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Après le Montana, d'autres États américains interdiront-ils TikTok?

Temps de lecture : 4 min

Le réseau social du moment, propriété de l'entreprise chinoise ByteDance, y est menacé d'interdiction.

Le réseau social, qui compte plus d'un milliard et demi d'utilisateurs, fait désormais l'objet de multiples mesures d'interdiction à travers les États-Unis. | Olivier Bergeron via Unsplash
Le réseau social, qui compte plus d'un milliard et demi d'utilisateurs, fait désormais l'objet de multiples mesures d'interdiction à travers les États-Unis. | Olivier Bergeron via Unsplash

«Pour protéger les données personnelles et privées des Montanais contre le Parti communiste chinois, j'ai interdit TikTok dans le Montana.» C'est à travers un tweet que Greg Gianforte, gouverneur républicain du Treasure State, a annoncé la promulgation de la Senate Bill 419, qui interdit TikTok dans cet État d'un peu plus d'un million d'âmes. À compter du 1er janvier 2024, Google et Apple s'exposeront à une amende de 10.000 dollars (environ 9.250 euros) par jour si à cette date l'application du Chinois ByteDance figure toujours dans leur magasin d'applications respectif.

Si la méthode semble radicale, elle est avant tout l'écho d'une défiance de plus en plus grande des pouvoirs publics, qui s'inquiètent de la moisson de données opérée par une entreprise dont la perméabilité aux injonctions du régime de Xi Jinping pourrait poser de lourds problèmes de sécurité nationale. Le réseau social, qui compte plus d'un milliard et demi d'utilisateurs, fait désormais l'objet de multiples mesures d'interdiction à travers les États-Unis.

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Haro sur les périphériques publics

Si le Montana est le premier État fédéré à avoir fait le choix radical de l'interdiction globale, d'autres ont préféré limiter ce principe de précaution aux seuls périphériques publics: trente-quatre États sur cinquante (dont le Montana) ont annoncé ou pris des mesures visant à interdire l'application chinoise sur les périphériques de leur gouvernement.

Il s'agit d'un mouvement d'ampleur, également suivi par de nombreuses universités publiques et par les autorités fédérales: bannie depuis plus de trois ans sur les périphériques militaires, l'application est désormais bannie des appareils fédéraux après que le Congrès a voté le «No TikTok on Government Devices Act» à l'initiative du sénateur républicain Josh Hawley.

Le 23 mars, le PDG de ByteDance, Shou Zi Chew, a témoigné devant le comité de l'Énergie et du Commerce de la Chambre des représentants. Une audition de près de cinq heures au cours de laquelle le patron a peiné à convaincre des élus déjà sur la défensive, compte tenu des tensions diplomatiques entre Washington et Pékin.

La défiance envers l'application phare de ByteDance n'est pourtant pas nouvelle. En 2020, le président Donald Trump avait pris un executive order sommant l'entreprise chinoise de vendre une majorité de ses parts à une entreprise américaine. L'action du 45e président avait été bloquée par voie de justice et l'affaire TikTok v. Trump fut ensuite classée sans suite après que le président Biden eut annulé la mesure de son prédécesseur, non sans réitérer la demande formulée par ce dernier. Une demande qui a provoqué l'ire du ministère chinois du Commerce, fermement opposé à toute vente.

Les nombreuses inquiétudes qui entourent l'accès aux données de TikTok par le gouvernement chinois ne sont par ailleurs pas l'apanage des États-Unis: le Canada, le Royaume-Uni, l'Union européenne et l'Australie ont exclu la présence du réseau social sur les périphériques publics. La France, par l'intermédiaire de son ministre de la Transformation et de la Fonction publiques Stanislas Guérini, a également interdit la présence d'«applications récréatives» sur les téléphones professionnels des agents publics au motif que celles-ci «ne présentent pas les niveaux de cybersécurité et de protection des données suffisants pour être déployées sur les équipements d'administrations».

Demeure néanmoins une singularité américaine: le premier amendement de la Constitution, qui garantit entre autres la liberté d'expression, pourrait faire obstacle à toute interdiction du réseau social. Cinq TikTokers ont d'ores et déjà déposé un recours en justice contre l'interdiction votée dans l'État du Montana au motif que celle-ci viole leur droit à la liberté d'expression.

Le premier amendement peut encore sauver TikTok

Pour quiconque ignore la jurisprudence américaine en matière de liberté d'expression, sa découverte est toujours surprenante: le premier amendement défend aussi bien le droit de brûler la bannière étoilée que le droit des néonazis de se réunir. Suffisamment protecteur pour sauver TikTok? Oui, si l'on en croit les associations de défense des libertés civiles qui, à l'instar de l'avocat Jameel Jaffer du Knight First Amendment Institute, ont pris la plume pour affirmer l'inconstitutionnalité d'une telle interdiction.

Sur le blog Just Security, Deborah Pearlstein et John Dellamore, respectivement professeure et étudiant en droit, évoquent une «réalité complexe», mettant en balance les impératifs de sécurité nationale et la liberté d'expression. «[I]l est facile d'imaginer un “TikTok ban” rédigé avec beaucoup plus de soin que la version initiale du Montana et ayant une portée beaucoup plus ciblée. Par exemple, une réglementation relative au temps, au lieu et à la manière qui empêche effectivement les utilisateurs américains d'accéder à des plateformes étrangères sur des appareils mobiles basés aux États-Unis tant que ces plateformes n'offrent pas de garanties suffisantes pour empêcher, par exemple, que les données de géolocalisation et de reconnaissance faciale des utilisateurs américains ne soient partagées avec des adversaires étrangers», estiment ainsi les deux juristes.

Plus subtile, cette formulation pourrait par ailleurs éviter des mesures de rétorsion particulièrement craintes aux États-Unis: une interdiction nominative de TikTok pourrait se solder par de lourdes pertes économiques pour les entreprises américaines, qui feraient face à des représailles tant de la part des consommateurs que des officiels chinois.

En conséquence, le pouvoir législatif, qu'il soit local ou fédéral, pourrait connaître bien des difficultés pour bannir l'application sans passer sous les fourches caudines des tribunaux. En dépit des nombreux avertissements sur les risques que représente l'application pour la sécurité nationale, Amnesty, ACLU ou encore Human Rights Watch, pourtant peu amènes vis-à-vis de la Chine et de ses nombreuses violations des droits humains, se tiennent aux côtés de TikTok au nom du droit à la liberté d'expression protégé par le premier amendement.

Ce qui pourrait apparaître comme une alliance contre-nature n'est en vérité que le reflet d'un attachement profond aux libertés individuelles: aux États-Unis, la liberté d'expression est un «bien sacré», comme le dit très justement la professeure Élisabeth Zoller.​​​​​

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