Société

La prison de Bois-d'Arcy traîne son architecture avant-gardiste comme un boulet

Temps de lecture : 5 min

Construite sur-mesure au début des années 1980 par un cabinet d'architectes renommé, le centre pénitentiaire situé dans les Yvelines croule aujourd'hui sous les coûts pharamineux d'une urgente mais très difficile rénovation.

Ici le 8 juillet 2014, la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy (Yvelines) est aujourd'hui dans un état de vétusté assez avancée. Mais les nécessaires rénovations s'élèvent à plusieurs dizaines de millions d'euros. | Kenzo Tribouillard / AFP
Ici le 8 juillet 2014, la maison d'arrêt de Bois-d'Arcy (Yvelines) est aujourd'hui dans un état de vétusté assez avancée. Mais les nécessaires rénovations s'élèvent à plusieurs dizaines de millions d'euros. | Kenzo Tribouillard / AFP

«Vous allez voir, ici, c'est un peu comme le Centre Pompidou», sourit Isabelle Lorentz, directrice adjointe du centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy (Yvelines), comme pour détendre ses interlocuteurs qui traversent un long couloir froid menant aux quartiers d'enfermement. À travers la grille, pourtant, la façade lugubre du bâtiment laisse déjà entrevoir tout autre chose.

C'est que l'adjointe, légèrement embarrassée, ne s'attendait pas à recevoir la visite improvisée de la sénatrice Esther Benbassa. Celle-ci exerce régulièrement son «droit de contrôle» dans les prisons françaises, accompagnée de journalistes, comme lors de sa dernière venue, au début du mois d'avril. À Bois-d'Arcy, un suicide a eu lieu le vendredi 17 avril, le dernier d'une pénible série, dont au moins un au «quartier des arrivants».

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Pourtant, en décembre 2022, un rapport du Contrôleur général des lieux de privations de liberté (CGLPL) avait alerté sur l'état de la prison et émis une recommandation rare dans le milieu pénitentiaire: y «suspendre les incarcérations». Saisi par des associations (dont l'Observatoire international des prisons) après la visite d'Esther Benbassa, le tribunal administratif de Versailles a récemment ordonné à l'État d'appliquer «en urgence» douze mesures supplémentaires pour lutter contre l'insalubrité de la maison d'arrêt.

À première vue, pourtant, Bois-d'Arcy fait face aux problématiques plutôt classiques des prisons françaises: surpopulation (taux d'occupation à 165% dans le quartier maison d'arrêt, d'après le rapport du CGLPL de décembre 2022), manque de surveillants, «désorganisation générale», persifle le CGLPL.

Sauf que ce centre pénitentiaire présente tout de même une spécificité peu anodine qui en fait, justement, l'un des pires de France. Il s'agit de son architecture atypique, semblable au Centre Pompidou, comme le dit si bien Isabelle Lorentz, avec ses tuyaux et structures métalliques enchevêtrées dans tous les sens.

Une architecture innovante... pour les années 1980

Ouverte en 1980 dans l'objectif de désencombrer la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis (Essonne) et de faire face à l'augmentation de la population carcérale, la prison de Bois-d'Arcy est conçue à l'époque par le célèbre cabinet d'architectes Andrault et Parat.

L'entreprise, qui n'existe plus aujourd'hui, marque alors par son empreinte moderne inspirée de l'idéal de reconstruction des Trente Glorieuses (1945-1975). Elle signe notamment les tours de la Société générale dans le quartier de La Défense à Nanterre (Hauts-de-Seine), le palais omnisports de Paris-Bercy (XIIe arrondissement de Paris) et remporte le Grand prix national de l'architecture en 1985.

Pour Bois-d'Arcy, l'approche se veut aussi teintée du courant «humaniste» de l'incarcération qui traverse les années 1980, en opposition à la représentation strictement sécuritaire qu'on se faisait jusqu'alors des prisons. En atteste sa taille: 770 détenus aujourd'hui (début avril), pour 503 places effectives, certes, mais contre environ 3.600 personnes enfermées de nos jours à Fleury-Mérogis, la plus grande geôle d'Europe. «La politique pénitentiaire est revenue à des normes plus raisonnables», notait déjà le journaliste Michel Bôle-Richard dans un article du Monde du 31 janvier 1980.

