Minerve soit
louée! Dans le dernier numéro de Wonder Woman, l'héroïne de
Paradise Island se retrouve affublée d'une paire
de leggings toute neuve. Il était temps. Cela faisait
plusieurs dizaines d'années déjà que son style trop apprêté sentait le
renfermé, nous ramenant à l'époque de la Seconde Guerre Mondiale, où il
semblait alors tout-à-fait naturel qu'une grande Américaine d'acier ait
l'air fier comme Rosie la
Riveteuse et soit belle comme les pin-ups peintes sur le nez des
avions. Le bustier qui rappelle le pygargue à tête blanche, les
shorts taille haute étoilés sont autant de symboles indélébiles. Mais
notre copine avait commencé à ressembler à une majorette.
Et pour du relooking, c'est du relooking, façon vamp même. Vestimentairement parlant, Wonder Woman a réussi avec son style dépressif-chic à s’adapter au spleen ambiant qui touche depuis peu de temps ses pairs: Batman, plus noir que noir; Superman, plus contrarié que jamais; et même Spiderman, en voisin pas forcément toujours sympa. DC Comics a laissé Wonder Woman adopter un style assorti à l'angoisse que se traîne forcément tout justicier postmoderne depuis la naissance.
Rock-star sophistiquée
Elle étrenne sa nouvelle garde-robe en même temps qu'une nouvelle histoire, qui commence dans une ruelle où celle-ci tente d'échapper à une pluie de balles alors qu'elle se pose de nombreuses questions existentielles dans un monologue intérieur: «Je ne sais pas qui je suis. Tout ce que je sais, c'est ce qu'on me dit» rumine-t-elle, cafardeuse. «Mais s'il y a une chose dont je suis sûre... c'est qu'ils essaient de me tuer»; Tout ça serait effectivement un peu moins crédible avec des bottes gogo rouges à passepoil blanc.
Maintenant, au lieu de ça, Wonder Woman met des coups de pied circulaires en leggings brillants qui se fondent dans des bottes de motard pratiques et avec des étoiles au niveau de la cheville. L'intrépide oiseau affiché sur sa poitrine a rétréci et chuté de quelques centimètres pour se transformer en ceinture, et le double «W» doré qu'elle portait autrefois autour de la taille ganse désormais son décolleté, comme un genre de broche pare-balle. Pour parfaire l'ensemble, un boléro porté crânement, avec des épaulettes où sont cousues quelques étoiles dorées. Dans le Washington Post, Robin Givhan s'aventure même à dire que la veste ajoute un «côté rock star, un clin d'oeil à Balmain» qui renforce la nouvelle «sophistication internationale» de Wonder Woman. Jim Lee, co-éditeur de DC Comics, parle de cette nouvelle garde-robe en des termes qui lui feraient gagner l'approbation de n'importe quel juge de Project Runway: «La veste et les bottes confirment le côté fonctionnel du costume, et la tiare ouverte et plus petite, ainsi que les bracelets travaillés tendent de manière discrète et même un peu juvénile vers le style princesse amazonienne».
Au delà du relooking
Et Tim Gunn aurait beau ajouter que le nouveau costume ne fait pas trop déguisement, il n'en reste pas moins que justement, le côté trop «casual» de ce nouvel uniforme n'est qu'une raison parmi toutes celles qui ont fait de ce relooking de superhéros le plus controversé depuis le nouveau slip du Robin de Chris O'Donnell. Certains geeks ont horreur de la modestie que dégagent ces nouvelles sapes, les plus conservateurs regrettent de voir la tradition ainsi répudiée, et parmi les lecteurs de FoxNews.com, certains estiment qu'avoir minimisé les motifs patriotiques est «une énième disgrâce pour l'Amérique». La célèbre blogueuse Nikki Finke est même allée jusqu'à écrire que la nouvelle Wonder Woman, complètement «fichue en l'air», était prête pour «la fête des goths à la Sherman Oaks Galleria». Elle n'a pas complètement tort, mais ce qui nous déçoit un peu, c'est le mépris sous-jacent de Finke pour toutes les filles de la Valley qui sont déjà sorties avec un t-shirt de Cure pour ruminer en public.
On ne peut pas dire
que j'ai suivi de près la carrière de Mademoiselle Woman –d'ailleurs, je
sais à peine faire la différence entre la crise
des terres infinies et la bataille de Fort Alamo– mais j'ai
pourtant l'impression que les fans en colère se trompent de problème.
Wonder Woman telle que l'a créé le génial et un peu dingo William
Moulton Marston est un genre d'idéal à la Gloria Steinem,
dans un corps de Supervixen à la Russ Meyer, et élevée au
rang de déesse-mère. «Très franchement, Wonder Woman c'est de la
propagande psychologique pour tous ces nouveaux genres de femmes qui, je
crois, devraient régner sur la planète» a-t-il écrit un
jour. «Il n'y a pas assez d'amour dans l'organisme masculin pour
diriger ce monde de façon pacifique». Il a donné à son Amazone l'âme d'une
suffragette qui ne tolère pas la bêtise. Si elle est aujourd'hui
devenue esclave de la mode, c'est seulement parce qu'elle comprend
désormais ce que veut dire à notre époque s'habiller avec autorité. Un
look très 21e siècle en somme, très «qui aime bien, châtie
bien».
Troy Patterson
Traduit par
Nora Bouazzouni