Alors que le souci de «la planète» est dans toutes les têtes, que chacun veut accomplir son «geste pour la planète» et le faire connaître, l'amour de la nature a-t-il progressé dans notre société?
«Sauver la planète» est martelé du matin au soir, mais cela incite-t-il à aimer la nature, à vouloir vivre près d'elle, à s'adapter à elle? Précisons qu'il ne s'agit pas de départager habitants des villes et habitants des campagnes quant à l'amour respectif des uns et des autres pour la nature.
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Écologie, climat et malentendus
L'urgence écologique est bien là. Face aux feux de forêt, aux pluies diluviennes sporadiques succédant aux sécheresses, aux inondations comme aux orages de grêle et aux tornades, il est certain que la nature et ses dérèglements effraient plus qu'ils ne suscitent spontanément un amour immodéré.
Jamais pourtant la protection de l'environnement n'avait atteint ce point de désincarnation. De façon très notable, un grand nombre de personnes connaissent d'abord la question environnement à travers une peur quasi panique relative à leur devenir propre. Nos sociétés refusent le risque, refusent la mort (sauf celle des autres, si on ne la voit pas). C'est d'abord ce refoulement de ce qui était pris comme une dimension de la vie dans les siècles passés qui a progressivement fait pression sur les gouvernants, notamment par la menace judiciaire implicite ou explicite.
Lorsque la crise du Covid se déclenche, le gouvernement Philippe n'a que 24 mois, un appareil industriel déclinant, un hôpital largement victime des «réformes» successives des quinquennats précédents, des filières d'approvisionnement devenues incertaines. La mise en cause du pouvoir doit être relativisée, la demande implicite ou non de confinement et de tendre vers le zéro-risque est florissante dans la société.
Dans les métropoles, on ne parle que «végétalisation», «forêts urbaines», «agriculture urbaine». Mais il s'agit toujours de projets décevants puisqu'on est préoccupé par l'impossible: la campagne à la ville. Dans la France dite «périphérique», souvent magnifiée au-delà de la raison, on «artificialise» à outrance, on multiplie les ronds-points, les murs d'enceinte, les parkings et les zones commerciales sans limite. Les uns et les autres cherchent ce qu'ils croient leur manquer le plus: l'illusion du dépaysement rural pour les uns, les chimères de l'urbanisation pour les autres.
Un appétit vorace d'aseptisation
Le marché fonctionne de plus en plus par la diffusion d'études supposées prouver que le coulis de tomate prévient le cancer de la prostate ou que tel ou tel aliment est a contrario un cancérigène majeur. Entre l'entrée dans une supérette et le passage à la caisse, si chaque consommateur devait suivre absolument toutes les recommandations diffusées au cours d'une semaine, de la vérification des nutriscores au bilan carbone des aliments, sans parler de la traque des additifs et colorants, il se déroulerait plusieurs heures.
Il y a plusieurs chemins pour affirmer des convictions écologistes. Le mouvement de l'écologie politique aux États-Unis est fortement marqué par les campagnes de défense des consommateurs. Ralph Nader, candidat en 1996 et 2000, fut l'avocat emblématique des droits des consommateurs. Candidat des Verts américains en 2000, il fit une excellente campagne qui détourna quelques dizaines de milliers de voix du vote pour Al Gore, devenu depuis prophète de l'apocalypse écologique.
Dans la culture populaire, c'est la figure d'Erin Brokovitch qui représente la mieux à la fois la défiance, la suspicion et le souci de sécurité sanitaire envers les géants de l'industrie ou, évidemment, de Big Pharma. La santé est un objet transitionnel permettant à nos sociétés d'atteindre le stade de l'explication du monde contemporain.
L'écologie foi des villes, la nature pour tous
Sauf exceptions localisées, le vote écologiste est surtout le propre des classes moyennes diplômées des métropoles. C'est vrai en France, en Allemagne, en Autriche… et ailleurs, où ces populations ne peuvent se défaire du sentiment qu'elles détiennent une part de la vérité du monde ainsi que de son avenir.
S'il existe une écologie positive et optimiste, de projets et populaire, elle est souvent la prisonnière et la captive d'une vision autre: un peu véhémente, très pessimiste. Cette écologie-là est manifestement une écologie très personnelle, centrée non sur la personne mais sur l'individu, porteuse de la consommation «éthique», du bien-être et du développement personnel comme quêtes dans la société.
C'est aussi cette conception qui amène le gouvernement à choisir le confinement, l'opposition à en réclamer l'aggravation et la société à changer ses comportements les plus enracinés. «La nature reprend ses droits», clame-t-on dès qu'un canard sort du bassin parisien de la Villette lors du confinement de 2020. Les forêts urbaines sont promises, réclamées à cor et à cri, mais elles existent déjà dans Paris: le bois de Boulogne (8,5 kilomètres carrés) et le bois de Vincennes (près de 10 kilomètres carrés) sont là depuis longtemps. Si tous les passionnés de forêts urbaines ne saisissent pas l'opportunité de se promener dans ces espaces, la ruée vers les chemins de grande randonnée n'a pas non plus l'air de travailler l'immense foule des «combattants de la terre».
Le fameux «geste pour la planète» n'engage pas forcément un amour immodéré de la nature. Il est l'expression d'un instinct de survie ressenti spontanément ou induit par l'actualité. On combat pour la biodiversité mais pas au point de la supporter dans son environnement propre et immédiat. Le problème du rapport que nous entretenons avec la nature, l'environnement et l'écologie, c'est qu'il est individualisé au point que sa cohérence globale fait défaut.
La redécouverte de la nature et de ses richesses devrait être un préalable aux envolées «écologistes», elle est la condition de la conviction écologiste. Les très bons chiffres des budgets «jardin» des ménages français sont un bon signe, dont témoigne le succès des magasins, publications, sites internet et applications qui leur sont consacrés.
Ce que l'on a fait de mieux en matière de développement de la conscience individuelle et collective depuis plusieurs années, ce sont nos parcs nationaux: catalyseurs d'efforts publics et privés, des populations locales et des touristes saisonniers, toutes ces réalisations donnent une compréhension complète de la nature. Il y a quelque chose d'inachevé dans notre débat public: pourquoi notre souci écologique est-il si «gazeux», pourquoi ne réussit-il pas à s'enraciner dans la nature et être ainsi plus profond?