Outre sa dimension inédite, l'architecture de la prison du Bois-d'Arcy marque encore par son avant-gardisme. On salue le choix de l'installer sur un vaste terrain militaire «au milieu des pelouses vertes», juste à côté de la forêt de la ville. Les bâtiments multicolores aux «angles arrondis» ainsi que ses «fenêtres ovales» ont alors «un air moins lugubre» que les autres prisons françaises, lit-on aussi dans Le Monde de l'époque.

Problème: on est alors loin d'imaginer que ces atouts sont de véritables bombes à retardements qui deviendraient aujourd'hui les sources de problèmes monumentaux et endémiques à Bois-d'Arcy.

Un système électrique resté dans son jus

Première erreur stratégique: construire la prison à côté d'une forêt. Rien qu'en 2022, «656 objets prohibés [téléphones portables, drogues ou armes, ndlr] ont été retrouvés au centre pénitentiaire de Bois-d'Arcy», nous souffle un employé du ministère de la Justice. C'est bien plus qu'ailleurs, si l'on en croit les derniers (et rares) chiffres officiels communiqués par la Direction de l'administration pénitentiaire. En 2017, on peut estimer que 222 objets (téléphones et accessoires) ont été saisis en moyenne dans chacune des 187 prisons françaises. Mais à Bois-d'Arcy, la localisation du bâtiment rend les livraisons plus faciles qu'ailleurs pour les détenus.

Pour lutter contre le phénomène qui amplifie les trafics et conduit à une recrudescence d'agressions sur les surveillants, le centre pénitentiaire yvelinois s'est doté d'un filet anti-projections de 20 mètres de haut en novembre 2022, «pour la somme de 2,8 millions d'euros», confesse un porte-parole du ministère. Or, sur la même année, le survol des prisons par des drones a fortement augmenté en France, rendant de fait le système obsolète.

L'administration pénitentiaire, «qui s'adapte aux menaces et risques évolutifs», se targue tout de même le porte-parole, «déploie actuellement au plan national des dispositifs de brouilleurs empêchant le survol et la livraison de matériels et produits prohibés». Sauf qu'à ce jour, seule une quinzaine d'établissements pénitentiaires disposent de cet outil onéreux. Et c'est loin d'être le cas à Bois-d'Arcy!

Prioritaire avant tout, la rénovation électrique de l'établissement coûte déjà 15 millions d'euros à mettre en place, selon des informations obtenues auprès du ministère. Et celle-ci comprend seulement la «mise aux normes» (sic) des installations, ainsi que «l'augmentation de la puissance du réseau». C'est que le fameux réseau électrique, inchangé depuis 1980, présente désormais plusieurs graves défaillances et ne dispose plus d'un ampérage assez puissant pour alimenter la prison.

Non-équipés en électroménager, les détenus doivent même faire du feu avec des mouchoirs imbibés d'huile pour réchauffer leurs plats. L'administration reste pourtant optimiste et annonce la fin de l'opération pour «fin 2024»… Sauf qu'en dépit la somme phénoménale injectée, seules 105 cellules sur 503 ont été équipées en plaques chauffantes et réfrigérateurs en deux ans.

Des rénovations très onéreuses, devenues presque impossibles

Et pour le reste des travaux? «Un schéma directeur est à l'étude. Des diagnostics techniques et fonctionnels sont en cours, afin d'expertiser et de hiérarchiser les besoins», tergiverse le porte-parolat du ministère. Sauf que les problèmes structurels sont légion dans le bâtiment et on ne sait plus vraiment par où commencer.

Par exemple, les fameuses «fenêtres ovales» de la prison ont été dessinées sur-mesure par Andrault et Parat. Chaque vitre coûte ainsi pas moins de 5.000 euros à remplacer, soit un coût global estimé à 2,5 millions d'euros. Résultat: les détenus s'accommodent des courants d'air dans leurs cellules.

Pour nettoyer les parties les plus inaccessibles des lieux, enfin, il faut faire appel à une société de nettoyeurs cordistes. Plus particulièrement, la facture s'élèverait à 50.000 euros par structure, pour les cinq escaliers monumentaux de l'établissement, selon Isabelle Lorentz. Ces derniers sont ceux qui, justement, ressemblent au Centre Pompidou avec leurs tuyaux décoratifs… mais difficiles d'accès.

Ainsi, ces escaliers n'auraient jamais été dépoussiérés en plus de quatre décennies, confesse la directrice adjointe. Ce qui, contrairement au célèbre musée du IVe arrondissement de Paris, laisse le bâtiment de la prison de Bois-d'Arcy dans un bien piteux état.

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