Il y a cinq ans, acculée par une année de nuits sans sommeil, une jeune mère pousse la porte d'une spécialiste de la «Parole au bébé». Cette pratique, inspirée de la kinésiologie, consiste à communiquer avec un bébé, né ou encore in utero, à traduire ce qu'il ne sait pas encore dire par le langage, et à ainsi mieux comprendre son comportement.
Cette histoire, c'est aussi celle de milliers de parents qui, par désespoir, curiosité ou défiance envers la médecine classique, se tournent vers des médecines alternatives pour résoudre les problématiques qu'ils rencontrent avec leurs enfants.
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La kinésiologie, pratique tendance chez les parents
La kinésiologie est une discipline très prisée par les jeunes parents. Pour dialoguer avec un bébé, le kinésiologue utilise le test musculaire sur le parent: tout en posant une question fermée, il exerce une légère pression sur un muscle, et en fonction de sa réaction, la réponse est interprétée comme étant «oui» ou «non».
Julie a consulté une kinésiologue pour sa fille de 7 mois, qui faisait des otites à répétition. «Ça n'a pas fait de miracle, je me suis même sentie assez mal à l'aise avec elle. J'ai senti qu'elle me jugeait au moment où j'ai expliqué que je n'avais pas allaité ma fille. Puis elle m'a dit qu'elle était “câblée à l'envers”, que ce qui devrait la mettre en difficulté ne le faisait pas, et que ce qui devrait être anodin la mettait en difficulté. Elle lui a prescrit des compléments alimentaires. Je n'ai pas vraiment apprécié, je ne venais pas pour ça.»
Léa*, elle, a rencontré une kinésiologue pour canaliser l'hyperactivité de sa fille de 3 ans, toujours en mouvement. «J'étais prête à n'importe quoi… Elle a marmonné en touchant les bras de ma fille, en me posant des questions. Quarante-cinq minutes et soixante-dix euros plus tard, elle m'a expliqué qu'au quatrième mois de grossesse, ma belle-mère a eu une liaison avec le voisin, et que mon bébé a ressenti le stress in utero… Je suis partie en disant que c'était n'importe quoi, j'étais en colère d'avoir été désespérée au point d'aller voir cette dame, et tout aussi en colère contre elle, qui exploite les gens désespérés comme moi.» Sa fille a, depuis, obtenu une place dans un centre pour enfants TDAH (trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité), et bénéficie d'un suivi régulier par une pédopsychiatre et une psychomotricienne.
Mais la kinésiologie n'est pas la seule médecine alternative vers laquelle se tournent les jeunes parents.
Naturopathie, chromothérapie, numérologie...
Constance est une petite fille qui souffre d'une maladie auto-immune, l'arthrite idiopathique juvénile. Lorsque cette maladie lui a été diagnostiquée, sa mère, Cécilia, a ressenti le besoin urgent de tout faire pour la soulager. «Il a fallu du temps pour obtenir des rendez-vous avec des médecins spécialistes, pour démarrer le traitement, et celui-ci a mis plus de six semaines à faire effet. En attendant, elle avait des douleurs importantes, et beaucoup de gens autour de nous nous ont parlé de médecines alternatives. En ce qui me concerne, j'avais plutôt envie de me fier à la médecine allopathique conventionnelle, mais j'avais aussi envie d'étudier toutes les options qui pouvaient potentiellement aider Constance.»
C'est ainsi que Cécilia prend contact avec un thérapeute en médecine chinoise et en acupuncture, une naturopathe, et une thérapeute en réflexologie plantaire. Le rendez-vous avec le premier thérapeute est catastrophique. «Ce n'était pas du tout adapté à l'âge de Constance qui avait 3 ans et demi. Il ne lui parlait pas, ne demandait pas son consentement ni le mien, j'ai refusé qu'il fasse de l'acupuncture et il s'est énervé. C'était vraiment une mauvaise expérience, presque traumatisante pour Constance. Je pense que cela aurait pu être risqué si je n'avais pas eu le courage de dire stop.»
Les séances avec les autres thérapeutes se sont avérées positives pour Cécilia et sa fille. «Cela nous a aidé au niveau de l'alimentation et du stress. Je savais que ça ne pourrait pas vraiment soulager ses douleurs, c'était plus pour moi, me donner bonne conscience, essayer de tout faire pour l'aider. C'était aussi pour lui faire prendre conscience qu'on peut prendre soin de son corps différemment, même si dans son cas, les médicaments sont indispensables.»
«Un quart d'heure après l'appel, elle a arrêté de pleurer et n'a plus jamais eu mal, alors que la brûlure était très étendue.»
Certains parents font le choix de se tourner vers d'autres pratiques, comme la chromothérapie, qui se base sur les bienfaits des couleurs pour gérer les émotions, le magnétisme, qui repose sur des soins énergétiques, ou encore la numérologie, qui dit révéler la personnalité de l'enfant à travers des nombres.
Laetitia, elle, a eu recours à une coupeuse de feu lorsque sa fille de 4 ans s'est brûlée à la main. Pour elles, l'issue a été presque miraculeuse. «J'ai appelé sans conviction, parce que j'étais désespérée. Un quart d'heure après l'appel, elle a arrêté de pleurer et n'a plus jamais eu mal, alors que la brûlure était très étendue.»
Mais que l'issue de l'expérience soit positive ou non, qu'est-ce qui pousse ces parents à tenter le coup d'essai en premier lieu?
Un contexte défavorable aux soins conventionnels
Est-ce que les parents qui consultent ces praticiens sont forcément anti-médecine et antivaccins? Ce n'est pas l'avis d'Aline Nativel Id Hammou, psychologue clinicienne.
