Médias / Politique

ETA: l'introuvable paix au Pays basque?

Temps de lecture : 5 min

Dans la série de podcast documentaire «Comment finir une guerre», ARTE Radio retrace l'histoire d'un douloureux processus de paix engagé dans les années 2010 entre ETA et les États espagnol et français.

À travers une vidéo, le groupe armé indépendantiste basque ETA déclare un cessez-le-feu (provisoire), le 22 mars 2006, dans la ville basque de Vitoria-Gasteiz (nord de l'Espagne). | Capture d'écran / AFP
À travers une vidéo, le groupe armé indépendantiste basque ETA déclare un cessez-le-feu (provisoire), le 22 mars 2006, dans la ville basque de Vitoria-Gasteiz (nord de l'Espagne). | Capture d'écran / AFP

Il y a cinq ans, en mai 2018, l'organisation indépendantiste basque Euskadi ta Askatasuna (ETA), pour «Pays basque et liberté», annonçait officiellement sa dissolution. En 1959, elle s'était lancée dans une bataille contre le gouvernement espagnol pour lutter contre la répression du régime franquiste (1939-1975) et défendre l'identité basque. Une lutte qui se fait progressivement de plus en plus violente: le décès d'un des militants indépendantistes en 1968 signe le point de non-retour d'un conflit qui devient alors un conflit armé.

Mais comment bascule-t-on dans la violence? Et surtout, comment en sort-on? C'est l'histoire que raconte Myriam Prévost dans Comment finir une guerre, un podcast documentaire en huit épisodes pour ARTE Radio, avec pour leitmotiv la question de la construction d'une paix entre deux camps, sur un territoire à cheval entre la France et l'Espagne.

Abonnez-vous gratuitement à la newsletter quotidienne de Slate.fr et ne ratez plus aucun article!

Je m'abonne

La parole coupable

Lui, il ne dit pas ETA, il dit «l'organisation». Le premier épisode du documentaire s'ouvre sur le témoignage de Josu Urrutikoetxea, aussi connu sous le nom de Josu Ternera. Ancien militant indépendantiste, il est celui qui a lu le communiqué d'auto-dissolution d'ETA aux médias, le 3 mai 2018.

Au micro de la réalisatrice Myriam Prévost, Josu Urrutikoetxea retrace le processus armé de l'organisation et la spirale de violence dans laquelle il a plongé. En 2002, après avoir activement œuvré dans les rangs d'ETA, il finit par entrer en clandestinité, à la suite d'une convocation par les forces de l'ordre espagnoles pour être interrogé sur son implication dans un attentat contre une caserne de la Guardia Civil (la police espagnole) à Saragosse (Aragon) en décembre 1987. Une voiture, piégée, avait tué onze personnes, dont cinq enfants.

«La lutte armée, c'est un outil qui petit à petit déshumanise», témoigne-t-il. Mais comment entendre les mots d'une voix qui, des années auparavant, commanditait depuis la France d'importantes campagnes d'actions terroristes en Espagne?

«Dans les années 1990, ETA tuait des élus, des plombiers, des enfants: des gens qui représentaient la démocratie.»
Barbara Loyer, chercheuse à l'Institut français de géopolitique

Tout au long du documentaire, cette ambiguïté nous oblige à nous positionner, parfois malgré nous, sur la question de l'impératif de justice. Depuis sa bascule dans la lutte armée, ETA est à l'origine de 859 morts, dont la grande majorité survenus lors d'attentats après la mort de Franco, en 1975.

D'après Barbara Loyer, chercheuse spécialiste des mouvements nationalistes en Espagne à l'Institut français de géopolitique, Josu Urrutikoetxea était un personnage clé de l'appareil militaire de l'organisation, notamment lors de l'attentat du supermarché Hipercor à Barcelone le 19 juin 1987, qui a fait vingt-et-un morts et quarante-cinq blessés. «Dans les années 1990, ça voulait dire qu'on tuait des élus, des plombiers, des enfants: des gens qui représentaient la démocratie.»

À LIRE AUSSI

Ma vie avec ETA

Pour Comment finir une guerre, Myriam Prévost a souhaité omettre l'emploi du terme «terroriste» et l'effet «monstre» qui lui est imputé. «Moi, je parle avec eux, car ce sont aussi des êtres humains qui ont un vécu particulier et qui ont fait des choix qu'on peut comprendre ou non: ça se discute. Mais justement, ça se discute. Ça ne veut pas dire qu'on les excuse pour autant.» Ce choix explique l'absence de mentions détaillées des actes meurtriers perpétrés par l'organisation indépendantiste, au profit d'une parole militante considérée, par la réalisatrice, comme trop peu relayée par le passé dans les médias français.

Des violences partagées

Au bout du fil, la voix d'Iratxe Sorzabal Diaz se tord. Depuis 2015, elle est incarcérée pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste au centre pénitentiaire de Réau (Seine-et-Marne). Dans l'épisode 5, elle raconte les actes de torture subis et commis en 2001 par la Guardia Civil, alors qu'elle était militante membre d'ETA.

