faure Gnassingbé succède à son père Gnassingbé Eyadema, mort après 38 ans de pouvoir. Le fiston se serait bien contenté d’une succession immédiate mais l’Union africaine et la communauté internationale le forcent à organiser des élections qu’il remporte, réprimant par la suite dans le sang toute accusation de fraude: plusieurs centaines d’opposants sont tués. Sa réélection en février dernier n’est pas moins contestée que la précédente.
Au Gabon, Ali Bongo a pris la succession de son père, Omar Bongo, figure emblématique des réseaux franco-africains. Elu au suffrage universel en août 2009, il n’a pas eu beaucoup de difficultés à faire taire les soupçons d’irrégularités en proposant des portefeuilles ministériels à la plupart de ses adversaires. Une méthode éprouvée par son père, qui lui assura une longévité exceptionnelle à la tête du Gabon: 33 ans!
Guillaume Villadier