«Sur l'échantillon de parents que je reçois en consultation, la grande majorité qui consulte des praticiens non conventionnels ne le fait pas par défiance envers la médecine classique. Au contraire, la figure du médecin reste très importante dans la vie familiale, pour les petits et gros bobos, les vaccins et bilans de santé. Mais les parents recherchent une approche du bien-être plus généralisée, pas seulement physiologique. Il y a cette recherche perpétuelle d'offrir à l'enfant un bien-être psychique, corporel et cognitif.»
Mais la psychologue clinicienne soulève un souci: le manque de disponibilité des médecins pour traiter du bien-être de l'enfant. «Ce qui met en difficulté les parents, c'est de trouver un médecin. Et le temps accordé à chaque patient est court, alors que l'attente pour certains rendez-vous spécialisés est très longue. C'est comme ça que certains parents vont, par exemple, se tourner vers un coach en écriture plutôt qu'un orthophoniste.»
Dre Claire Siret, médecin généraliste et présidente du Conseil départemental de Seine-et-Marne de l'Ordre des médecins, ne nie pas le problème. «Il y a aujourd'hui un détournement de la médecine conventionnelle pour plusieurs raisons: la pénurie actuelle de soignants qui rend la prise en charge des patients défavorable, la crise sanitaire qui a isolé les Français et déprécié la médecine, et le contexte social actuel très anxiogène, voire dépressogène.»
Ce tableau laisse de la place aux pratiques de soin non conventionnelles, qui s'y engouffrent bien volontiers, sans cadre et parfois même sans formation. «Les parents sont attirés vers la recherche du bien-être pour leur enfant, il y a une appétence sociétale générale pour le retour au bio et à la nature, rappelle la Dre Siret. Il y a aussi une possibilité instantanée de diffuser de l'information brute sur internet et les réseaux sociaux, de diaboliser la prise en charge scientifique, et de faire croire à des pratiques non scientifiquement fondées.»
Défiance envers la médecine, médecins débordés, parents isolés et angoissés, désespoir face à certaines problématiques, recherche accrue du bien-être et du «naturel» pour son enfant, influence des réseaux sociaux... Voilà donc ce qui pousse les parents à consulter en marge de la médecine classique.
Peut-on faire confiance à ces praticiens alternatifs?
Bien que leurs pratiques ne soient pas étudiées au cours d'un cursus médical, ni reconnues scientifiquement, la plupart des praticiens de soin non conventionnels ne représentent pas de danger. Ces pratiques peuvent même s'avérer bénéfiques, en plus d'un suivi médical classique.
«En douze ans, je n'ai croisé que deux fois des parents confrontés à un praticien aux dérives sectaires, raconte Aline Nativel Id Hammou. Mais avant de consulter un thérapeute, il faut regarder les avis du praticien sur internet, voir avec l'enfant si ça lui plairait, demander aussi conseil à son réseau médical et paramédical. Si au premier rendez-vous, vous n'avez pas un bon ressenti, ne poursuivez pas. Et si votre enfant n'a pas envie d'y aller, écoutez-le.»
Elle met également en garde contre la multiplication de ce genre de séances. «Si l'agenda est rempli de rendez-vous chez l'hypnotiseur, le magnétiseur, etc., cela représente une vraie charge mentale pour l'enfant et le parent, mais aussi un coût financier.»
«Il lui a dit que mon âme était parasitée par un esprit.»
Comment savoir si un praticien est inoffensif pour son enfant, et comment reconnaître un thérapeute aux pratiques douteuses? «Il existe trois types de dérives possibles lors de pratiques de soin non conventionnelles, énonce la Dre Siret. L'exercice illégal de la médecine lorsqu'un praticien prône des thérapies ou prescrit des médicaments qui n'en sont pas; ces praticiens n'ont pas le droit de faire des prescriptions. Ensuite, il y a le risque de dérives thérapeutiques, c'est-à-dire une mise en danger, un abus de faiblesse, une perte de sens, une escroquerie. Et enfin, les dérives sectaires, lorsqu'il y a emprise mentale.»
Le recours aux médecines non conventionnelles et un climat d'inconfiance vis-à-vis des médecins peuvent également engranger un retard de diagnostic, un isolement, ou un refus de traitements médicamenteux, pouvant mettre les enfants en danger.
Camille a fait les frais des dérives d'un praticien lorsque sa mère l'a amenée chez un kinésiologue, quand elle était adolescente. «J'étais dépressive et je m'automutilais, ma mère ne savait plus quoi faire de moi. Il lui a dit que mon âme était parasitée par un esprit. Ma mère m'a emmenée voir un prêtre à la suite de cela. Le kinésiologue lui a aussi dit que son cancer était un signal d'alarme envoyé à son corps sur son mode de vie, et qu'il fallait qu'elle arrête les traitements, quitte mon père et aille faire je ne sais quoi en Amérique latine. Bien sûr, elle n'a rien fait de tout ça, et a arrêté de le voir.» Plus de vingt ans plus tard, ce praticien exerce toujours.
Pour la Dre Siret, sans diaboliser systématiquement ces professionnels, il est important de s'en méfier et de garder un esprit critique: «Pour cela, il est très important d'informer les gens en leur donnant les clés qui vont leur permettre de douter. Avec certaines propositions alléchantes sur les réseaux sociaux, on n'est plus en mesure de juger et de prendre du recul, on est embarqués dans ces dérives qui peuvent être dangereuses.»
L'Ordre des médecins va publier un rapport sur les pratiques de soin non conventionnelles d'ici au mois de juin. De son côté, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) recense plus de 400 pratiques non conventionnelles à visée thérapeutique et fait en permanence la chasse aux dérives sectaires. Il est possible d'informer l'organisme d'un risque sur son site.
* Le prénom a été changé.