Ce douloureux témoignage soulève le tabou des plus de 4.000 cas de torture avérés par la police espagnole, une pratique courante entre 1960 et 2014. À cela s'ajoutent les vingt-sept victimes des Groupes antiterroristes de libération (GAL), des milices créées clandestinement par l'État espagnol dans les années 1980, en réponse aux attentats perpétrés par ETA en Espagne.

«Ce qu'a fait ETA a été jugé, plusieurs fois même. Donc je ne voulais pas repasser derrière la justice.»
Myriam Prévost, réalisatrice du podcast documentaire Comment finir une guerre

Cet ensemble de faits, Myriam Prévost le résume par l'idéologie mise en place par le juge Baltasar Garzón dans les années 2000: «Pour le gouvernement espagnol, tout ce qui est basque et se pense basque est terroriste. Le juge a appliqué le terme de terroriste à toute la sphère indépendantiste basque.» Une affirmation pourtant complexe à entendre, quand on sait que le juge Garzón a également œuvré à la condamnation des commanditaires du GAL en réparation aux victimes.

Le podcast pose ici la question de la reconnaissance des actes meurtriers commis (enlèvements, attentats, attaques de symboles de la démocratie) d'un côté par un groupe terroriste, et qualifié en ce nom par l'Union européenne jusqu'en 2009, et de l'autre ceux des États espagnol et français.

Il est donc nécessaire de trouver un terrain d'entente en discutant des faits concrets, selon la spécialiste Barbara Loyer, pour ne pas oublier combien ETA a abandonnée les notions fondamentales des droits de l'homme vis-à-vis de ses prisonniers et victimes. Une discussion que Myriam Prévost a choisi de ne pas avoir dans son documentaire: «Ce qu'a fait ETA a été jugé, plusieurs fois même. Donc je ne voulais pas repasser derrière la justice. Mon parti pris est de raconter un pan de l'histoire trop peu relayé dans les médias français, qui amène, certes, peut-être plus de questions que de réponses.»

Construire la paix, toujours

En octobre 2011, l'organisation annonce un cessez-le-feu définitif, avant de se lancer dans un long processus de désarmement, qui vient appuyer la volonté de pacification de l'organisation et que l'on découvre dans les trois derniers épisodes de la série documentaire.

Un choix qui vient souligner l'échec d'ETA à rassembler la population basque dans une volonté indépendantiste à partir du début des années 2000 et qui se lit dans les urnes. Le soutien au mouvement abertzale pro-ETA (la gauche patriote et indépendantiste basque) s'effrite et la population ne souhaite plus vivre dans ce qui est appelé la «socialisation de la terreur», qui, pendant trente ans (après la mort de Franco), voulait créer les conditions adéquates d'une insurrection populaire.

La réalisatrice le reconnaît: «Au sein d'ETA, des gens ont été pris dans une spirale violente. Il y avait toutes sortes de personnes: certaines pour la négociation, certaines anti-négociation qui ne voulaient pas parler, puis des personnes qui voulaient seulement agir de manière violente.» Depuis, ETA s'est désarmée en 2017 et donc auto-dissoute un an plus tard.

Aujourd'hui, les anciens membres d'ETA réclament la réparation des actes perpétrés par l'État espagnol, appuyé par l'État français, au-delà de l'amnistie générale prononcée en 1977 pour les crimes commis pendant la période franquiste. Ouvrir le dialogue entre les victimes et les États permettrait également la mise en lumière des cas avérés de torture, jusque-là passés sous silence.

Barbara Loyer pose quant à elle la question du rôle de l'État: «Face à une organisation qui séquestrait, menaçait et se livrait à des extorsions, quelle réponse devait-il apporter?» Selon elle, il est essentiel de ne pas faire passer la volonté d'oubli devant l'impératif de justice concernant ETA.

À la question «Comment finir une guerre?», une seule réponse est finalement apportée: celle du désarmement. Mais la construction de la paix, quant à elle, reste inachevée. «Peut-être que la paix n'est jamais complètement atteignable et ce serait trop ambitieux de dire qu'ils ont trouvé le moyen de faire la paix», conclut Myriam Prévost.

Newsletters

Le décryptage, dernier mythe du journalisme

Le décryptage, dernier mythe du journalisme

Depuis les années 2000, les chaînes d'info en continu se sont détournées des missions originelles du journalisme –l'analyse, l'enquête, le reportage– pour imposer le décryptage des événements comme le dernier mot du débat public. 

«Jeanne du Barry»: comment couvrir un film «problématique» à Cannes?

«Jeanne du Barry»: comment couvrir un film «problématique» à Cannes?

La projection du film de Maïwenn et Johnny Depp en ouverture du Festival de Cannes interroge.

«Hondelatte raconte...» version télé, le plaisir coupable de vos dix prochaines années

«Hondelatte raconte...» version télé, le plaisir coupable de vos dix prochaines années

Christophe Hondelatte revient parler de crimes sur petit écran, et ça risque fort de devenir culte.

Podcasts Grands Formats Séries
Slate Studio